La semaine dernière, les opinions du Pr Christophe Berkhout et du Dr Xavier Lemercier se sont affrontées dans les colonnes d’Egora sur la question : l’installation des médecins dans les déserts médicaux relève-t-elle d’une obligation éthique ? Si pour le Pr Berkhout, l’installation en zone sous-dense relève d'”une question d’éthique personnelle”, ça n’est pas l’avis des lecteurs d’Egora lassés de ces obligations et devoirs qui ne pèsent que sur les médecins.

 

Interrogé sur le devoir éthique pour les médecins de s’installer en zone sous-dotée, le Pr Christophe Berkhout, médecin généraliste à la MSP du Kruysbellaert (Dunkerque) et professeur de médecine générale à l’université de Lille a formulé une réponse qui n’a pas manqué de faire réagir les lecteurs. “Je pense que les médecins sont formés pour soigner les populations pour qu’elles restent en bonne santé dans un premier temps, et pour rétablir leur santé dans un deuxième temps. C’est une formation payée par la collectivité. Je sais que les internes considèrent qu’ils sont exploités et qu’ils paient leurs études par leur implication dans les hôpitaux. Mais en tant qu’universitaire et maître de stage, je suis bien placé pour savoir que le rendement d’un interne n’est pas le même que celui d’un médecin formé, sans compter la nécessité d’une supervision. Nous avons donc des Français qui, par leurs impôts, paient neuf et bientôt dix ans d’études à des généralistes, assurent ensuite leurs revenus via leurs cotisations sociales. Le fait qu’une bonne partie d’entre eux aient de grandes difficultés pour accéder aux soins me pose un vrai problème éthique”, a-t-il estimé.

De son côté, le Dr Xavier Lemercier, médecin généraliste au pôle de santé Madeleine-Brès à Vouneuil-sur-Vienne (Vienne) et fondateur de la CPTS du Pays Châtelleraudais s’est opposé à cette notion de “vocation” qui est selon lui “l’un des meilleurs moyens d’user les soignants par une charge mentale et une pression sociale trop importantes, et de les conduire au burn out.”

Le débat entre les deux généralistes a suscité une floppée de commentaires, pour la plupart indignés par la vision “sacrificielle” du Pr Berkhout. Florilège.

 

“Enterrement sans fleurs ni couronnes”
Par Christophe_P

“Seul, où à quelques-uns, en rase campagne, ça peut aussi s’apparenter à un enterrement sans fleurs ni couronnes. Je connais nombre de confrères à qui ça n’a pas réussi. Dépression, addictions, suicide…Rien que le mot « obligation », éthique ou non, fait peur.”

 

“Autant supprimer le système libéral”
Par Roccesar

“Pauvre médecine française…
Quand je pense que nous avions le système de santé jugé comme le meilleur au monde, que nous avions une formation de qualité, des pôles d’excellence, un concours à la méritocratie…
Tout se perd, y compris la qualité des soins et la réforme du concours d’entrée en médecine va aggraver la situation.
Les propos tenus dans cet article sur le travail des internes sont vraiment abjects ! Quand je pense qu’à mon époque, les services tenaient grâce au travail et au dévouement des étudiants. Combien ai-je passé de gardes sans voir de séniors de toute la nuit ?
L’abandon du paiement à l’acte ? Autant supprimer le système libéral, faire de tous les médecins des salariés de l’état, mais avec congés payés, 35h/semaine, arrêt maladie avec versement d’indemnités suffisantes et dignes pour vivre, etc. Mais à l’instar des enseignants, je veux les mêmes syndicats.”

 

“Livrés à nous-même”
Par Piotr14

“Etudes payées par la collectivité, venant d’un Confrère, on croit rêver… C’est vrai que tous les internes que nous avons été et qui sont en exercice, peuvent témoigner de cette supervision tellement rassurante, notamment dans les services d’urgence des hôpitaux périphériques, où nous étions bien souvent livrés à nous-même.”

 

“Pourquoi l’obligation éthique de s’installer dans un désert ne s’appliquerait qu’aux médecins ?”
Par Lmnnd66

“Nos études sont financées par la collectivité… soit, mais pas seulement les nôtres, celles des enseignants, des avocats, des juges… (l’enseignement supérieur public étant organisé et financé par l’Etat) pourquoi l’obligation éthique de s’installer dans un désert ne s’appliquerait qu’aux médecins ?”

 

“L’apologie de l’exercice sacrificiel”
Par Bozboz

“L’amour de la médecine, l’amour de soigner, les efforts consentis pour être en droit de le faire, se heurtent, dans la France du 21ème siècle, à l’incompétence organisationnelle de notre société ! Alors, faute de solution face aux désespoirs humains qu’elle a créée, qu’elle crée tous les jours, nous voyons de partout émerger l’apologie de l’exercice sacrificiel ? Faute d’idées, l’état ultra-centralisé, incapable depuis des décennies de faire face, théorise de plus en plus, avec ses adeptes, la politique de l’offrande au peuple : “prenez ces jeunes médecins diplômés, ils ne le savent pas encore, mais nous les rendrons heureux malgré eux, dans les coins désertiques que nous avons, que nous continuons à abandonner” !”

