Entre les recommandations du Haut Conseil de santé publique (HCSP), celles des experts de la Société française de pédiatrie (SFP) et le flux continu d’informations nutritionnelles, le médecin de famille peut être en grande difficulté une fois confronté aux interrogations, toujours très précises, parfois inattendues, de parents de jeunes enfants ou d’adolescents. Le Pr Patrick Tounian, chef du service de nutrition et de gastro-entérologie pédiatriques de l’Hôpital Trousseau (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), fait le point pour les plus jeunes, puis pour les plus grands.

 

De 0 à 3 ans

Les préconisations des experts de la SFP sont heureusement en majorité en phase avec celles du HCSP, élaborées par des épidémiologistes sur la base de recommandations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) établies par des ingénieurs agronomes, avec toutefois quelques points de divergence…

 

Egora-le Panorama du Médecin : Quelle alimentation de 0 à 4 mois ?

Pr Patrick Tounian : Il n’y a rien de mieux que l’allaitement maternel, une telle évidence qu’il est inutile d’en justifier la supériorité versus le lait infantile. Si toutefois la mère ne peut ou ne veut pas allaiter, quelles que soient ses raisons, le lait infantile dont la composition est réglementairement déterminée, à base de protéines de lait de vache ou de riz, est une alternative sûre et efficace que l’on peut proposer… sans culpabiliser.

 

De 4 mois révolus à 12 mois ?

Cette période de la diversification suscite un nombre considérable de questions ! Depuis 2015 et une publication du NEJM pour l’arachide, et une autre dans le Lancet pour l’œuf en 2017, on sait qu’il convient d’introduire avant l’âge de 6 mois les aliments les plus allergisants – arachide, œuf (cuit puis cru), fruits à coque, poisson, blé – et ce, quel que soit le nourrisson, à risque allergique ou pas, allaités ou non. Tous les aliments peuvent être proposés dès 4 mois sur un socle, jusqu’à 12 mois, de 3 biberons de lait infantile (700 ml en tout), essentiellement pour leurs apports en fer et en acides gras essentiels (AGE), ou 3 tétées, les nourrissons étant alors systématiquement supplémentés en fer.

Entre 6 mois et un an, les graisses doivent représenter 40 % des apports énergétiques (le cerveau est composé de 60 % de graisses) et donc être ajoutées à tous les plats salés, petits pots ou faits maison – beurre, margarine, huile et crème. On les atteint sinon difficilement. Les huiles les plus équilibrées en oméga3/6 sont celles de colza ou de noix (l’huile d’olive est, elle, plébiscitée pour son goût). Les laits et fromages non pasteurisés ainsi que les viandes insuffisamment cuites sont proscrits avant l’âge de 5 ans.

La règle de l’introduction d’un seul aliment à la fois est obsolète et n’est vraie que pour les aliments à fort potentiel allergisant. Il est conseillé de respecter l’évolution des textures : dès 8 mois, moins lissée, moulinée ; à 10 mois, des petits morceaux de taille et de solidité croissantes au risque sinon que l’enfant refuse ces morceaux plus tard…

L’apport en protéines qui serait trop élevé pour le HCSP est un point de divergence. Si la consommation de produits carnés n’est effectivement pas indispensable avant l’âge d’un an si l’enfant boit au moins 700 ml de lait 2e âge, la restriction des apports en protéines, au motif qu’elles seraient obésogènes selon certains travaux contestables ou altéreraient le fonctionnement du rein, est à notre avis injustifiée. Autre point de désaccord avec le HCSP : le fait qu’il déconseille les apports de sel ou de sucre pour ne pas habituer au goût salé ou sucré à l’âge adulte. Aucun lien n’a été jusqu’ici démontré entre la consommation sodée lors de la petite enfance et une appétence accrue pour le sel à l’âge adulte. Par ailleurs, on peut habituer l’enfant à manger son yaourt sucré, ce qui ne veut pas dire l’habituer au sucré en général… De plus, la préférence gustative pour le sucré n’est en rien associée à une tendance au grignotage ou à un risque accru d’obésité. On ajoute donc raisonnablement du sel ou du sucre qui peut favoriser la découverte du plaisir des repas.

 

 

Et de 1 à 3 ans ?

La SFP recommande le lait de croissance, notamment pour son fer, à raison d’au moins un biberon de 250 ml par jour : près de la moitié des enfants qui n’en consomment pas ont des apports en fer en deçà des apports conseillés (5 mg/jour). En défaveur du lait entier de vache UHT suggéré par le HCSP à la place du lait de croissance : la nécessité de couvrir les besoins en fer par des aliments solides, ce qui peut s’avérer problématique. En effet, le lait de croissance ne peut être remplacé à cet âge par de la viande ou des légumineuses : 360 ml de lait de croissance équivalent en termes de fer dûment absorbé à 125 g de produits carnés, 930 g d’épinards cuits ou 1,4 kg de légumineuses cuites. Autrement dit, ce lait de croissance reste indispensable jusqu’à ce que l’enfant puisse ingérer 100 à 150 g de produits carnés par jour, soit entre 3 et 6 ans. Enfin, dans cette période des 1000 jours, s’il convient d’être particulièrement attentif aux apports en fer, en AGE et à l’âge d’introduction des aliments, aucune étude n’a montré que l’on pouvait prévenir l’obésité de l’enfant avec l’allaitement, une réduction des apports protéiques ou sucrés, le dépistage et la prise en charge précoce d’un rebond d’adiposité.

