Qui a dit que les scientifiques ne savaient pas rire ? Certainement pas Marc Abrahams, rédacteur en chef et cofondateur des Annals of Improbable Research. Comme à chaque rentrée, la revue organise sa cérémonie des Ig Nobel, qui récompense dix études internationales farfelues mais qui nous poussent en fin de compte à réfléchir. Au menu de cette 33e édition, qui s’est déroulée le 14 septembre : la passion des géologistes pour lécher des cailloux, le pouvoir du coït chez les anchois et des toilettes intelligentes qui analysent nos excréments… Fous rires garantis.

Alors que la saison des Nobel doit démarrer le 2 octobre avec l’annonce du lauréat dans la catégorie médecine, une autre distinction – moins connue, certes, mais pas moins prestigieuse si l’on en croit certains… – a été remise à dix équipes de chercheurs la semaine dernière. Il s’agit de l’Ig Nobel, un prix qui récompense les études les plus loufoques qui, bien qu’hilarantes, nous poussent à nous poser des questions. Pour la quatrième année consécutive, la 33e cérémonie des Ig Nobel s’est déroulée en ligne et non dans le sublimissime Sanders Theater de l’Université d’Harvard, aux Etats-Unis, comme c’était le cas avant la pandémie de Covid-19.

Si le show abracadabrantesque perd un peu de sa saveur sous ce format, Marc Abrahams, rédacteur en chef des Annals of Improbable Research, qui organise l’événement, s’est efforcé de garder les codes propres à la cérémonie. Et on peut dire que l’effet était plutôt réussi ! Lancers d’avions en papier, mini-opéras cacophoniques, sketches délurés… étaient ainsi au programme. La récompense est restée inchangée : tous les lauréats ont reçu un trophée en papier, une sorte de diplôme signé par d’anciens prix Nobel (des vrais !), et un billet de 10 000 milliards de dollars zimbabwéens. Une monnaie qui ne vaut plus rien à cause de l’hyperinflation.


Capture d’écran de la 33e cérémonie des Ig Nobel

La remise des prix a démarré avec la catégorie “chimie et géologie”. Le géologiste britannique d’origine polonaise Jan Zalasiewicz a raflé le prix avec une étude s’intéressant aux raisons pour lesquelles de nombreux géologues aiment lécher les roches… Oui, vous avez bien lu. Selon l’expert, humidifier les pierres permettrait d’observer de façon plus fine leurs particularités. “Il y a 200 ans, les géologues léchaient les roches pour découvrir ce qu’elles étaient, sans machine, sans manuel, sans microscope… sans chimie. Ils pratiquaient la géologie au moins en partie grâce au goût… et cela fonctionnait !”, a expliqué ce professeur de paléobiologie à l’université de Leicester (Royaume-Uni).

Le géologiste a lui-même confié, hilare, en avoir léchés des millions… “Bien sûr s’il pleut, vous n’avez pas besoin de faire ça !”, a-t-il plaisanté.

Un prix de littérature a également été décerné, cette fois à une équipe de chercheurs venus de France, du Royaume-Uni, de Malaisie et de Finlande (Chris Moulin, Nicole Bell, Merita Turunen, Arina Baharin, Akira O’Connor). Ensemble, ils se sont intéressés aux sensations éprouvées par une personne lorsqu’elle écrit un même mot “beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup de fois”. “Les participants ont déclaré se sentir bizarres après une trentaine de répétitions”, écrivent les auteurs de l’étude. Des expériences pouvant être associées au phénomène “du jamais vu”, par opposition à celui du “déjà vu”.

Réanimer” les pattes d’une araignée morte pour s’en servir comme outil ? C’est ce qu’ont fait Te Faye Yap, Zhen Liu, Anoop Rajappan, Trevor Shimokusu, et Daniel Preston, des chercheurs venus d’Inde, de Chine, de Malaisie, et des Etats-Unis, qui ont remporté l’Ig Nobel dans la catégorie ingénierie mécanique. Ils ont étudié le mécanisme de déplacement des araignées, qui repose sur le principe de pression hydraulique plutôt que sur des paires de muscles antagonistes pour étendre leurs pattes. Grâce aux pattes d’araignées, ils ont mis au point une “pince nécrobotique“, capable de saisir des objets aux géométries irrégulières. Un premier pas vers la confection d’instruments durables et en grande partie naturels, soulignent les experts.

