Afin de résoudre la problématique de l’accès aux soins, la sénatrice Les Républicains Corinne Imbert a déposé un amendement dans le cadre du PLFSS, voté par le Sénat la semaine dernière, qui prévoit de conditionner le conventionnement des médecins à la réalisation d’un remplacement de six mois dans les zones sous-dotées. Les syndicats d’internes et de jeunes médecins alertent sur le risque d’une médecine à deux vitesses qu’engendrerait le vote définitif d’une telle mesure. Ils s’inquiètent également d’une fuite des futurs praticiens vers le privé ou l’étranger, au détriment de la ville et des spécialités de premier recours. Contactée par Egora, la sénatrice a balayé leurs inquiétudes.

 

“Un médecin ne peut être conventionné qu’à la condition d’avoir préalablement exercé en qualité de médecin salarié d’un médecin libéral ou en qualité de médecin remplaçant pendant une durée totale d’au moins six mois dans les zones mentionnées au 1° de l’article L. 1434-4” : deux lignes d’un article additionnel à l’article 41 du PLFSS voté le 12 novembre dernier au Sénat provoque, depuis plusieurs jours, la bronca des syndicats d’internes et de jeunes médecins.

Ce dernier prévoit, en effet, de conditionner tout nouveau conventionnement d’un médecin (toutes spécialités confondues) à la réalisation d’un remplacement dans une zone sous-dotée. “En majorité, les nouveaux médecins débutent en effet leur carrière par des remplacements : la mesure envisagée par cet amendement permettrait alors de les encourager à réaliser ces premiers remplacements dans les zones sous-dotées en médecins”, précise l’objet de l’amendement proposé par la sénatrice LR et pharmacienne de profession, Corinne Imbert.

 

 

“Encourager ? Bien qu’il soit présenté comme un amendement qui n’est pas coercitif, et plutôt incitatif, ça restreint quand même l’installation ! Les futurs médecins ne pourront plus s’installer où ils le souhaitent”, s’insurge la présidente de l’InterSyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG), Mathilde Renker. “C’est un amendement qui a été déposé sans qu’on ait été prévenus par avance… Mais nous ne sommes pas surpris parce que ce sont des propositions qui reviennent régulièrement de la part de tous les bords politiques quand on veut des mesures qui ont l’air faciles à mettre en œuvre”, renchérit le Dr Agathe Lechevalier, présidente de ReAGJIR*.

 

Une médecine à deux vitesses

Habitués, en effet, à la proposition de mesures coercitives de la part d’élus souhaitant solutionner les déserts médicaux, l’Isnar-IMG, ReAGJIR, l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) et l’Intersyndicale nationale des internes (Isni) ont donc immédiatement répliqué ce week-end en diffusant un communiqué dans lequel ils se positionnent ouvertement contre cet amendement. “Conditionner le remboursement des médecins à un passage dans les déserts médicaux : Madame Imbert, vous ratifiez l’abandon des territoires, vous sanctuarisez une médecine de passage, éphémère. Bref, vous dites aux Français : bienvenue dans la médecine à deux vitesses !” a de son côté tweeté Gaetan Casanova, président de l’Isni.

 

 

Car c’est bien ce que redoutent les futurs médecins : une médecine à deux vitesses avec “une fracture sociale entre les zones qualifiées comme sous-denses dans lesquelles les médecins vont changer tous les six mois, et les autres”, explique Mathilde Renker. “Est-ce que c’est vraiment répondre à un besoin de soins que de changer de médecins tous les six mois ?” questionne la future généraliste, en soulignant que les patients attendent un suivi de leurs professionnels de santé pendant plusieurs années. “Vous aurez un nouveau médecin traitant, un nouveau gynéco, un nouveau pédiatre tous les six mois… ça n’a pas de sens de prendre ça comme une résolution de l’offre de soins parce que cette résolution sera éphémère. Elle ne solutionne rien et est uniquement palliative.”

 

 

“Une équation impossible à résoudre”

En plus de ne rien solutionner, elle risque, pour les organisations représentatives d’internes et de jeunes médecins, de desservir la médecine libérale. “On craint qu’il y ait une réelle fuite des étudiants en santé puisqu’ils vont se dire que s’ils doivent aller en zone sous-dense obligatoirement, autant faire une autre spé qui ne sera pas soumise à cette obligation”, se désole Mathilde Renker, en faisant références aux spécialités hospitalières. Pour le Dr Lechevalier, cette mesure se justifie d’autant moins que “la France entière est un désert médical” à l’heure actuelle. “La question est complexe. Actuellement, on paie les décisions qui ont été prises il y a 50 ans pour réguler la démographie médicale. Finalement, on se retrouve à l’heure actuelle avec un nombre de médecins qui diminue ou est stable selon les spécialités et une consommation de soins qui augmente par un vieillissement de la population… On est donc sur une équation impossible à résoudre. Le problème du désert médical n’est plus celui d’un territoire, mais un problème global. On n’est plus sur un cliché sur un médecin de campagne qui part sans remplaçant, car, actuellement, c’est comme ça dans toute la France qui est touchée par ces problématiques”, explique-t-elle.

