Alors que bon nombre de confrères ont fermé leur cabinet cette semaine, le Dr Arnaud Lerouge, généraliste à Cambrai (Nord), a proposé une journée de consultations sans rendez-vous et gratuites lundi 26 décembre. Une démarche insolite qui visait en réalité à prouver le bien-fondé des revendications des médecins libéraux.

 

Son action n’est pas passée inaperçue. En pleine trêve des confiseurs, et alors que nombre de confrères sont en grève cette semaine pour réclamer une revalorisation de la profession, le Dr Arnaud Lerouge, généraliste à Cambrai, a décidé d’ouvrir son cabinet lundi 26 décembre afin de proposer des consultations “gratuites” à tous les patients du secteur.

Assisté d’un interne et d’une infirmière libérale, “venue bénévolement”, le généraliste a enchainé les consultations de 10 heures à 16 heures. Dans une ambiance qui se voulait conviviale, les malades, connus ou inconnus, étaient accueillis par des proches du médecin (dont sa mère) ou par d’autres patients, qui distribuaient cafés et madeleines et “papotaient”.

 

 

Joint par Egora, le généraliste justifie sa démarche par le fait qu’il ne voulait pas “laisser les patients sans médecin” en ce lendemain de Noël, traditionnellement chargé en “indigestions, viroses et compagnie”. Mais loin d’être un casseur de grève, le généraliste est et sera bel et bien gréviste jusqu’au 2 janvier… Annoncée quelques jours auparavant sur une page Facebook dédiée à la désertification médicale du territoire -passé de 40 à 20 médecins en une dizaine d’années- qu’il a lui-même fondée. Cette opération de “déstockage massif de soins gratuits” visait en fait à prouver le bien-fondé des demandes des médecins libéraux.

 

 

Un modèle plus efficient

En dispensant le temps d’une journée des soins “sans passage de carte vitale ni chèques ni espèces”, le médecin a voulu démontrer à la communauté que la revendication d’un doublement du tarif de la consultation, mal perçue par une partie de la population, ne visait pas tant à augmenter la rémunération des libéraux, qu’à améliorer les conditions de travail des praticiens et, in fine, la qualité de prise en charge des patients.

“Dans l’imaginaire collectif, les honoraires, que ce soit 25 ou 50 euros, c’est plutôt un salaire. Les patients ne voient pas le côté entrepreneurial, déplore-t-il. On a des revenus assez confortables, on ne demande pas plus de ce point de vue-là. Mais juste de pouvoir délier nos entreprises pour exercer dans de meilleures conditions, pour nous et pour les patients”, insiste Arnaud Lerouge, syndiqué à l’UFML.

Et puisque les actes valent souvent mieux que les paroles, le généraliste a souhaité faire la démonstration d’un modèle de prise en charge qu’il estime plus efficient. Lundi, les patients qui se sont présentés au cabinet ont d’abord eu à faire à l’infirmière libérale, qui a fait fonction “d’infirmière d’accueil et d’orientation”. A charge pour elle de recueillir les motifs de consultation, de prendre les constantes et de pratiquer les éventuels tests diagnostiques. “Les gens arrivaient dans notre bureau avec toutes les constantes et après un interrogatoire succinct qui nous permettait de cibler les problèmes”. Un gain de temps estimé par le généraliste à 5 minutes par consultation. “Il y avait beaucoup de viroses respiratoires. Là où je mets un quart d’heure d’habitude, je mettais 5-7 minutes. Il n’y avait plus qu’à écouter le stétho et à donner du paracétamol.”

Pour le cas “plus complexe” des patients inconnus du généraliste et sans médecin traitant, le temps de consultation, d’ordinaire de 30 bonnes minutes, a aussi pu être divisé par deux grâce à l’aide de l’infirmière. Arnaud Lerouge évoque en particulier le cas d’une patiente sans médecin traitant depuis plusieurs années pour laquelle il a fallu reprendre tout le dossier médical. Une tâche particulièrement chronophage.

Résultat : en six heures non-stop, le médecin a pu enchainer 41 consultations quand d’ordinaire, il tourne à 25-30 patients sur une journée de 8 heures, aidé seulement d’une secrétaire à temps partiel pour la partie administrative. Le généraliste estime d’ailleurs que cette embauche – une quinzaine d’heures par semaine seulement – lui a déjà permis de dégager une heure de temps médical par jour et ainsi, d’autofinancer cette charge supplémentaire.

 

“Il faudrait financer une infirmière par médecin mais à 25 euros la consultation, c’est impossible”

“Il faudrait financer une infirmière par médecin mais à 25 euros la consultation, c’est impossible, sauf à faire des consultations de 5 minutes”, pointe-t-il. D’où la nécessité d’augmenter sensiblement le tarif de la consultation… “Avec le même temps médical, on pourrait augmenter la qualité de prise en charge ou augmenter le flux, quand il y a beaucoup de monde comme c’était le cas lundi.”

Convaincus des vertus du travail aidé, les pouvoirs publics misent sur l’embauche de 10 000 assistants médicaux d’ici à 2024 pour dégager du temps médical. Mais pour le généraliste de Cambrai, qui s’illustre déjà par son refus de la Rosp, le médecin doit pouvoir financer seul les embauches, comme un véritable “chef d’entreprise libérale” afin de conserver son “indépendance”. “Que ce soit du forfait ou des honoraires, ce sont les mêmes cotisations qui financent à la fin, et au moins les gens n’auront pas une vision biaisée du coût des soins”, pointe-t-il.

 

 

Pour Arnaud Lerouge, ce travail en “équipe de soins” est aussi le seul moyen de susciter des installations. “Depuis mon installation il y a 12 ou 13 ans, j’ai accueilli une dizaine d’internes en stage et aucun n’a souhaité s’installer, relève-t-il. Pourtant je suis loin d’être le plus gros bosseur. Je fais des semaines de 50-55 heures quand d’autres sur le secteur sont à 70 heures depuis toujours.” Si les jeunes médecins sont séduits par la diversité de l’exercice, le rythme effréné de leurs ainés fait office de repoussoir, pointe Arnaud Lerouge. “Les internes qui viennent en stage voient bien que pour gagner correctement notre vie on fait des horaires impossibles.”

Pour le généraliste, les pouvoirs publics ont donc tout intérêt à investir dans les soins de ville. Mieux rémunérés, donc plus nombreux, les libéraux prendront en charge plus de patients, évitant ainsi de coûteux passages aux urgences. CQFD.

Les patients qui sont venus consulter lundi au cabinet semblent en tout cas convaincus : 90 % des personnes ayant accepté de remplir le questionnaire de satisfaction distribué en fin de consultation ont approuvé le fait d’être pris en charge par une équipe de soins.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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