 

“Nous ne devons rien à personne”
Par Kassoufpaul

“Nous sommes des libéraux. Nous payons nos frais de cabinet, notre Urssaf, notre Carmf, nos assurances.
Pour nous former nous faisons tourner un hôpital à bout de souffle, avec des équipes, des moyens et un encadrement insuffisants.
Nous ne devons rien à personne hormis notre conscience.
Entre la certification, les paiements aux forfaits et leur évolution qui sont clairement là pour nous contrôler, l’obligation de gardes qui repointe son nez, je pense qu’on risque de décourager ceux qui veulent s’installer, encourager ceux qui peuvent partir à la retraite de partir, et de donner envie à ceux qui restent de dévisser. Moi en tout cas j’y pense.”

 

“J’ai juste envie d’abandonner”
Par Léa _D

“Je suis à 1 mois de l’ECN, je compte prendre médecine générale. Mais en lisant ce genre d’articles, ou les commentaires du doyen des doyens etc j’ai juste envie d’abandonner et de faire toiletteuse pour chiens. J’ai 30 ans, je veux juste vivre une vie qui m’intéresse.”

 

“Avant d’être des déserts médicaux, bien des régions deviennent des déserts tout court”
Par Aigual

“Dans le passé il y avait des médecins dans les zones rurales qui arpentaient les villages en plus de leurs consultations au cabinet. Ils étaient des NOTABLES RESPECTÉS et avec des conditions de rémunération qui en faisaient sinon des riches, des catégories aisées.
Aujourd’hui les conditions d’exercices des “anciens ” ne sont plus acceptées par des médecins qui se sentent dévalorisé voire “prolétarisés “.
Par ailleurs, avant d’être des déserts médicaux, bien des régions deviennent des déserts tout court avec disparition des commerces des écoles des bureaux de poste… Et il faut vraiment avoir un moral d’acier pour aller s’y installer avec femme et enfants.
Donc une fois de plus l’éthique a bon dos et si le système de santé français dégringole dans le classement mondial et que les déserts ruraux et urbain s’étendent les ce ne sont pas les incantations à l’éthique médicale qui changeront quoi que ce soit.
Alors NON s’installer dans un désert médical n’est pas un devoir éthique parce que cette notion est tout simplement HORS SUJET.”

 

“L’étudiant en médecine fait gagner de l’argent à l’Etat”
Par Morkai421

“En tant qu’universitaire et maître de stage, je suis bien placé pour savoir que le rendement d’un interne n’est pas le même que celui d’un médecin formé ”
Je vous rassure : le salaire non plus.
Toutes les études montrent la même chose : l’étudiant en médecine fait gagner de l’argent à l’Etat.
Le week-end je suis le cardiologue senior de garde dans un hôpital périphérique ou une clinique. La semaine je suis le larbin payé au lance-pierre. Je vous assure que je m’occupe de la même façon des patients, mais ça fait réfléchir.”

 

“En 2030, il n’y aura plus personne en ville”
Par Sophie_S_3

“L’éthique et la vie réelle
Croire que beaucoup de médecins ne se sont pas sacrifiés sur leur devoir, c’est cracher sur ses milliers de médecins qui depuis le 20ieme siècle ont sacrifiés leur famille, leur santé, à travailler 80h , à faire des gardes pour tout et n’importe quoi (appel à 7h un dimanche pour un bouchon d’oreille!), à travailler mort ou vif.
J’ai 53 ans, et une santé défaillante depuis plus de 10 ans mais j’aime mon métier et je ne suis partie ni vers le salariat ni mis en invalidité. Je travaille depuis 25 ans avec les personnels de santé de mon territoire, gérant les fins de vie sans besoin d’un ormeau de papier disant que j’ai besoin administrativement de faire partie d’une CPTS ou tout autre organisation.
J’ai perdu 12 médecins amis et collègues. Il y avait entre autre trois MG de 53 à 56 ans, tous ayant eu au moins 2 infarctus… Les trois n’ont pas atteint leur retraite. Et ce jeune de 45ans retrouvé un dimanche après-midi dans son cabinet avec l’appareil à ECG sur lui ayant enregistré son IDM fatal. Ou les trois autres, morts sur la route un soir de garde… Est-ce qu’on les a couronnés d’une médaille, d’un “mort pour la patrie” ?
Non.
Nous devrions subir sans profiter des acquis des autres professions, encore et toujours. J’ai calculé combien je peux avoir d’IJ avec leur système : 69 euros, même pas trois consult! Alors que l’IJ que je paye depuis 20 ans est d’au moins 185 euros. Quelle avancée ! Et nos syndicats qui ne représentent même pas la moitié des MG libéraux font la part des autorités.
Ces articles qui sortent de plus en plus sur Egora ou autres sont toujours dans le sens que nous ne faisons pas assez d’efforts, nous nous salarions trop. Nous nous nous… Jamais eux sont responsables, eux étant tous les gouvernements successifs, ses politicards, ses représentants syndicats qui n’ont fait que nous plonger la tête sous l’eau. Ne vous inquiétez pas, en 2030, il n’y aura plus personne en ville !”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Bonin

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