Alors que l’hôpital craque, la ville, déjà grandement affaiblie, craint de devoir assumer seule les conséquences des difficultés d’accès aux soins. A quelques mois du début des négociations sur la future convention médicale entre les syndicats de libéraux et l’Assurance maladie, MG France a invité le directeur général de la Cnam lors de son Congrès à Dijon, le 25 juin, afin de tâter le terrain. L’occasion surtout de s’afficher unis avec les spécialistes et de mettre sur la table leurs revendications communes, tant sur le plan des conditions d’exercice que sur le plan financier. Si Thomas Fatôme s’est dit ouvert à la discussion sur certains sujets clefs, il a déjà fixé ses priorités. Le point.

 

C’est aux côtés de trois des syndicats représentatifs des médecins spécialistes (la CSMF, Avenir Spé et la FMF) que MG France a convié vendredi le directeur général de la Caisse nationale de l’Assurance maladie, Thomas Fatôme, à son 9e Congrès national afin d’enclencher les discussions sur la prochaine convention médicale, dont les négociations débuteront réellement à l’automne. Une unité clairement affichée dans un contexte de délitement du système de santé. “On attend tous beaucoup de la prochaine convention, a déclaré la Dre Agnès Giannotti, qui a été élue présidente du syndicat de généralistes à l’issue du congrès, ce dimanche. Soit ça passe, et notre système de santé reste debout, soit ça ne passe pas et les généralistes déplaquent, les jeunes ne s’installent pas, ceux qui sont au bord de la retraite partent et le système s’effondre.” Un message d’alerte lancé à Thomas Fatôme, assis à ses côtés.

“On est l’ossature du système de santé, il faut donc absolument que cette convention soit à la hauteur des besoins et des enjeux de l’ensemble du système de soins. Qui dit enjeux, dit enveloppe. On sait bien qu’on n’aura jamais l’enveloppe en début de négociations. Mais il faut qu’elle soit suffisante sinon on ne va pas y arriver”, a ajouté celle qui a pris la succession du Dr Jacques Battistoni. “Il faut que ce soit un Ségur de la ville.” “Si on loupe cette convention, la médecine libérale est mal partie. Il ne faut plus que l’on mette des rustines. Il faut qu’on nous donne les moyens”, a abondé sa consœur, la Dre Corinne Le Sauder, qui a souligné le “ras-le-bol” de la profession. La présidente de la Fédération des médecins de France a exposé un objectif ambitieux : “refonder la médecine libérale dans son ensemble” et “remettre l’hôpital au centre du village, c’est-à-dire en troisième recours”.

Face à l’accroissement des déserts médicaux et à l’inquiétude grandissante de la population française, le directeur général de la Cnam s’est montré conscient des enjeux : “Ce sera évidemment une convention très importante dans le contexte que nous connaissons”, a-t-il déclaré. En décembre, l’Assurance maladie évaluait à 6 millions le nombre de Français sans médecin traitant, dont 600.000 qui souffrent d’une affection de longue durée. “A l’Assurance maladie, nous avons le souhait de donner aux médecins traitants les moyens de répondre à la demande de la population, de travailler dans de meilleures conditions, et d’être davantage aidés”, a-t-il ajouté.

A ce sujet, le désormais ex-président de MG France, Jacques Battistoni, a dit vouloir fixer dans la convention qu’“il ne devrait plus y avoir de patients sans médecin traitant, au terme de l’exercice conventionnel 2023-2028” lors d’un atelier qui s’est déroulé plus tôt au cours du congrès. Le généraliste d’Ifs (Calvados), qui a annoncé son départ à la retraite, a notamment souligné l’importance de prendre davantage de personnes âgées et en ALD dans sa patientèle. L’un des moyens avancés pour inciter les généralistes à le faire est de “revaloriser le forfait médecin traitant (FMT) pour ces patients-là”, a-t-il fait valoir. Plus globalement, l’importance de valoriser la prise en charge de nouveaux patients est apparue indispensable.

Car les syndicats présents se sont tous accordés pour dire que les médecins devaient être force de proposition pour répondre à ce défi de taille au risque de se voir imposer des mesures contraignantes. “Le libéral est dans la même situation que l’hôpital. Ce sont aux soignants de dire de quelle façon ils doivent prendre en charge l’ensemble de la population et de faire leurs propositions”, a estimé le président d’Avenir Spé, le Dr Patrick Gasser. “A nous de leur faire comprendre que la lettre de cadrage doit être différente de celles faites antérieurement lorsque l’on était dans la soumission plutôt que dans la proposition.

