Adopté (presque) sans débats à l’Assemblée nationale, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 est examiné cette semaine au Sénat. Ondam jugé insuffisant, renforcement du contrôle des arrêts de travail, délivrance d’antibiotiques sans ordonnance par les pharmaciens… Dans une interview accordée à Egora, la Dre Stéphanie Rist, rapporteure générale du texte à l’Assemblée nationale, défend un budget “de responsabilité”.
Egora : Lors du vote portant sur la motion de censure à l’Assemblée nationale, vous avez regretté être “la première rapporteure d’un PLFSS rejeté en commission”. L’adoption du texte, une nouvelle fois, par la procédure du 49.3 est-elle un échec pour vous ?
Dre Stéphanie Rist : Le 49.3 est un outil indispensable en cas de majorité relative, avec des oppositions qui ne votent pas le budget. Ce n’est donc pas le 49.3 mais le vote en commission que j’ai regretté. Nous avons eu plus de 35 heures de débats, et de construction sur le texte – avec des amendements des oppositions qui ont été adoptés.
La Sécurité sociale, c’est un budget de 643 milliards d’euros. L’Ondam est de 4,8 % pour 2023 et de 3,2 % pour 2024. On n’est pas dans un budget d’austérité…
Les oppositions à l’Assemblée, la FHF, les syndicats de médecins libéraux mais aussi la commission des Affaires sociales du Sénat, qui vient de rejeter la trajectoire financière jusqu’en 2027, déplorent la faiblesse de l’Ondam 2024 au regard de l’inflation et des besoins. Concrètement, le sous-Ondam de ville à 3,5 % suffira-t-il à répondre à l’enjeu de l’attractivité de la médecine libérale ou d’équilibre économique des officines, alors que ces deux négociations majeures avec la Cnam vont s’ouvrir ?
Tout d’abord, parce qu’on nous l’a reproché l’an dernier, nous n’avons pas porté de mesures dans ce PLFSS qui rentreraient dans le cadre de négociations conventionnelles.
Ensuite, sur l’Ondam, avec + 3,2 %, je ne comprends pas le débat car on est au-dessus du taux d’inflation prévu pour 2024 [2,6 %, d’après la Banque de France, Ndlr]. Dire que l’Ondam est insuffisant par rapport aux besoins, ça, ça peut s’entendre… La tendance de l’augmentation des besoins est supérieure à 3,2 %. Mais mon rôle de rapporteure est de maintenir les comptes à l’équilibre. Toute la discussion est là. Soit on dit il faut mettre plus d’argent car il y a plus de dépenses, soit on dit qu’il faut maitriser ces dépenses en mettant en place des réformes, tout en conservant l’accès à la santé et aux mesures sociales pour tous. D’ailleurs, on créé de nouveaux droits dans ce PLFSS.
Je peux entendre les gens qui disent que cela va être insuffisant, mais moi mon rôle de rapporteur est de maintenir des comptes sociaux à l’équilibre pour pouvoir financer le système dans les années futures. Quand on est dans l’opposition, je comprends qu’on ne vote pas en réclamant plus d’argent mais quand on est dans la majorité et au Gouvernement, la responsabilité est de maîtriser ces comptes.
Ce PLFSS prévoit un renforcement du contrôle des arrêts de travail. Une disposition qui a particulièrement heurté les médecins généralistes : la suspension systématique des IJ en cas d’arrêt jugé non justifié par le médecin diligenté par l’employeur. MG France parle de “censure” de la prescription du médecin traitant…
De manière générale, dans ce PLFSS, il y a des mesures contre la fraude, qui sont importantes.
L’article dont vous parlez permet de rendre plus efficace un dispositif qui existe déjà, le contrôle employeur. Je comprends que cela puisse heurter les médecins, car l’arrêt est une prescription et tout contrôle de prescription peut être mal perçu par le professionnel.
Mais nous sommes face à une augmentation du volume des arrêts maladie qui est importante. Là encore, mieux contrôler ces arrêts est une question de responsabilité.
Les médecins qui s’opposent au développement de ces contrôles employeurs, notamment Médecins pour demain, mettent en avant le fait que l’arrêt de travail est parfois le seul moyen de protéger le salarié des risques psychosociaux en cas de conflit avec l’employeur…
Ce n’est pas l’employeur qui contrôle l’arrêt maladie, mais un médecin. Et dans les faits, il y a très peu de contrôles qui vont à l’encontre de ce que le médecin a prescrit.
D’autre part, on a laissé dans la loi deux possibilités de recours : la possibilité pour le patient de demander un contrôle de l’Assurance maladie et la possibilité pour la CPAM de s’auto-saisir. Les caisses locales connaissent très bien les médecins contrôleurs et si elles voient qu’un de ces médecins va systématiquement, ou de façon plus importante que ses confrères, à l’encontre de l’arrêt prescrit par le médecin, elles pourront elles-mêmes contrôler l’arrêt.
