La Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam) a présenté vendredi 30 septembre sa stratégie nationale “rénovée” de lutte contre la fraude des professionnels de santé comme des assurés, avec pour ambition de parvenir à détecter et stopper 500 millions d’euros de préjudice financier en 2024, contre 219 millions d’euros en 2021. Médecins, voici ce qui vous attend.

 

2.2 milliards d’euros. C’est le montant du préjudice financier lié aux fraudes détectées et stoppées depuis 2012, avec une année “record” à 286 millions d’euros en 2019. Peut mieux faire, estime cependant la Cnam, qui entend mettre les bouchées doubles afin de parvenir à un objectif de 500 millions d’euros de fraudes détectées à l’horizon 2024. “Il faut protéger ce bien commun qu’est l’Assurance maladie”, martèle Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam.

Mais la tâche est immense et “complexe” compte tenu “la grande diversité d’acteurs et de prestations” que gère l’Assurance maladie, souligne-t-il : 60 millions d’assurés, 3 millions d’employeurs et des centaines de milliers d’assurés qu’il faut avant tout “payer vite, rembourser vite“, les irrégularités étant par la force des choses recherchées a posteriori. “On pourrait avoir des résultats plus importants si on mettait des verrous et des contrôles”, relève le patron de la caisse.

 

Entre 185 et 215 millions d’euros de fraudes pour les MG

Si les deux tiers des préjudices concernent les professionnels de santé* – “ce qui est logique car ce sont d’abord eux qui génèrent de la dépense”, tient à préciser Thomas Fatôme – pas question pour la Cnam de “prioriser”. “Notre plan vise à être présent sur l’ensemble des fraudeurs.” Conscient de l’émoi suscité au sein d’une profession par ces chiffres diffusés auprès du grand public, le directeur comptable et financier de la Cnam, Marc Scholler, insiste : “Il faut éviter de stigmatiser une profession, la fraude, c’est toujours le fait d’individus… parfois en bande organisée.”

 

 

La stratégie déployée vise en premier lieu à évaluer le risque de fraude, par poste de dépenses, pour mieux le détecter, le contrôler et le prévenir. Ces travaux statistiques ont donné lieu à de premières évaluations en mai pour les infirmières libérales et la complémentaire santé solidaire (C2S). La Cnam a dévoilé vendredi 30 septembre de nouvelles estimations : pour les quelques 57 000 généralistes concernés, l’évaluation du préjudice financier de la fraude est comprise entre 3.1 % et 3.5 % des dépenses (en 2018 et en 2019, respectivement), soit entre 185 et 215 millions d’euros, sur un total de 6 milliards. A noter qu’en 2019, seuls 9 millions d’euros de fraudes ont été effectivement détectées et stoppées…

 

Il s’agit essentiellement d’actes fictifs, de cotations non respectueuses de la nomenclature ou de la réglementation (majorations ou associations d’actes qui n’ont pas lieu d’être) et de fraudes à la prescription. Chez les transporteurs sanitaires, l’estimation est comprise entre 3.9 et 4.9 % des dépenses, soit entre 145 et 177 millions d’euros.

 

 

Pour mieux prévenir les fraudes et les fautes, la Cnam a généralisé depuis septembre 2021 un programme d’accompagnement des infirmières au début de leur exercice libéral. Il vise à les “former” à la nomenclature dès leur installation. Un premier contrôle “à blanc” a lieu quatre mois plus tard, qui a permis de relever “16 % de factures en anomalie”, signale Thomas Fatôme. Un deuxième contrôle sera organisé un an après, avec cette fois des sanctions à la clé en cas de non respect des bonnes règles de cotation. Cet accompagnement, qui a déjà concerné plus de 2000 infirmières, sera étendu en 2023 aux masseurs-kinésithérapeutes.

 

Cotations “impossibles”

La Cnam compte également accroître l’efficacité des “contrôles embarqués” dans ses systèmes d’information, et rendre ainsi “impossibles” les cotations non autorisées. Pour réduire le trafic de médicaments (médicaments onéreux, traitements substitutifs aux opiacés notamment), elle mise sur le déploiement des “ordonnances numériques” (avec QR code traçable), qui font actuellement l’objet d’expérimentations, et seront obligatoires d’ici fin 2024. Les mises à jour des logiciels-métiers certifiés Ségur ont démarré et se poursuivront au premier trimestre 2023.