 

De 3 à 17 ans

L’alimentation de 3 à 17 ans repose sur 4 piliers où, là encore, des divergences entre les différentes autorités de santé peuvent semer le doute dans l’esprit des médecins prescripteurs et des parents.

 

Egora-le Panorama du Médecin : Quels doivent être les apports en fer ?

Pr Patrick Tounian : La SFP est en désaccord ici avec le HCSP, qui ne juge pas nécessaire de consommer de la viande à chaque repas et suggère des sources alternatives de protéines (légumineuses, céréales peu raffinées, etc.) … sans tenir compte de leur richesse en fer : or, pour la SFP, un produit carné 2 fois par jour est nécessaire. C’est dans cet aliment que l’on trouve certes des protéines, mais surtout du fer qui peut être absorbé, à la différence du fer non héminique des végétaux (qui l’est 7 à 8 fois moins). Pour absorber un mg de fer, il faudrait avaler 130 g de bœuf, 800 g de poisson, 1,5 kg d’œuf, 1,7 kg de steak végétal ou 370 mg de céréales complètes par jour ! Le produit carné – bœuf, veau, porc ou agneau et bien sûr le boudin noir (alliance de sang et de viande de porc) – est donc irremplaçable. Limiter ces apports à 500 g par semaine pour les adolescents mettrait la grande majorité d’entre eux en carence martiale, qui est d’ailleurs la première maladie nutritionnelle au monde.

 

Et ceux en calcium ?

Le deuxième pilier de la construction d’un enfant est le calcium, à raison de 800 mg pour les 4-10 ans et 1 150 mg quotidiens idéalement pour les 11-17 ans ! De 3 à 17 ans, à l’âge de constitution de ses stocks, il doit consommer 3 à 4 produits laitiers par jour. Une supplémentation est indiquée si les apports culminent à 300 mg/j, soit l’équivalent d’un bol de lait. Le vecteur de ces apports est un autre point de divergence avec les experts du HCSP qui proposent des alternatives aux produits laitiers : le chou frisé certes, mais encore d’autres végétaux qui sont loin d’atteindre les taux de calcium biodisponible du lait. Certaines eaux (Courmayeur, Contrexéville, etc.) et des boissons végétales enrichies en calcium sont des alternatives possibles.

 

Qu’en est-il des acides gras essentiels (AGE) ?

Une à deux portions de poisson (dont un gras : saumon, sardine, maquereau, truite, dorade, etc.) par semaine suffisent pour couvrir les besoins en acide docosahexaénoïque (DHA). On opte à cet âge aussi pour les huiles les mieux équilibrées en oméga 3/6, soit celles de colza (plus facile) ou de noix qui assurent les apports en AGE, acide linoléique et alpha-linolénique.

 

Quelles sont les quantité nécessaires concernant les phytonutriments ?

Le postulat du HCSP – 5 fruits et légumes par jour – repose sur les résultats de l’étude SU.VI.MAX qui a mesuré les effets d’une supplémentation en anti-oxydants sur 8 ans (sous forme de gélules correspondant à ces fameuses 5 portions). Or les femmes soumises à ce “régime“ pendant des années n’en ont tiré aucun bénéfice ; et chez les hommes uniquement, de plus de 35 ans, il a été observé une réduction de l’incidence du cancer du colon. En tout état de cause, il n’existe aucune démonstration pédiatrique de l’intérêt de cette jauge à 5 fruits et légumes par jour. Gardons-nous de tout adultomorphisme en la matière !

Les végétaux apportent spécifiquement des fibres et des anti-oxydants, de la vitamine B9 (l’acide folique) et de la vitamine C. Pour que carence il y ait en ces vitamines, il faudrait que le régime alimentaire en soit totalement et durablement dépourvu. Par ailleurs, des carences en fibres et en anti-oxydants n’ont jamais été décrites. On peut par conséquent conseiller au moins un fruit et légume par jour et, pour leurs calories, des féculents.

Une fois ces quatre piliers confortés, donc après un repas équilibré, les aliments ou boissons “plaisir“ sont envisageables…

 

*Le Pr Tounian déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles pour : CNIEL, Blédina, Carrefour, Interbev, Mead-Johnson, Nestlé, Novalac/Ménarini, Plainemaison, Sodilac.

 

[D’après un entretien avec le Pr Patrick Tounian, chef du service de nutrition et de gastro-entérologie pédiatriques de l’Hôpital Trousseau (Paris), à l’occasion d’une conférence de presse organisée par le Fonds français pour l’alimentation et la santé (FFAS), le 9 février 2022.]

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Brigitte Blond

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