Une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), publiée ce jeudi 3 mars, montre que les revenus des médecins libéraux n’ont cessé d’augmenter depuis 2005, atteignant en moyenne 120.000 euros en 2017. Selon des données provisoires de la Carmf, ces revenus ont continué leur progression jusqu’en 2019. Mais l’épidémie de Covid-19 risque bien de changer la donne, la Carmf ayant dévoilé mi-février l’importante chute du bénéfice non commercial (BNC) déclaré par les médecins libéraux pour l’année 2020.

 

120.000 euros. C’est le revenu d’activité annuel moyen perçu par un médecin libéral en 2017, révèle la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), dans une étude publiée ce jeudi 3 mars. L’organisme – placé sous la tutelle de plusieurs ministères dont celui de la Santé – a étudié les revenus des médecins libéraux (ou ayant une activité mixte) âgés de 70 ans ou moins et exerçant en France entre 2014 et 2017. Pour cela, il a analysé les données issues de la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) et celles issues des déclarations de revenus recueillies par la Direction générale des finances publiques (DGFiP).

Au travers de ses travaux, la Drees montre que les revenus des médecins libéraux n’ont cessé d’augmenter sur la période. En moyenne, on note une progression de 1,9% par an en euros courants (après déduction de l’inflation). C’est bien plus que sur les neuf années précédentes (2005-2014). Pour la Drees, ceci s’explique notamment par la mise en place de revalorisations tarifaires en 2017, actées lors de la dernière convention médicale, “dans un contexte d’inflation plus modérée”. Le 1er mai 2017, la consultation de référence de médecine générale passait en effet de 23 à 25 euros pour les médecins en secteur 1 ou adhérant au dispositif de maîtrise des dépassements. Chez les spécialistes, elle passait de 28 à 30 euros le 1er juillet de la même année.

Le Dr Patrick Gasser, président du syndicat Avenir Spé, contacté par Egora, avance également le fait que les médecins libéraux ont une plus grande activité du fait de la baisse du nombre de praticiens en exercice. Les libéraux étant de plus en plus sollicités, leur chiffre d’affaires “augmente en proportion”, explique-t-il.

 

 

La hausse des revenus des médecins libéraux n’est toutefois pas la même pour tous, nuance l’institut de statistiques. En effet, si les médecins spécialistes ont vu leurs revenus augmenter en moyenne de 2,2% entre 2014 et 2017, la hausse a été plus timide chez les omnipraticiens (MG ou médecin ayant un mode d’exercice particulier, comme la médecine du sport), +1,7%, bien que nettement supérieure à celle qu’ont pu observer les salariés du privé et des entreprises publiques, observe la Drees. En 2017, les revenus des généralistes s’élevaient en moyenne à 92.000 euros, contre 152.000 pour les médecins spécialistes.

“Le combat pour l’équité entre spécialités est un combat qui n’est pas encore gagné, déplore le Dr Jacques Battistoni, président de MG France, contacté par Egora. En 2016, dans la convention, on a essayé de promouvoir cette équité entre spécialités, avec notamment une forme d’égalité des tarifs, mais on n’y est pas encore.” “Cela flèche bien le chemin qu’il reste à parcourir”, a-t-il ajouté, à un an de la prochaine convention médicale, qui aura lieu en 2023. L’enjeu sera selon lui de rendre la médecine générale plus attractive car “la plupart des spécialités les plus choisies sont aussi celles qui sont les mieux rémunérées”.

La Drees précise que “ces revenus sont exclusivement issus de l’activité libérale pour 70% des médecins. En revanche, 30% d’entre eux cumulent leur activité libérale avec une activité salariée à l’hôpital public, en clinique ou dans un centre de santé”. Pour ces derniers, “la part de leur revenu libéral* représente alors en moyenne 76% du revenu d’activité”. Elle précise que le revenu libéral correspond au “revenu tiré des honoraires perçus une fois les charges déduites”.