“Le fruit des élections législatives fait que si on n’est pas force de proposition, il va être très facile pour le pouvoir – qui voudrait satisfaire certains groupes politiques – de prendre des mesures contraignantes à l’encontre des généralistes”, a avancé le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, invité à un atelier sur le sujet un peu plus tôt dans la journée.

Une crainte également partagée par le Dr Battistoni : “Soit la convention est capable de répondre à ce défi de l’accès aux soins […] soit d’autres nous imposeront des choses à notre place. On aura perdu, nous syndicats, le lieu de dialogue fondamental qu’est la convention et gâché nos dernières cartouches. C’est seulement en prenant en compte la demande de la population que l’on pourra dire que la convention est le bon outil”, a-t-il insisté.

 

“Construire une vraie équipe pour épauler le médecin traitant”

Pour permettre aux médecins de prendre en charge plus de patients “sans que cela ne veuille dire travailler plus”, le DG de la Cnam a affiché sa priorité : libérer du temps médical. “Vu le contexte démographique et les projections, c’est vraiment l’enjeu principal”, a-t-il assuré. Pour cela, l’Assurance maladie affiche sa volonté d’“épauler les médecins traitants et de construire auprès d’eux une vraie équipe” composée entre autres assistants médicaux et d’infirmières en pratique avancée (IPA). “Il faut donner envie aux médecins de recruter des assistants médicaux.” Car aujourd’hui, l’objectif des 4.000 contrats signés par Emmanuel Macron lors de son premier mandat n’est pas atteint : 3.217 ont été signés ou sont en cours de signature selon un bilan de l’Assurance maladie daté du 15 juin. Pourtant, selon Thomas Fatôme, “les résultats sont là : les files actives augmentent, le nombre patients médecin traitant augmente”.

 

 

Il a aussi été question des infirmières en pratique avancée, dont l’une des représentantes, Tatiana Henriot, était présente. Aujourd’hui, force est de constater que le modèle de l’IPA ne fonctionne pas. En témoignent les chiffres avancés par Tatiana Henriot : “Nous avons 967 IPA diplômées à ce jour, cet été, on sera environ 1.700. Dans les soins primaires, on comptait seulement 147 IPA début 2022, 37 en exercice exclusif.” La représentante a déploré la situation de “précarité” dans laquelle se trouvent les IPA libérales. “Quelques-unes ont déjà déplaquées.”

Pour le Dr Jacques Battistoni, “il n’y aura pas d’IPA libérales s’il n’y a pas d’acte de coordination. Définir un projet de soin pour un patient prend du temps. Si on voit moins souvent les patients, ce sera ipso facto des actes complexes qui devront être valorisés correctement”. “Quand on délègue des actes aujourd’hui, on est pénalisé”, a-t-il ajouté. Thomas Fatôme a assuré que l’Assurance maladie allait améliorer le modèle économique des IPA, et s’est dit “à l’écoute d’autres formes de coopération entre les professionnels”. De son côté, Tatiana Henriot a appelé les médecins à la coopération et à la coordination. “On parle de transfert de tâches, de compétences… Non. On doit tous œuvrer pour la santé de chacun […] La collaboration passe par cette écoute, ce travail ensemble, la redéfinition des rôles et surtout avancer rapidement.”

Le travail aidé apparaît pourtant primordial pour les syndicats de libéraux qui le plébiscitent de manière unanime, mais évoquent des difficultés. “On compte sur l’appui de la Cnam pour mettre en place des cadres pour embaucher des collaborateurs, parce qu’on n’y arrivera pas seuls, a lancé la Dre Agnès Giannotti. L’équité ce n’est pas seulement les revenus, mais aussi les conditions de travail. Pour cela, il nous faut des collaborateurs. Il faut donc mettre en place des cadres pour travailler tous ensemble.” Le Dr Battistoni a de son côté estimé qu’il fallait “certainement aller plus loin dans l’élargissement de l’équipe de collaborateurs autour du médecin traitant” car “il est évident qu’on n’aura pas plus de médecins dans cinq ans qu’on en a maintenant”.

