Depuis septembre, Raphaëlle Jean-Louis, infirmière libérale de 35 ans, s’est donné pour mission de faire un tour de France des hôpitaux. Au cours de huit marches, elle relie à pied deux établissements de grandes villes proches, comme Rennes et Nantes. Objectif : alerter le Gouvernement sur les conditions de travail des soignants dans les établissements de santé. Elle dévoile son projet à Egora.

 

Tout commence en 2015 pour Raphaëlle Jean-Louis. Celle qui vient tout juste d’être diplômée infirmière débute sa carrière par plusieurs missions à l’hôpital et en milieu extrahospitalier. L’infirmière originaire des Yvelines découvre plusieurs services. Parmi eux, un point commun : les conditions de travail délétères. Elle se souvient encore d’une journée qui l’a complètement chamboulée. “J’arrivais en tant qu’intérimaire, je n’avais personne pour faire une journée d’observation. J’avais plus de 45 patients. Entre les soins qu’il y avait à effectuer, mais aussi les médicaments à distribuer, je devais tout deviner”, se rappelle l’infirmière. Elle explique surtout cette situation par le manque de personnel récurrent à l’hôpital. “Beaucoup partent en arrêt maladie. Ce sous-effectif entraîne un manque de communication entre les soignants fixes et intérimaires”, ajoute-t-elle. Les conséquences peuvent parfois être très lourdes pour les professionnels de santé. “Ne pas prendre le temps de faire la passation, courir tout le temps, et effectuer des soins à la va-vite parce qu’on est seul dans le service. Je trouve que ce n’est pas humain. Alors oui, on le fait, on y arrive, mais dans le temps, c’est fatiguant”, admet-elle.

 

 

Parmi ces conditions de travail compliquées, ce qu’elle craint le plus, ce sont les erreurs qui peuvent survenir dans les prises en charge, et, à terme, “l’épuisement professionnel”. “Les soignants se disent ‘Je ne vais pas faire ça toute ma vie.’ On n’a aucune reconnaissance et en plus de ça, on n’a vraiment pas une tranquillité au travail. On ne voit pas l’intérêt, on met les patients en danger’”, confie-t-elle.

 

“Je me suis épuisée au travail”

Le manque de personnel qu’elle constate à l’hôpital, elle le retrouve aussi en Ehpad. “On a parfois presque plus de 100 résidents à gérer seul.” Là aussi, les conséquences sont graves. “Une fois, j’ai dû gérer trois urgences, dont un décès qui est survenu à l’hôpital.” Les questions se bousculent dans sa tête : “Si j’avais eu des collègues, est-ce que les choses auraient été différentes ? Est-ce que les personnes auraient survécu ? Il y a des choses comme ça, où on se dit : ‘Ce n’est plus possible.’” Au bout de quelques années, “les soignants s’en vont”, reconnaît l’infirmière. Comme eux, Raphaëlle Jean-Louis renonce elle-aussi et part. “Je me suis épuisée au travail, il n’y a aucune reconnaissance, il n’y a rien pour nous aider.”

Épuisée et déçue par son travail, Raphaëlle Jean-Louis entame un master métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF). Une fois son diplôme en poche, elle commence à travailler mais regrette très vite son quotidien en tant qu’infirmière. “Au bout de deux mois, je me suis aperçue que ce n’était pas ce qu’il me fallait, que j’aimais trop mon métier de soignante”, admet-elle. Pourtant en parallèle de son master, elle avait gardé une activité d’infirmière à mi-temps, en libéral cette fois-ci : “C’était la dernière chance que je laissais au métier.” Elle est finalement revenue à ses premières amours puisque depuis un an et demi, Raphaëlle travaille en libéral, en remplacement. “Je ne regrette pas du tout, ça m’a permis de voir qu’on pouvait toujours exercer son métier avec passion, j’ai bien vu que je ne pouvais pas le lâcher. Aujourd’hui, je suis heureuse d’être infirmière libérale”, assure-t-elle. Mais la jeune femme de 35 ans ne délaisse pas pour autant l’hôpital. “Je me bats toujours pour les conditions de travail et pour les soignants parce que je sais ce que c’est”, plaide-t-elle.