 

Jusqu’à 400.000 euros annuels pour la radiothérapie

La Drees note par ailleurs de fortes disparités entre les spécialités. Certains ont vu leurs revenus augmenter significativement, notamment les radiothérapeutes, les ophtalmologues ou encore les cardiologues (+7,3%, +3,4% et +2,7% par an en moyenne) sur la période. Les rhumatologues et pédiatres ont quant à eux observé une baisse de leurs revenus (-0,3% et -0,5%).

En termes de montants, tous les spécialistes ne sont pas logés à la même enseigne : les radiologues, anesthésistes-réanimateurs, ophtalmologues ou encore chirurgiens raflent la mise avec 185.000 euros de revenus moyens annuels – plus du double de ceux des MG. Le secteur de la radiothérapie se distingue “nettement”, avec un revenu moyen de plus de 400.000 euros par an, note la Drees.

“Les radiothérapeutes sont effectivement des professionnels qui ont des gains financiers importants”, confirme le Dr Gasser. Pourquoi ? “Parce que leurs actes très bien rémunérés.” “Il y a eu à un moment donné des discussions avec la Cnam pour qu’il y ait, sur certaines prises en charge, des modérations ou des diminutions tarifaires, qui ont été à la marge. Celles-ci se sont très bien passées grâce à une compréhension à la fois de la Cnam et des radiothérapeutes.”

Les psychiatres ou pédiatres, loin derrière, perçoivent des revenus parmi les plus bas chez les médecins libéraux spécialistes (respectivement 89.000 et 86.000 euros par an). “Moi, ce qui m’importe, ce n’est pas tellement les radiothérapeutes […] car ils sont une centaine en France. Ce qui m’importe, ce sont les pédiatries et les psychiatres”, explique le Dr Gasser, car “ce sont des spécialités qui sont en grande difficulté” et “dont on a absolument besoin”.

Le président d’Avenir Spé explique cette précarité par le fait que ces spécialités ne font que des consultations qui “prennent beaucoup de temps”. “Les pédiatres ne peuvent pas voir autant de patients que les généralistes et pourtant ils travaillent autant.” Même constat pour la psychiatrie. Le syndicaliste déplore également le difficile accès pour ces professionnels au travail aidé. “A 89.000 euros, vous ne pouvez pas payer vos salariés.” Le gastro-entérologue appelle de fait à “réinvestir de façon massive” dans la pédiatrie et la psychiatrie.

Au sein même des spécialités, les écarts se creusent, peut-on observer sur la période. En particulier chez les ophtalmologues, gynécologues, psychiatres et radiothérapeutes. Dans chacune de ces spécialités, “les 10% de médecins les mieux rémunérés gagnent environ 6 fois plus que les 10% de médecins les moins bien rémunérés”, indique la Drees. A contrario, les revenus sont plutôt “homogènes” en anesthésie-réanimation, en gastro-entérologie, en imagerie médicale, en pneumologie, en cardiologie et en oncologie.

“Les spécialités qui sont plutôt en bas de l’échelle sont des spécialités qui sont essentiellement sans actes techniques”, constate le Dr Gasser. “Historiquement, on s’est focalisé sur la technique.” Il suggère désormais de “valoriser l’acte intellectuel” (en payant 100 ou 150 euros pour certaines consultations, comme celle du pédiatre par exemple) pour “équilibrer le tout”.

Parmi les généralistes, les 10% les mieux rémunérés gagnaient en 2017 au moins 3,8 fois plus que les 10% les moins bien rémunérés. Le Dr Battistoni a souhaité tempérer ces données : “Comme dans toutes courbes de Gauss, vous avez ceux qui gagnent beaucoup et ceux qui gagnent peu. Il y a des médecins qui sont plus productifs que d’autres, d’autres qui ont aussi une activité plus centrée sur des actes courts voire très courts, d’autres qui prennent plus de temps et prennent en charge des patients complexes. Il faut équilibrer les choses.” Ce dernier a indiqué qu’il ne fallait pas pénaliser les praticiens qui prennent en charge des patients qui les mobilisent sur la durée.