“Ne faut-il pas créer à côté des assistants médicaux, une profession d’infirmière d’accueil et d’orientation ?… Probablement, a-t-il avancé. C’est le modèle qui existe à l’étranger et qui permet d’augmenter la productivité du médecin traitant et on doit augmenter cette productivité.”

Autre élément que souhaite porter l’Assurance maladie : les équipes de soins spécialisés (ESS), dont les “objectifs” devront clairement figurer dans la future convention, a insisté le président d’Avenir Spé. Le Dr Gasser a également remis sur la table la notion d’équipes de soins coordonnées autour du patient (Escap) : “Il va falloir les négocier dans cette convention, et pas autre part”, a-t-il soutenu.

Par ailleurs, Thomas Fatôme s’est dit prêt, sur demande de certains syndicats, à permettre des discussions interprofessionnelles. “Il faut déverrouiller un certain nombre d’outils conventionnels.”

 


De gauche à droite : Dre Agnès Giannotti, Thomas Fatôme, Dre Corinne Le Sauder © L. C.

 

Afin de réduire les inégalités de santé sur le territoire, le DG de la Cnam a également évoqué, sans entrer dans le détail, la place de la téléconsultation, l’amélioration de l’accès aux soins spécialisés avec notamment la possibilité pour les spécialistes de “se projeter en dehors de leur cabinet principal”, ainsi que la simplification des dispositifs d’aides à l’installation, “même si on sait que ce n’est pas forcément l’alpha et l’omega pour lutter contre les déserts médicaux”.

Les soins non programmés seront également un passage obligatoire dans la prochaine convention, a repris Thomas Fatôme. Certaines mesures pourraient d’ailleurs être effectives dès l’été à ce sujet, alors que les conclusions de la mission flash du Pr Braun pour répondre à la crise des urgences sont attendues sous peu. Quoi qu’il en soit, il conviendra de “faire le bilan de l’avenant 9”, a-t-il déclaré. “On n’est pas encore stabilisés sur l’organisation et les modèles […] Les soins non programmés ne marchent pas s’il n’y a pas de régulation efficace” qui “doit s’appuyer sur une effection correctement rémunérée”, a admis le directeur général. “Il y a matière à discussion et à débat.”

 

 

Sur ce point, la nouvelle présidente de MG France a alerté sur le risque de voir apparaître des “effets pervers” à l’issue de cette convention, notamment un déséquilibre entre la rémunération des soins non programmés et de celle des autres soins… Elle craint en effet l’ouverture de centres de soins non programmés, qui laisseraient des miettes aux médecins généralistes dans leur cabinet. Cette dernière a précisé qu’il fallait impérativement “répondre aux besoins de soins non programmés et non aux demandes. Qui dit demandes, dit régulation.”

Son prédécesseur a également évoqué l’importance de “valoriser la participation au Service d’accès aux soins (SAS).” Ce dispositif “ne marchera que si on a un outil de régulation qui fonctionne et si on a une organisation des effections qui ne repose pas sur un système d’astreintes qui stérilise du temps médical alors même qu’on a besoin de temps médical disponible”, a expliqué de son côté Thomas Fatôme.

 

Vers une évolution de la Rosp ?

La prévention, dont le Gouvernement veut faire l’une de ses ambitions prioritaires, doit également entrer dans les discussions conventionnelles, a évoqué Thomas Fatôme. “On ne peut pas se dire qu’on est en train de sortir de la crise sanitaire sans se dire que nos ambitions, nos résultats et nos politiques en matière de prévention et de santé publique sont insuffisamment efficaces. Nos indicateurs en matière de dépistage sont mauvais par rapport aux autres pays”, a-t-il déploré, citant notamment la vaccination, le tabagisme et l’alcoolisme. Il a dit vouloir “accompagner” les médecins libéraux “pour qu’ils deviennent des acteurs de prévention”, avançant comme moyens le dépistage organisé ou encore le numérique.

