La haine en ligne ne se cantonne pas aux réseaux sociaux. Sous les projecteurs depuis le début de la crise sanitaire, les Drs Hamon, Marty, Ducardonnet ou encore Barucq voient leur fiche Google inondée d’avis négatifs postés par des personnes qui n’ont jamais mis les pieds à leur cabinet. Au détriment de leur réputation auprès des patients.

 

“Jamais à son cabinet, traîne les plateaux télé comme un poivrot traîne les bars.” Des avis comme celui-ci, le Dr Jean-Paul Hamon les collectionne depuis le début de la crise sanitaire. Inondée de notes à 1 étoile (le minimum), sa fiche Google affiche désormais une moyenne médiocre de 1.7/5. Mais qui sont ces internautes qui reprochent au généraliste de Clamart son “arrogance”, conspue son “ton de roublard” quand ils ne le traitent pas de “corrompu” ou de “collabo” ? Certainement pas des patients, tranche l’intéressé. “Je me suis amusé à regarder, nous répond-t-il. Ce sont essentiellement des patriotes de Philippot.”

 

[Avis postés sur la fiche Google du Dr Hamon]

 

Habitué à être sous les projecteurs depuis de nombreuses années, le président d’honneur de la FMF ne “se tracasse pas trop” pour sa réputation en ligne. Si ses interventions médiatiques musclées lui valent d’être l’une des cibles privilégiées de la clique des anti-vax et anti-pass, les vrais patients, eux, ne s’y trompent pas. Désertification médicale oblige, sa patientèle médecin traitant est même passée de 1740 à 2452 en quatre ans, souligne-t-il.

 

“C’est comme s’il y avait un graffiti sur la façade du cabinet, à vie”

Mais il y en a d’autres qui prennent le problème très au sérieux, comme le président de l’UFML, Jérôme Marty, que la crise sanitaire a fait connaître auprès du grand public, notamment via sa participation régulière à l’émission Les Grandes gueules sur RMC. Tout comme le désormais célèbre médecin de santé publique et entrepreneur Martin Blachier ou le cardiologue-chroniqueur Alain Ducardonnet, le généraliste toulousain n’a rien à envier à son confrère de Clamart : “clown de télévision”, “VRP de Pfizer”, “propagandiste menteur et marchand de peur”, “faux médecin”, “charlatan”, peut-on notamment lire sur sa fiche Google, affichant une moyenne de 2.2/5…. “Ça a commencé avec le port du masque, ça s’est accéléré avec le masque à l’école, puis avec la vaccination”, analyse-t-il. Si la plupart des commentaires sont anonymes, la géolocalisation fournie par Google prouve sans conteste qu’ils n’ont pas été écrits par des patients mais par des internautes résidant à des centaines de kilomètres de son cabinet, relève le syndicaliste.

 

[Avis posté sur la fiche Google du Dr Martin Blachier]

 

Face à ces propos qui portent atteinte à son honneur et à sa probité, voire sont franchement menaçants (“la veuve s’impatiente…”), Jérôme Marty a tenté dans un premier temps de contre-attaquer, en menaçant les auteurs de poursuites judiciaires. “Au début, j’essayais de répondre. Mais les patients ne sont pas dupes, ça ne les empêche pas de venir. On voit bien que ça ne concerne pas la prise en charge. Plus il y en a, plus on voit que c’est faux”, commente-t-il. Mais quid du médecin lambda qui se ferait conspuer pour avoir pris la parole sur la vaccination dans la presse locale ?

 

[Avis postés sur la fiche Google du Dr Jérôme Marty]

 

Vrais ou faux, ces avis n’ont pas lieu d’être selon le Dr Marty. “On ne peut pas accepter d’être notés comme un hôtel ou un restaurant. En plus, le médecin ne peut rien faire ! S’il connaît effectivement le patient, il ne peut rien dire sans enfreindre le secret médical, et s’il ne le connaît pas, par définition, il ne peut pas répondre.”

