À l’approche de l’été, la Première ministre et la ministre de la Santé et de la Prévention s’activent pour solutionner, tant bien que mal, le problème d’accès aux soins dans les territoires. Qualifié « d’urgence » par Élisabeth Borne, le dossier des fermetures de services d’urgence va donner lieu à une grande concertation avant la fin du mois entre Brigitte Bourguignon et les syndicats. Mais attention, prévient le Dr Luc Duquesnel, président Les Généralistes-CSMF, la médecine libérale vit le même phénomène que les urgences. Il appelle à faire confiance aux médecins, sur le terrain, pour s’organiser face aux besoins de santé.

 

Beaucoup annoncent un « été noir » dans les services d’urgence, à l’hôpital. À quoi faut-il s’attendre en ville ?

On parle beaucoup de la fermeture des services d’urgence… Mais on rencontre la même problématique dans les cabinets médicaux, entre les médecins qui cessent leur activité et ceux qui vont partir en vacances et qui ne seront pas remplacés. Logiquement, on fait donc face aux mêmes questions : comment va-t-on faire cet été pour affronter toutes les demandes de soins qui vont venir de patients qui ont un médecin traitant mais qui ne sera pas là ? Comment prendre en charge les patients renvoyés par les urgences qui seront fermées, sans compter les patients qui n’ont pas de médecin traitant ? Il faut bien avoir à l’esprit que la médecine de ville vit le même phénomène que les urgences. D’ailleurs, souvent, les territoires où il y a des fermetures de services d’urgence faute de professionnels (médecins, infirmiers…) sont aussi des territoires où l’on manque de généralistes. La question qui va se poser – c’est pour cela que la Première ministre s’empare d’ailleurs du sujet –, c’est : comment faire pour qu’il y ait le moins possible de perte de chance pour les Français cet été ? Je rappelle aussi que les services d’urgence ne sont pas les seuls concernés, il y aura également des fermetures de structures mobiles d’urgence et de réanimation (Smur).

 

Cette situation n’est pourtant pas nouvelle…

Non, bien au contraire. Dans mon département par exemple, c’est la quatrième année de suite qu’une réunion entre l’agence régionale de santé (ARS), les services d’urgence et l’association de permanence de soins ambulatoire est organisée. Jusque-là, on appelait cela la « crise estivale ». Mais finalement cette crise s’est prolongée à la suite de l’été 2021 dans certains services. Des hôpitaux pivots de groupements hospitaliers de territoire (GHT) peuvent fermer une nuit sur trois depuis cette époque, c’est le cas sur mon territoire. Mais là, la nouveauté, c’est que cela se généralise. Pour la première fois, un centre hospitalier universitaire (CHU), celui de Bordeaux, a même annoncé qu’il fermerait certaines nuits.

 

Le service d’accès aux soins (SAS) peut-il être l’une des solutions pour les médecins ?

On constate aujourd’hui leur échec quasi total pour améliorer l’accès aux soins. Si on avait un SAS opérationnel dans tous les départements, je ne vais pas dire que tous les problèmes seraient résolus mais ils le seraient en grande partie. La vocation du SAS est de permettre la prise en charge des soins non programmés aux heures d’ouverture des cabinets. Malheureusement, notamment à cause de l’avenant 9, il a été un échec, y compris pour ceux qui faisaient partie de l’expérimentation nationale. Parfois, on a la régulation mais très rarement les effecteurs.

 

Comment les médecins, sur le terrain, peuvent-ils s’organiser pour assurer une continuité des soins en médecine libérale cet été ?

Il va s’agir de poser de multiples briques les unes à côté des autres. On voit déjà des organisations qui sont mises en place comme, par exemple, celles où les libéraux sont d’astreinte et prennent en charge au niveau de leur communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), de leur maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), des appels transmis par le centre 15 ou par le SAS quand il y en a un qui fonctionne grâce à des financements complémentaires. Ce sont des accords locaux. Aujourd’hui, très clairement, il va y avoir deux types de décisions à prendre. Premièrement, la ministre de la Santé et de la Prévention doit donner l’ordre aux ARS d’être d’une grande vigilance afin d’accepter les organisations proposées par les médecins libéraux et les généralistes en particulier. Je pense que les généralistes ont prouvé en 2020 et 2021 avec les centres Covid, puis les centres de vaccination, qu’ils avaient la capacité de mettre en place en une semaine des organisations territoriales qui correspondent aux besoins de santé de leurs territoires. Et puis il doit y avoir des mesures à l’échelle nationale prises dans l’urgence. Des mesures dérogatoires pour cet été.