Il s’est également dit “ouvert pour faire évoluer la Rosp”. “Il faut sûrement la simplifier, la rendre plus efficace dans l’accompagnement des pratiques de qualité.” Il s’agit-là d’une demande des syndicats. Le Dr Luc Duquesnel a évoqué notamment l’idée de “revenir à 10 indicateurs au lieu de 29”. Le Dr Battistoni a plaidé également en faveur d’une valorisation “des actes de prévention”. “Nous devons passer d’une politique de santé purement curative à une politique curative et préventive”, a abondé le Dr Franck Devulder, président de la CSMF.

Par ailleurs, les syndicats ont défendu des consultations aux âges clefs de la vie.

 

Acte ou forfaits ?

La question de la revalorisation de l’acte de base a également été posée, sans forcément constituer l’enjeu principal des discussions qui ont eu lieu ce week-end. “Ce serait un choc culturel qu’il ne soit pas revalorisé, on n’a pas vu de convention sans revaloriser l’acte de base”, a néanmoins indiqué le Dr Duquesnel. Pour le Dr Battistoni, le “modèle économique n’est pas adapté à notre exercice. Il est hérité d’une période où on faisait des actes courts. Il n’est plus adapté à nos actes complexes”. Avenir Spé et la CSMF défendent de leur côté la hiérarchisation des actes. Le Dr Gasser a ainsi appelé de ses vœux “un choc de simplicité”. Le Dr Battistoni s’est montré lui méfiant au sujet de cette hiérarchisation : “Je me dis toujours que les tarifs les plus bas vont être pour les médecins généralistes et les tarifs les plus élevés pour les autres spécialités.”

 

 

D’autres points qui n’ont pas été détaillés lors du congrès devraient pourtant trouver leur place dans les discussions : le numérique en santé, la nomenclature, ou encore la visite à domicile : “Est-ce qu’on pense véritablement, compte tenu de la démographie, remettre des généralistes en situation de faire beaucoup de visites ? Je ne suis pas certain. Est-ce qu’il ne faut pas promouvoir des visites à domicile d’infirmières avec de la téléconsultation assistée en bonne intelligence avec les médecins traitants pour avoir une bonne utilisation des ressources des professionnels de santé ?”, s’est néanmoins interrogé le DG de la Cnam.

 

Consolider la confiance entre l’Assurance maladie et les médecins

Une chose est sûre. La confiance devra être pleinement rétablie pour qu’il y ait une convention, s’accordent les syndicats. “Aujourd’hui, pour l’Assurance maladie, nous sommes des bandits. On l’a vu dans les négociations sur l’avenant 9 l’an dernier. Comment voulez-vous qu’on puisse engager des négociations conventionnelles s’il n’y a pas de confiance ? On n’y arrivera jamais”, a fustigé le Dr Duquesnel. “La Caisse nous considère comme des délinquants, on est muselés”, a ajouté sa consœur de la FMF.

A cela, Thomas Fatôme a assuré vouloir “cultiver et consolider” cette confiance et s’est dit “optimiste” à propos des négociations conventionnelles qui vont être entamées à l’automne. “J’ai l’impression que ça fait quelques années que l’Assurance maladie a évolué, changé son mode de relation, a construit des mécanismes d’accompagnement avec les médecins et les autres professionnels de santé, qui sont avant tout basés sur la confiance.”

Il a également répondu aux “pressions de contrôle” dont se sont dit victimes les syndicalistes. “Je serais le directeur général de la Cnam le plus heureux si je disais à mes médecins conseils de faire autre chose que contrôler des arrêts de travail […] Mais il y a encore 14 à 18% des arrêts de travail injustifiés dans ce pays […] On ne travaille pas dans l’optique que c’est avec le contrôle que l’on avance, mais on doit progresser dans la qualité des prescriptions, dans le respect des référentiels, dans l’utilisation des outils numériques.”

L’enjeu est important : rétablir l’attractivité de la médecine libérale, et notamment de la médecine générale, a indiqué MG France. Cette convention devra être celle de la médecine générale, selon le syndicat car “c’est la discipline qui souffre le plus aujourd’hui”, a estimé le Dr Battistoni. “Cette convention doit être celle du médecin généraliste traitant, a précisé la nouvelle présidente du syndicat. C’est lui qui est garant du parcours de soins, qui va s’engager à prendre en charge dans la durée les patients dans leur complexité, leur parcours de vie, histoire, avec les collègues des territoires […] Si vous enlevez le premier niveau du château de carte, le système de santé s’écroule.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Louise Claereboudt

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