Je comprends la position de principe des médecins, mais en pratique il y aura très peu d’arrêts qui seront invalidés et on a laissé des garde-fous pour protéger le salarié et le médecin.
Autre mesure qui suscite l’opposition des médecins et qui a été adoptée sans être vraiment débattue : la prescription par le pharmacien d’antibiotiques contre l’angine ou la cystite en cas de tests positifs. La CSMF, par exemple, y voit un “démantèlement du rôle central du médecin”. Que leur répondez-vous?
C’est un sujet qui ne fait pas vraiment débat au sein des parlementaires, même si quelques députés ont bien défendu l’avis des médecins. Il y a une demande des élus d’aller vers plus de partages de compétences.
Cette mesure est la généralisation d’un dispositif qui fait suite à des expérimentations [l’expérimentation Osys, conduite par l’ARS Bretagne, Ndlr], qui ont montré une efficacité, sans risques pour les patients.
Les PLFSS se suivent et les transferts de compétences s’enchaînent. Comprenez-vous que cela puisse déstabiliser les médecins ?
Cette délivrance d’antibiotiques était possible dans le cadre de protocoles de coopération, au sein d’une CPTS. Ce qu’on a constaté c’est que ça a très peu marché car il faut pour cela que le médecin soit d’accord… On voit bien que les médecins sont assez réfractaires sur ces mesures de partage de compétences. A mon sens, il y a trois raisons à cela : il y a une partie qui est très corporatiste et qui refuse que l’on touche au monopole du médecin, mais ce n’est pas la majorité ; il y a ceux qui pensent sincèrement que les patients seront moins bien soignés si ce sont d’autres professionnels qui prennent en charge une partie de leurs tâches ; et ceux qui craignent pour leur rémunération et qui ont peur que leur place dans le système de santé ne soit plus très bien définie.
Je crois que c’est vraiment important à prendre en compte. Ça montre vraiment qu’il y a une difficulté pour les médecins, et notamment pour les généralistes, à voir quelle place ils auront dans le système de santé dans les années qui viennent. Je les encourage vraiment à nous orienter, nous les politiques, sur la place qu’ils souhaitent prendre étant donné l’évolution des technologies, de la démographie médicale, du vieillissement de la population, et aussi de la montée en compétences des autres professions… Comment faire évoluer le métier ? A mon sens, leur place doit rester centrale, mais centrale ça ne veut pas dire nécessairement être la porte d’entrée. C’est là que j’ai peut-être un désaccord avec certains médecins… Je pense que l’on peut faire évoluer le système.
Faut-il aller jusqu’à remettre en cause la fonction de médecin traitant, qui conditionne l’accès à un spécialiste, etc. ?
Je crois vraiment – contrairement à ce qui peut être dit de moi – à l’intérêt d’un médecin au centre de la coordination. La coordination, ce n’est pas juste une boite d’envoi vers le spécialiste ou autres. C’est une place d’expertise, au milieu d’autres professionnels. C’est cette place-là qu’il faut arriver à mettre en avant. Ça veut dire être médecin traitant, pas que médecin de soins programmés, et travailler au sein de coopérations professionnelles car c’est vraiment comme ça qu’on assure la qualité de soins.
La commission des Affaires sociales du Sénat a voté pour l’instauration d’une somme en cas de lapin posé par un patient. Etes-vous favorable à cette mesure ?
J’avais travaillé à une mesure qui permettait que la consultation suivante soit hors parcours. J’avais été convaincue avec les arguments du Gouvernement disant qu’il fallait que ce soit discuté dans le cadre des négociations conventionnelles. Ne voulant pas intervenir sur les négociations, nous n’avons pas apporté d’amendement en ce sens dans le texte. Je crois qu’il y a sujet sur les rendez-vous manqués mais le PLFSS n’est pas l’endroit pour ce débat.
Des tarifs modulés en fonction de “la participation à l’effort de maîtrise des dépenses d’assurance maladie” : un amendement du Sénat hérisse les libéraux de santé
Un amendement déposé par la rapporteure générale du PLFSS 2024 au Sénat, Corinne Imbert, vise à instaurer dans les conventions une modulation des rémunérations des professionnels de santé libéraux selon deux critères : la consultation et le renseignement du dossier médicale partagé (DMP) d’une part, et “la participation des professionnels à l’effort de maîtrise des dépenses d’assurance maladie et aux mesures destinées à garantir la pertinence des soins” d’autre part. Pour Les Libéraux de santé, c’est la “goutte d’eau de trop”. “Cet amendement est un message de défiance, de manque de confiance, à l’encontre des professionnels de santé qui soignent nos concitoyens au quotidien. Il insécurise l’exercice libéral dans un contexte où un choc d’attractivité sera nécessaire pour répondre à la stratégie nationale de santé”, écrivent dans un communiqué du 13 novembre Les Libéraux de santé, qui portent la voix de 10 syndicats (dont la CSMF). “Une punition”, alors que “les professionnels de santé libéraux font déjà face à une charge administrative croissante et débordante”, déplorent-t-ils encore.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques
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