 

Le secteur 2 : jackpot pour les spécialistes mais pas pour les MG

L’étude ajoute que le niveau de revenu d’activité varie selon le secteur de conventionnement. En secteur 2 – où 45% des médecins spécialistes exerçaient en 2017 –, il est en moyenne de 13% plus élevé que celui des spécialistes du secteur à tarif opposable : 160.000 en moyenne, contre 144.000 pour le secteur 1. L’écart est surtout marqué en ophtalmologie, ainsi qu’en anesthésie-réanimation, gynécologie ou encore chirurgie, mais “dans une moindre mesure”, précise la Drees. Le secteur 2 apparaît moins “rentable” en pneumologie, oncologie médicale, en médecine nucléaire… ainsi qu’en médecine générale.

“Les généralistes de secteur 2 pratiquent moins d’actes que leurs confrères du secteur 1, sans que leurs tarifs plus élevés ne viennent compenser cette moindre activité”, avancent les auteurs de l’étude. Le Dr Jacques Battistoni ajoute que les généralistes en secteur 2 sont “souvent des personnes qui ont des activités particulières”. “Ce ne sont véritablement des médecins généralistes/médecins traitants.”

La hausse des revenus entre 2014 et 2017 a par ailleurs été différente pour les médecins selon le secteur de conventionnement. Chez les spécialistes en secteur 2, les revenus ont progressé en moyenne de 1,9% par an en euros constants, contre +2,3% pour ceux qui appliquaient les tarifs opposables.

 

Quel impact de la crise sanitaire ?

D’après des données provisoires de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF), entre 2017 et 2019, le revenu libéral a continué de progresser (+1,3% en moyenne par an) : “il est quasi stable pour les omnipraticiens (+0,2%) et reste dynamique pour les spécialistes (+1,9%), avec des évolutions contrastées selon les années”, note la Drees.

Les données de cette étude – menée entre 2014 et 2017 – sont néanmoins à prendre avec des pincettes. Les revenus des médecins libéraux ont en effet été largement impactés par l’épidémie de Covid-19, notamment ceux de 2020, année de l’apparition de l’épidémie sur notre sol et au cours de laquelle beaucoup de cabinets ont dû fermer. Le 15 février, la Carmf révélait par ailleurs que les médecins libéraux avaient perdu près de 6.000 euros en 2020. En effet, pour l’année 2020, les médecins libéraux ont déclaré un bénéfice non commercial (BNC) moyen de 86.974 euros, soit en baisse de 5.73% par rapport à 2019.

 

 

La baisse a été particulièrement importante pour les spécialistes qui ont pu subir des “déprogrammations”, rappelle le Dr Gasser : ils ont déclaré en moyenne 104.622 euros (-7,99% de moins qu’en 2019). La baisse est de 3,36% pour les généralistes qui ont déclaré pour l’année 2020 un BNC moyen de 73.820 euros. Des moyennes qui comprennent pourtant les aides perçues au titre du dispositif d’indemnisation pour la perte d’activités (Dipa) mis en place par l’Assurance maladie durant le premier confinement pour permettre aux médecins libéraux à payer leurs charges fixes.

 

* “Les médecins exerçant en nom propre le déclarent à l’administration fiscale en tant que bénéfice non commercial (BNC)”. Pour ceux exerçant en société soumise à l’impôt sur les sociétés, comme les sociétés d’exercice libéral (SEL), “le revenu libéral est déclaré en tant que rémunérations de gérance et dividendes versés par la société”. À partir de ces éléments, la Drees recalcule un revenu libéral “homogène” pour tous les médecins, “quel que soit le cadre juridique dans lequel ils exercent”, indique-t-elle dans son rapport. “Pour ce faire, une fraction des dividendes et des salaires de gérants déclarés à l’administration fiscale par le foyer fiscal auquel le médecin appartient est intégrée au revenu libéral”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Louise Claereboudt

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