 

Quelles seraient les mesures prioritaires à prendre avant la fin du mois de juin ?

J’en vois au moins quatre prioritaires. D’abord, il faut permettre la rémunération de la consultation téléphonique afin de libérer du temps médical pour prendre en charge plus de patients. En 2020, on a pu faire, par exemple, beaucoup de renouvellements d’ordonnances de cette manière. Nos patients âgés n’ont pas FaceTime ni WhatsApp et donc la consultation téléphonique, qu’il faut rembourser, prend tout son sens. Ensuite, il s’agit de financer la régulation de jour au tarif demandé par les médecins. Enfin, la dernière chose serait qu’on permette l’application de la majoration régulation médecin traitant (MRT) de manière dérogatoire pour tout patient pris en charge par un généraliste après un appel du 15 ou du SAS. Cette majoration existe dans notre nomenclature, mais on ne peut l’appliquer qu’avec nos propres patients. En plus de cela, il faut à mon sens aussi permettre le transport des patients qui n’ont pas de véhicule ou les moyens de venir consulter le médecin. Là, c’est aux collectivités et aux autorités d’agir. Nous, médecins, n’avons pas le temps de nous consacrer aux visites lorsqu’il s’agit de patients qui ont un état de santé qui leur permet de se déplacer. Par ailleurs, il faut inciter les médecins à faire des téléconsultations assistées avec des infirmières. Enfin, il faut relever les plafonds d’activité pour les médecins retraités qui veulent remplacer cet été. Ceci a été un élément très probant pour permettre un fonctionnement efficace des centres de vaccination.

 

Le président de la Fédération hospitalière de France (FHF) s’est, lui, prononcé en faveur du rétablissement de l’obligation de garde, évoquant même un sujet « tabou » pour les médecins généralistes…

J’ai été très surpris de cette diatribe de Frédéric Valletoux, reprise par les élus, qui amène à une désinformation. On sait pourtant que Frédéric Valletoux a une connaissance de la réalité du terrain. Aujourd’hui, la moitié des généralistes ne participe pas à la permanence des soins. Pourquoi ? Parce qu’il n’y en a pas besoin. Quand on a 96 % de la permanence des soins qui est assurée les week-ends et jours fériés, 95 % en soirée, que va-t-on faire de ces médecins qu’on obligerait à prendre des gardes ? Il n’y en a pas à prendre. Les zones blanches, ce sont des zones où il n’y a de toute façon pas de praticiens. Les médecins le faisaient avant, mais dans les grandes villes où il y avait deux tours de garde entre la leur et celle de SOS Médecins. Or je rappelle que ce sont les ARS qui les ont supprimées. On ne va quand même pas reprocher aux généralistes aujourd’hui de ne pas faire de gardes alors que c’est l’ARS qui a supprimé leur tour de garde !

 

Vous êtes donc opposé à toute obligation de garde ?

Oui. La question qu’on peut se poser compte tenu de tout cela, en revanche, c’est si Frédéric Valletoux n’aurait pas en tête de faire prendre des gardes à l’hôpital aux généralistes. Mais… Ces médecins travaillent plus de cinquante heures par semaine. À l’hôpital, quand on est de garde, on récupère le lendemain. Et là, on voudrait demander à des médecins généralistes qui ont une charge horaire conséquente de venir prendre des gardes à l’hôpital sans récup’ le lendemain ? Pour qu’on travaille soixante-dix, quatre-vingts heures par semaine ? Je le dis clairement : c’est le goulag, monsieur Valletoux. À un moment, je pense que le président de la FHF confond la présidence d’une fédération hospitalière avec ses propres ambitions politiques.

 

Les généralistes sont-ils inquiets à l’approche de cet été ?

Oui, ils sont inquiets, car quand des services d’urgence ferment, c’est nécessairement une activité plus importante pour les généralistes qui ont déjà la tête sous l’eau. Déjà aujourd’hui, des médecins régulateurs sont au bord du craquage et ont parfois 70 appels à réguler en deux heures. Cela entraîne du désengagement. Les dysfonctionnements de l’hôpital vont entraîner des dysfonctionnements de la médecine libérale. Une dernière chose est à noter : ces discours leur renvoient une image négative malgré tout ce qu’ils peuvent donner. Globalement, ce manque de reconnaissance est frustrant. Malheureusement, on commence à en avoir l’habitude : pendant l’épisode Covid, le personnel de l’hôpital a eu beaucoup de reconnaissance, contrairement aux libéraux qui n’ont rien eu.