“Dans ce contexte éprouvant pour tous, médecins comme patients, d’un risque d’engorgement panique, il est hors de question de se priver de cette précieuse assistante qu’est notre secrétaire, qui seule permet de travailler sereinement. Ce cabinet fonctionnera avec elle ou fermera, ce que la mort dans l’âme nous nous apprêtons à faire le mois prochain”, écrit, amère, la Dre Hélène Baudry-Lamy, généraliste à Damgan (Morbihan), dans une lettre adressée “à tous les responsables du système de soin français et ce qu’il est devenu”.

 

« Mesdames et Messieurs nos dirigeants,

Dans 2 à 3 mois maximum, notre cabinet de médecine générale va fermer. Il va fermer car les revenus d’un médecin généraliste ne permettent pas de financer un poste de secrétaire à plein temps ; et cela parce que vous, nos dirigeants, jugez que nous, généralistes, ne le méritons pas.

La pénurie de médecins généralistes devient flagrante.

Dans les années 2000, nous avons milité pour le maintien de l’option référent, j’ai d’ailleurs été présidente de l’Amedref [Association nationale des médecins référents, NDLR] et Monsieur Fatôme en est témoin, lui qui était alors jeune fonctionnaire, croisé dans les couloirs du ministère de la Santé et qui maintenant pense que passer de 1000 à 1200 patients par MG résoudrait les problèmes… Nous militions pour une médecine générale revalorisée et performante grâce à ce forfait OMR soumis à certaines contraintes qui donnaient de la valeur au métier de généraliste.

Portés par l’enthousiasme, bien qu’étant seulement deux médecins au cabinet, nous avons embauché une secrétaire à plein temps, qui on peut le dire est devenu un exemple pour les “assistantes médicales” d’aujourd’hui. Elle nous a secondés à tous points de vue, je n’en énumèrerai pas la liste. Nous avons fait construire en 2010 un cabinet qui se voulait un exemple architectural et de fonctionnement pour les générations futures. Salle de réunion et de pause, logement pour les jeunes médecins remplaçants ou internes, bureau supplémentaire pour les variations saisonnières, salle de soins. Ce cabinet a été plébiscité par toute une génération de jeunes médecins, ainsi que l’aide apportée par notre secrétaire puis par une seconde secrétaire, à temps partiel, lorsque une collaboratrice est arrivée.

Aujourd’hui nous partons en retraite. Les jeunes médecins n’ont aucune appétence à devoir “faire de l’acte” pour avoir des revenus corrects, compte tenu des exigences de notre métier. Le successeur est une perle rare. Miracle, une jeune femme médecin généraliste adorerait prendre notre succession, le fonctionnement de notre cabinet lui plaisant à tout point de vue (secrétaire, infirmière d’ETP, projet d’infirmière en pratique avancée, infirmières libérales). Un médecin, c’est déjà mieux que zéro dans une commune qui, bien que non considérée comme zone déficitaire, compte néanmoins 2000 habitants l’hiver, 5000 à mi-saison et plus de 15000 l’été (période où nous n’avions jamais été moins de 3 depuis des années). Or il lui est financièrement impossible d’assurer à elle seule les charges de notre structure et le salaire de notre secrétaire (qui a progressé à l’aune des services qu’elle nous rendait), et je ne parle même pas des murs que la municipalité envisage d’acheter.

Un seul médecin ne permet pas de créer votre fameuse “MSP” qui permettrait de financer ce poste d’assistante, financement dont aurait besoin notre remplaçante (qui devrait d’ailleurs créer le poste sans le substituer à celui de la secrétaire) et quand bien même… il lui faudrait encore augmenter son activité au risque d’y laisser sa santé et de toute façon cette manne serait diminuée puis retirée au bout de 3 ans, soit disant que l’augmentation de son activité auto financerait ce poste. Elle voit déjà 120 à 130 patients par semaine, ce qui est déjà une activité au dessus de laquelle la qualité du travail et la résistance physique et mentale peuvent s’émousser.

Elle me remplace actuellement mais c’est nous qui, avec notre retraite assumons les charges que ce qu’elle nous rétrocède ne permet pas de payer. Par ailleurs, pour les mêmes raisons, ma collaboratrice partie fin août en congé de maternité ne pourra pas revenir en l’absence de secrétariat. Cela ne peut évidemment pas durer.

Dans ce contexte éprouvant pour tous, médecins comme patients, d’un risque d’engorgement panique, il est hors de question de se priver de cette précieuse assistante qu’est notre secrétaire, qui seule permet de travailler sereinement. Ce cabinet fonctionnera avec elle ou fermera, ce que la mort dans l’âme nous nous apprêtons à faire le mois prochain. Et ne me parlez plus de mutualiser nos aides !

 

 

Vous nous accusez d’abandonner nos patients et de vouloir partir en retraite alors que vous n’avez aucune idée de l’accompagnement dont ils ont besoin ! Certains qui, très âgés, viennent jusqu’au cabinet pour prendre rendez-vous parce qu’ils n’aiment pas téléphoner, et ne leur parlez pas des prises de rendez-vous en ligne ! Ceux qui appellent notre secrétaire car lis paniquent de ne pas trouver de rendez-vous avec les spécialistes, qui reçoivent des avis de la caisse comme quoi le médecin conseil “après un examen attentif de leur dossier (sic)” leur a supprimé leur prise en charge d’ALD (Parkinson, Alzheimer…), ceux dont le bon de transport a été refusé alors qu’ils sont dans l’incapacité de se déplacer, et ce ne sont que quelques exemples de ce qui rend irremplaçable la présence de la secrétaire. Et je ne parle que de l’aide aux patients…

Il serait judicieux d’accorder une rémunération pérenne forfaitaire type OMR (qui était de presque 50€ par patient et par an) ou une majoration de l’acte de au moins 5€ (ce qui reviendrait à peu près au même), pour tout secrétariat à plein temps par médecin généraliste, suivant des critères d’activité comme lors de l’OMR, (avec un plafond pour ne pas favoriser les activités délirantes même si elles ne sont pas forcément volontaires). Cela aurait en plus le mérite de créer des emplois… Sans compter l’aide à l’acquisition d’un cabinet médical digne de ce nom dans les zones où le prix du m2 est prohibitif (exemple, c’est un comble, du 16ème arrondissement depuis que la disparition du secteur 2 pour les généralistes ne permet plus de majorer les consultations !).

Par contre, faire travailler en 4ème année d’internat des médecins dans des désert médicaux est une aberration, de quoi dégoûter de ce métier. Comment organiser des débriefings lorsque on travaille jusqu’à 21h au minimum ? Comment leur ôter de l’idée qu’il serviront juste de bouche trou, avec des services d’urgence aux abonnés absents ?

La solution pour passer le flambeau – et c’en est un qui aurait dû être magnifique – est ailleurs. »

 

Dre Hélène Baudry-Lamy

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dre Hélène Baudry-Lamy

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