 

Des centaines de kilomètres à pied

En septembre dernier, elle décide de s’engager, et organise un challenge. Après avoir vu une vidéo de Mehdi (@debbraahworld sur les réseaux sociaux), un jeune homme qui a rejoint Alger depuis Paris à pied, Raphaëlle Jean-Louis entreprend de rejoindre plusieurs hôpitaux à pied. “Je vais essayer de faire une sorte de tour de France. J’ai choisi principalement des gros hôpitaux, des grosses villes et je fais ça en plusieurs marches parce que je travaille. Je relie un hôpital à un autre, par exemple je pars de Rennes à pied jusqu’à l’hôpital de Nantes”, explique l’infirmière.

Raphaëlle Jean-Louis partage toutes les étapes de son périple sur les réseaux sociaux, notamment sur son compte Instagram, où elle est suivie par plus de 2 400 personnes et Facebook. Au total, elle effectuera 8 marches reliant plus de 16 centres hospitaliers (CH), accompagnée de son chien. Ce projet lui a même permis d’aller jusqu’en Martinique, pour visiter des établissements.

La prochaine aura lieu les 8 et 9 avril, où Raphaëlle Jean-Louis partira du CH de Châlons-en-Champagne jusqu’à celui de Reims, où elle a effectué ses études. “C’est très symbolique pour moi”, confie-t-elle. Enfin, sa dernière marche durera près d’un mois. “Je vais partir du palais de l’Elysée, jusqu’au palais du festival de Cannes.” Sur cette marche, l’infirmière rejoindra plusieurs hôpitaux. Raphaëlle Jean-Louis estime en plus que ce challenge correspond à son mode de vie. “Je n’utilise pas de voiture, je ne pollue pas, c’est un peu dans l’ère du temps, il y a aussi un esprit de pèlerinage symbolique”, reconnaît-elle.

A travers ces marches, elle veut “alerter le Gouvernement sur les conditions de travail des soignants en service et extrahospitalier”. Pour elle, la principale solution reste avant tout d’embaucher davantage de soignants. “Il faudrait mettre plus d’argent pour avoir du matériel convenable. Et puis après, il faudrait une revalorisation salariale. Mais la première chose à laquelle on pense, c’est généralement travailler convenablement, ne pas avoir des collègues en crise”, estime-t-elle. “Je pense que parfois le Gouvernement donne des moyens dans des secteurs où il n’y en a pas forcément besoin. Alors que la santé, c’est quand même un pilier important et notamment en France. Je pense que si on mettait plus de moyens, ça réglerait déjà le coeur du souci”, prévient l’infirmière.

 

 

Un long métrage par la suite ?

Ces marches lui permettent aussi de parler de son projet de long métrage. En 2018, elle sort son livre “Diplôme délivré(e) : Parole affranchie d’une étudiante infirmière” dans lequel elle aborde notamment la maltraitance et le harcèlement qu’elle a subi lors de ces stages. Aujourd’hui, elle souhaite adapter ce livre en fiction au cinéma – pour l’instant aucune date n’est évoquée. Lorsqu’elle arrive devant un hôpital dans le cadre de son tour de France, elle croise des soignants et raconte son projet. “Principalement, on discute de la situation dans les hôpitaux. J’essaye aussi de parler de ma cagnotte“, partage-t-elle. Elle cherche à récolter de l’argent pour l’aider dans la production de son film. Et, si les fonds le permettent, elle donnera une partie à une association qui aide à améliorer les conditions des soignants. “Le film va montrer la beauté de notre métier, la foi et la persévérance de nos soignants malgré parfois les conditions difficiles”, avance l’infirmière. “Le cinéma a un impact énorme pour faire changer les choses. J’attends qu’avec ce film, le Gouvernement ouvre enfin les yeux et s’aperçoive de toutes ces personnes, qui demandent de meilleures conditions de travail. J’aimerais aussi qu’il puisse mettre en place des choses et que le regard du grand public change sur tous nos métiers.”

Même si elle aime son métier d’infirmière libérale, ce qui lui manque le plus reste le travail en équipe. “Il y a des moments où je repense à mes collègues, on se soutenait, il y avait quand même beaucoup de rires”, se souvient-elle. Pourtant aujourd’hui, en l’état actuel, elle ne pense pas à retourner vers le milieu hospitalier. Mais si les conditions de travail venaient à changer, elle ajoute : “cela pourrait me faire revenir.” “Il faut garder l’espoir que ça change. Mon métier, c’est ma passion, ma vocation.”


© Raphaëlle Jean-Louis

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Mathilde Gendron

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