Seule exception mentionnée par l’amendement de Corinne Imbert : les médecins ayant pour projet de s’installer en zone sous-dense ne seront pas soumis à l’article. “Si en trois, quatre, ou cinq ans d’internat, les autres internes n’ont pas déjà découvert ces zones et pas déjà eu cette envie de s’y installer, je ne vois pas en quoi six mois imposés supplémentaires vont les aider”, ajoute Mathilde Renker.

 

Déconventionnement massif

Inquiets de la qualité des soins des patients qui pourrait découler d’une telle mesure, les organisations représentatives n’ont pas manqué de soulever ce point dans leurs communications, ce week-end. “Dans un contexte où on sait que la consommation de soins augmente, notamment à cause de situations qui sont de plus en plus complexes, on se doute bien qu’elles ne vont pas être résolues en six mois”, soulève la présidente de l’Isnar-IMG. Elle voit d’ailleurs un autre danger à la proposition de la sénatrice : le risque d’un déconventionnement massif des médecins.

 

 

“On va assister à la création de zones où les médecins vont se déconventionner et où, finalement, il n’y aura plus de médecins pour répondre à l’offre de soins puisqu’il n’y aura plus de remboursement de soins”, précise-t-elle en citant l’exemple de nos voisins allemands. En Allemagne, en effet, a été proposé le conventionnement sélectif. Résultat : 2% des médecins ont déjà choisi d’être déconventionnés. “Si la France est un désert médical, les autres pays européens le sont aussi. Il y a d’autres pays d’Europe où les revenus sont plus importants. Quitte à devoir changer de territoire pour exercer, je pense qu’il y a des médecins qui se poseront assez vite la question de rejoindre ces pays-là”, ajoute le Dr Lechevalier.

Pour elle, le risque est aussi de pousser les futurs médecins dans les structures privées à but lucratif. “Les médecins qui sortent des études ont une trentaine d’années et ont déjà déménagé tous les six mois pour faire leurs stages. Ils ont parfois des enfants, des conjoints qui n’ont pas la possibilité de pouvoir exercer ailleurs. Plus on charge le libéral de contraintes, plus on pousse les médecins vers des structures privées à but lucratif.” A cet effet malheureux, Mathilde Renker ajoute celui des projets d’installation qui pourraient tomber à l’eau pour certains futurs médecins. “Des internes qui ont déjà des projets d’installation dans des villes petites ou moyennes, qui ne sont pas considérées comme sous-denses par l’ARS, mais pour lesquelles il y a un manque de soins, ne pourront pas s’installer où ils l’avaient prévu. Et inversement, certains médecins qui attendent d’être remplacés, ou attendent de nouveaux collaborateurs, devront encore attendre”, regrette-t-elle.

 

Faire en sorte que les médecins restent

Bien que la future généraliste comprenne que cela peut être “compliqué pour les élus locaux d’être interpellés à cause des besoins de soins”, Mathilde Renker appelle à travailler plutôt sur l’attractivité des territoires. “Cette proposition de la sénatrice ne résoudra pas les problématiques fondamentales d’attractivité des territoires, qui font que les gens restent dans les territoires et non pas qu’ils y passent”, justifie-t-elle, assurant que les jeunes médecins ont l’envie de travailler en zones sous-denses à condition d’en avoir les moyens.

 

 

 

Considérant donc que la sénatrice Imbert se trompe de problème, les syndicats ont appelé les futurs médecins à l’interpeller sur les réseaux sociaux. Ils souhaitent également pouvoir échanger avec elle afin de revenir sur les dangers de la coercition et lui présenter leurs propositions en la matière. “Il faut commencer par gagner du temps médical en soulageant le médecin de ses tâches administratives”, cite par exemple la présidente de ReAGJIR. “Ça peut aussi être le cas en favorisant, par exemple, l’implantation des IPA qui verront leurs compétences développées grâce aux mesures adoptées dans le PLFSS, puisqu’elles ont maintenant le droit de primo-prescription. Elles vont permettre, dans les territoires sous dotés en médecins, d’avoir une réponse pour les patients qui ont des pathologies chroniques stabilisées. Ça libérera le temps de consultation pour le généraliste”, assure-t-elle encore.