Faute de pouvoir être retirés facilement, ces commentaires au vitriol vont entacher durablement la réputation du médecin, souligne le généraliste. “C’est comme s’il y avait un graffiti sur la façade du cabinet, à vie. Car on ne peut pas l’enlever.” Si lui ou ses confrères les plus médiatiques ont le “cuir assez dur” pour les encaisser, pour d’autres, le coup peut être rude, souligne le syndicaliste. “Souvent les médecins n’ont que peu d’avis, il en suffit d’un ou deux malveillants pour descendre la réputation de quelqu’un”, abonde le Dr Guillaume Barucq.

 

 

De l’autre côté du ring médiatique, ce généraliste de Biarritz, connu pour son opposition à l’obligation vaccinale (mais pas à la vaccination, tient-il à nous préciser), n’est pas épargné. “D’habitude, je reçois des avis négatifs par à-coups. Mais là j’en ai reçu trois quasi simultanément.” Des avis provenant là encore d’internautes qui n’ont manifestement “pas consulté”. “Ça veut dire qu’il est aujourd’hui possible de mener des raids numériques contre des médecins”, s’alarme-t-il.

 

 

De son côté, le Dr Marty dit avoir plusieurs fois vu passer sur Twitter des appels à “pourrir son mur Google”. Face à cette “armée d’hommes invisibles”, le Dr Barucq se sent démuni. Le généraliste a bien réussi à obtenir “très péniblement” la suppression d’“un ou deux” avis de Google, mais seulement “les plus diffamants ou insultants”. Impossible en revanche de prouver à Google que la personne qui se cache sous un pseudo n’est jamais venue au cabinet. Il dit n’avoir ni le temps ni l’envie de prendre un avocat pour cela et regrette l’incapacité de l’Ordre à agir face à Google pour instaurer une modération. “Dans le contexte actuel, on aurait intérêt à agir pour protéger les médecins. C’est la porte ouverte à tout, surtout avec un débat qui peut être explosif d’un côté comme de l’autre”, souligne-t-il.

 

[Avis posté sur la fiche Google du Dr Guillaume Barucq]

 

Pour contrer cette “petite musique” du “médecin surfeur qui prescrit du Stérimar et passe son temps à la télé”, le généraliste peut compter sur ses soutiens, qui n’ont pas hésité à poster des avis élogieux ces derniers jours afin de remonter la moyenne (4.6/5). “Il m’arrive aussi à demander à des patients contents s’ils voudraient bien poster un avis positif”, confesse-t-il.

Pour le Dr Marty, en revanche, pas question de jouer à ce jeu, ni de changer l’adresse du cabinet sur Google afin de remettre le compteur à zéro. “On n’a pas à fuir”, lance-t-il. Avec Stéphane Manigold, président du groupe Eclore, qui possède plusieurs restaurants, le président de l’UFML tente de mobiliser le Gouvernement sur le sujet. L’entrepreneur, dont les restaurants feraient les frais sur Google de ses prises de positions en faveur de la vaccination et des gestes barrières, aurait obtenu l’assurance en août que les faux avis seraient retirés. “On est novembre et toujours rien”, lâche le Dr Marty, qui annonce son intention d’écrire au ministre pour demander une nouvelle fois à ce que la médecine, soumise à des règles déontologiques strictes, ne soit plus considérée comme un commerce.

 

Un guide pour préserver sa e-réputation

Face à l’essor des sites de notation et d’avis en ligne, le Conseil national de l’Ordre des médecins a publié un guide visant à aider le praticien à préserver sa réputation en ligne. Il rappelle d’abord que ces avis ne sont “pas en soi illégaux”, bien qu’ils puissent “choquer certains et laisser entrevoir un glissement des patients vers le ‘consumérisme médical’”. “La seule qualité de médecin ou de professionnel de santé ne justifie pas une interdiction de publication d’avis ou propos le concernant”, statue l’Ordre. En revanche, le médecin n’est pas complètement démuni. Le Cnom donne dans son guide des clés pour obtenir la suppression d’une fiche Google ou le retrait d’un avis “illicite” (injure, diffamation…) ou répondre à un commentaire négatif.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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