Toilettes intelligentes

“Ne gâchez pas vos déchets”, a également défendu Seung-min Park, lauréat de l’Ig Nobel de santé publique, lors de la cérémonie. Ce dernier a inventé les “Stanford Toilettes”, des toilettes intelligentes qui, grâce à plusieurs technologies (bandelettes de test, caméras, capteurs…), analysent les urines et les excréments de celles et ceux qui les utilisent. Un système de télécommunications permet d’envoyer les données recueillies pour les analyser. Ces toilettes pourraient être utilisées pour le dépistage, le diagnostic et la surveillance au long cours de populations de patients spécifiques, écrit le premier auteur de cette étude. Qui sait ? Peut-être qu’un jour nous en aurons tous chez nous…

L’Ig Nobel de médecine a récompensé une étude… étonnante : Christine Pham, Bobak Hedayati, Kiana Hashemi, Tiana Mamaghani, Ella Csuka, Margit Juhasz, et Natasha Mesinkovska (Etats-Unis, Canada, Macédoine, Iran et Vietnam) ont utilisé des cadavres pour quantifier le nombre de poils dans les narines humaines. Réponse ? Il y aurait entre 112 et 120 poils dans chaque narine ! “Nous espérons que cette recherche fera prendre conscience de l’importance des poils nasaux, en particulier pour nos patients atteints d’alopécie, chez lesquels leur perte entraîne un risque accru d’allergies et d’infections”, ont déclaré les auteurs de ces travaux.

Après un traditionnel mini-opéra complètement absurde – dont seule la cérémonie des Ig Nobel a le secret, deux jeunes Japonais se sont vu décerner l’Ig Nobel de la nutrition pour avoir montré que l’électricité pouvait amplifier le goût des aliments, et permettre de nouvelles expériences gustatives. Dans le cadre de leurs travaux, Homei Miyashita et Hiromi Nakamura ont créé des baguettes et des pailles traversées par un courant électrique. Cette technologie doit être commercialisée cette année, ont annoncé tout sourire les deux scientifiques.

L’Ig Nobel de physique va, lui, a une équipe européenne (Espagne, Galice, Suisse, France et Royaume-Uni) qui a étudié le rôle des poissons dans le mélange des eaux côtières. Celle-ci a pour cela observé durant deux semaines les turbulences de l’eau dans la Ría de Pontevedra, en Galice. Les chercheurs ont observé chaque nuit des brassages très importants, malgré une météo calme. Ils se sont rendu compte qu’ils étaient dus à des bancs d’anchois, qui se regroupaient pour frayer. Preuve que la vie marine peut influencer le mélange des eaux, indispensable à la survie de ces écosystèmes. Si ce phénomène a montré son importance dans les zones côtières, celle-ci est cependant largement réduite à l’échelle de l’océan.

Nouveauté cette année, un prix de communication a été décerné par la française Esther Duflo, prix Nobel de l’Economie (2019), à Maria Jose Torres-Prioris, Diana Lopez-Barroso, Estela Camara, Sol Fittipaldi, Lucas Sedeno, Augustin Ibanez, Marcelo Berthier, Adolfo Garcia (Argentine, Espagne, Colombie, Chili, Chine et Etats-Unis) pour avoir étudié l’activité mentale de personnes “expertes dans l’art de parler à l’envers”. Un prix d’éducation a aussi récompensé une équipe de chercheurs de Hong Kong, Royaume-Uni, Pays-Bas, Irlande, Etats-Unis, Japon, Canada (Katy Tam, Cyanea Poon, Victoria Hui, Wijnand Van Tilburg, Christy Wong, Vivian Kwong, Gigi Yuen, Christian Chan) qui a étudié l’ennui des enseignants et des élèves.

Enfin, en psychologie, le jury a mis en lumière une étude menée par Stanley Milgram, Leonard Bickman et Lawrence Berkowitz en 1969 sur la célèbre 42e rue de Manhattan, à New York. Cette étude s’intéressait au comportement des passants lorsque ceux-ci croisaient une foule regardant vers le haut. Elle montrait que plus la foule qui avait les yeux rivés vers les gratte-ciels était dense, plus les passants avaient tendance à lever les yeux. Et vous, auriez-vous fait pareil ?

Retrouvez tous les lauréats et leurs études ici. Ainsi que notre article sur l’édition précédente.

Source :
www.egora.fr
Auteur : Louise Claereboudt

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