“Notre intérêt principal, c’est aussi la dégradation de l’offre de soins et de la consommation de soins”, conclut de son côté Mathilde Renker.

 

* Regroupement Autonome des Généralistes Jeunes Installés et Remplaçants.

 

La réponse de Corinne Imbert

Contactée par Egora, la sénatrice Corinne Imbert a tenu à répondre aux inquiétudes et oppositions contre son amendement.

Egora.fr : Les médecins n’ont pas été mis au courant de votre proposition avant que vous ne déposiez l’amendement et qu’il soit voté. Pourquoi l’avoir rajouté au dernier moment ?
Corinne Imbert : Il a été déposé tout simplement parce que le Gouvernement, depuis plus de deux ans, se refuse à faire paraître le décret d’application de ce qui a été voté dans la loi de Santé de 2019 : le dispositif qui consiste, en dernière année pour les internes en médecine générale notamment, à faire au moins six mois en autonomie supervisée aux côtés d’un médecin en zone sous-dotée. Il ne plaisait pas plus aux internes mais au moins, il n’avait pas de contrainte vis-à-vis du conventionnement et ne prolongeait pas leurs études, comme une quatrième année d’internat, chose que certains veulent faire aujourd’hui. Mais… Le Gouvernement n’a toujours pas sorti son décret d’application. S’il l’avait fait, les mesures seraient entrées en application au 1er novembre 2021 et je n’aurais pas eu besoin de déposer cet amendement. Sachant qu’on a à peu près 3.000 à 3.500 internes en médecine générale par an, qu’on divise par 100 départements, ça veut dire que tous les ans, on aurait 35 jeunes médecins qui sont en dernière ligne droite de leurs études et pourraient venir en appui de leurs aînés. Mais comme le Gouvernement n’a pas eu le courage de publier le décret et de revoir la maquette, ce qui a été voté n’a pas été appliqué. C’est donc le moins contraignant que j’ai trouvé pour l’inclure dans le projet de loi de la Sécurité sociale.

Vous dites que cet amendement n’est pas le plus contraignant pour les futurs médecins… 
Pendant l’examen du PLFSS, j’ai constaté tout un tas d’amendements qui, pour le coup, limitent l’installation des jeunes médecins. L’un, par exemple, conditionnait le conventionnement d’un médecin au départ en retraite d’un autre. Un autre proposait l’expérimentation d’un conventionnement pour les médecins sur le modèle de celui des infirmières dans les zones déficitaires. A partir de là, j’ai donc fait la proposition de mon amendement car je suis partie du constat que 87% des jeunes médecins commençaient par remplacer. On leur demande, dans cet amendement, de faire six mois de remplacement dans une zone sous-dotée, mais de la manière qu’ils souhaitent. Ça peut être six mois au même endroit, comme par tranche de 15 jours. Ce n’est quand même pas très contraignant au regard de ce qui était proposé. Et je le rappelle : si le Gouvernement avait sorti le décret d’application, le Sénat n’aurait pas voté ça.

Ne craignez-vous pas un déconventionnement massif des futurs médecins libéraux ?
Ce risque-là, je le mesure. Mais encore une fois, cet amendement n’est pas très contraignant. Ils font tous des remplacements à la fin de leur internat ! S’ils s’installaient tous à la fin de leurs études, je comprendrai que ça fasse réagir, mais là… Et puis, ça ne veut pas dire qu’ils seront au milieu de nulle part. Ils choisiront où ils veulent aller. D’autant que je rappelle que la notion de salariat a été incluse dans l’amendement, ce qui veut dire que les opportunités de remplaçants sont nombreuses. Ils resteront maîtres de leurs choix de remplacement, on leur demande juste de choisir une zone sous-dense. Toutes les collectivités font des efforts pour financer des maisons de santé, des logements, alors il n’y aura pas besoin de faire 300 kilomètres pour trouver une offre de remplacement qui coche la case d’une zone sous-dotée.

Pensez-vous que votre amendement sera validé par l’Assemblée nationale ?
Je ne me fais pas d’illusions sur la suite de cet amendement. Mais il faudrait quand même, à un moment donné, parler aux jeunes médecins et les rassurer. Le ministre a fini par déclarer que le décret d’application de la loi de Santé de 2019 sortirait bientôt. On va voir.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Marion Jort

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