 

 

L’Assurance maladie renforce par ailleurs ses capacités de détection des fraudes : un outil relevant des comportements atypiques chez les infirmières libérales (par rapport à l’activité des pairs et aux caractéristiques de la patientèle) a été déployé cette année et sera étendu à d’autres professions de santé en 2023. Un outil de mapping, visant à mettre en évidence les trafics de médicaments entre professionnels de santé (entre médecins et pharmaciens en particulier) sera diffusé d’ici la fin de l’année.

Parce que la “fraude se déplace et s’adapte“, la Cnam porte désormais une attention particulière à l’activité de téléconsultation… Si elle reste marginale pour la plupart des médecins libéraux, représentant en moyenne 4 % de l’activité des généralistes et 2 % de celle des autres spécialistes, “elle se développe vite et derrière, il y a des recours atypiques”, pointe Thomas Fatôme. Raison pour laquelle le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) prévoit de ne plus rembourser les arrêts de travail prescrits par des médecins inconnus des patients. Par ailleurs, dès le mois d’octobre, les CPAM s’adresseront individuellement aux médecins qui sont “bien au-delà” de la limite conventionnelle des 20 % d’activité en télémédecine pour leur dire “attention, vous avez une pratique qui n’est pas conforme”, annonce le directeur de la Cnam, qui revendique une approche “plus mordante” pour mettre fin “au far west“.

 

 

Le PLFSS 2023 intègre en outre une mesure visant à attribuer des pouvoirs de cyber-enquête à des agents agréés par la Cnam pour traquer les fraudeurs recrutant leurs clients sur les réseaux sociaux et les messageries sécurisées type Whatsapp (fausses ordonnances, faux tests négatifs de Covid etc.).

Autre risque de fraude qui émerge : le 100 % santé sur les prothèses dentaires et auditives et sur les lunettes. “Là aussi, malheureusement quelques individus ont profité de ces systèmes pour créer des facturations fictives”, a déploré le DG de la Cnam, citant “un ou deux gros dossiers chez des audioprothésistes”.

 

Recours accru aux déconventionnements

Enfin, le contrôle des arrêts maladie, déjà intensifié depuis le début de l’année (+50 % par rapport à 2021), sera encore renforcé avec une priorité accordée aux arrêts itératifs de courte durée chez des personnes qui sont peu ou pas consommatrices de soins, aux arrêts pour dorso-lombalgie et syndromes dépressifs/anxieux (trop souvent “injustifiés”) et aux arrêts de longue durée. La parenthèse Covid est bel et bien refermée.

Dernier volet de cette stratégie : la sanction. “Il faut intervenir plus rapidement, car récupérer un indus trois ans après c’est souvent compliqué, les vrais fraudeurs ont organisé leur insolvabilité”, souligne Thomas Fatôme. En plus des plaintes au pénal (2341 en 2021), des pénalités financières (8 millions d’euros en 2021), qui seront renforcées par le PLFSS 2023, et des procédures ordinales (189 condamnations l’an dernier), la Cnam annonce son intention de “recourir plus régulièrement au déconventionnement”. Rappelons qu’un décret publié en novembre 2020, décrié par les syndicats, permet d’ailleurs au directeur d’une CPAM de déconventionner “en urgence” un médecin ayant commis une violation grave ou ayant engendré un préjudice financier important. Une procédure exceptionnelle qui sera prochainement étendue aux pharmaciens, aux fournisseurs et aux transporteurs, et qui sera mobilisée “dans les prochaines semaines“, annonce Thomas Fatôme, pour plusieurs centres d’ophtalmologie dont les pratiques frauduleuses ont déjà donné lieu à 26 plaintes pénales et une enquête du parquet de Paris.

 

* Infirmiers, pharmaciens, fournisseurs de matériel médical et transporteurs sanitaires en tête.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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