Réunis pour leur Université d’été à Antibes jusqu’à dimanche, les médecins de la CSMF attendent Olivier Véran de pied ferme. Le président de la confédération, le Dr Jean-Paul Ortiz, entend bien interpeller le ministre sur le “mal-être” d’une profession engagée dans la lutte contre l’épidémie depuis dix-huit mois et désespérément en manque de reconnaissance, malgré la signature cet été d’un avenant à 786 millions d’euros.

 

Egora.fr : Le 30 juillet, la CSMF a finalement choisi de signer l’avenant 9. Pour quelles raisons ?

Dr Jean-Paul Ortiz :D’abord, je crois que c’est important de rappeler que c’est avenant à une convention qui se termine en mars 2023. Ce texte va permettre de faire le pont pour les 1 an et demi, 2 ans à venir. On ne peut pas demander à un avenant d’être restructurant pour la profession, c’est le rôle d’une convention. Habituellement, un avenant, c’est un petit texte qu’on négocie au fil de la vie de la convention. En l’occurrence, là, c’est un gros texte, mais ce n’est pas une convention.

Pourquoi la CSMF a signé cet avenant ? Parce qu’effectivement, il y a des points qui nous ont semblé importants et positifs pour la profession. Premièrement, c’est pouvoir mieux répondre aux besoins de la population âgée à domicile, avec la visite longue. Pour les plus de 80 ans, en ALD, on est passé de 35 à 70 euros : c’est une augmentation très substantielle, même si nous aurions souhaité qu’elle concerne le “tout-venant”. Je commence à avoir de l’expérience en tant que syndicaliste, je ne suis pas un perdreau de l’année et je n’ai pas le souvenir d’un doublement de tarif à l’occasion d’un avenant. C’est quand même très significatif.

Autre mesure emblématique, qu’il nous a semblé important d’accompagner, c’est le soutien aux médecins spécialistes. Cinq euros d’augmentation de l’APC, c’est +10% d’un coup, ce n’est pas rien ! Les évolutions tarifaires pour les pédiatres, les psychiatres ou encore les endocrinologues sont significatives. Ces mesures ne sont pas à la hauteur de nos attentes et de nos demandes, c’est vrai mais elles sont significatives.

A l’inverse, des points ont vraiment posé question – et il n’a pas été simple d’avoir un accord à l’assemblée générale. On l’a dit d’emblée : la rémunération du SAS ne correspond pas à ce que l’on voulait. L’heure de régulation n’est pas assez payée et pour l’effecteur, nous voulons une majoration de l’acte et non un forfait. Nous n’avons pas réussi à convaincre, même si le forfait a été finalement un peu plus tronçonné, et se rapproche un peu plus du concept du paiement à l’acte. Le deuxième point qui pose problème, c’est l’alimentation du DMP par le volet de synthèse médical (VSM), dont la rémunération ne nous semble pas à la hauteur si l’on parle d’un VSM structuré : c’est un vrai travail médical et c’est long. Le DMP, c’est un dossier sur lequel on travaille de longue date à la CSMF. Il faut concevoir le VSM comme la première étape pour simplifier la vie des patients mais il ne s’agit pas là du DMP tel que nous le concevons, c’est-à-dire d’un outil de transmission des informations et de coordination entre les professionnels.

 

Malgré tout, l’équilibre a penché en faveur de l’avenant…

Oui car le SAS comme le DMP n’enlèvent rien aux médecins qui ne veulent pas le faire. Je leur ai dit : ce que vous avez mis sur le SAS ne correspond pas aux demandes des médecins de terrain, donc beaucoup n’iront pas. A un moment donné, il faudra en tirer des conclusions et revoir la copie. D’ailleurs, à notre demande, il est précisé dans l’avenant que le SAS est dans une phase expérimentale et que “ces modalités pourront être ultérieurement précisées ou réexaminées par les partenaires conventionnels”. De la même façon, si les médecins jugent que ça leur prend trop de temps de faire un VSM structuré, ils ne feront pas.

 

 

Sur le SAS, on a pu entendre le mot “boycott”… est-ce une éventualité pour la CSMF ?

Moi je ne parle pas de boycott car nous avons signé l’avenant et en tant que président de la CSMF, je suis cohérent. Certains des Généralistes de la CSMF très impliqués dans le SAS ont utilisé ce mot-là. Je comprends tout à fait qu’ils ne s’engagent pas dans le SAS dans ces conditions-là et fassent tout pour obtenir de l’ARS des rémunérations complémentaires et des organisations qui correspondent à leur souhait. Nous sommes en phase expérimentale, avec 22 sites pilotes, donc nous verrons. Encore une fois, c’est un avenant…

 

Les demandes de remboursement du Dipa ont constitué la mauvaise surprise de la rentrée. Peut-on espérer un geste politique pour effacer la dette des professionnels de santé libéraux ?

Moi je veux de la transparence. Il y a quand même deux tiers des médecins qui ont eu un versement complémentaire début juillet ; un tiers, à l’inverse, sont appelés à rembourser une partie de ce qui leur a été attribué en 2020. Je m’étonne qu’il y en ait autant et je dis à la caisse qu’il faut donner les chiffres et comprendre pourquoi il y autant de médecins concernés. Il y a probablement des erreurs des deux côtés, de bonne foi. Si c’est une erreur du médecin, il faut qu’il rembourse… Annuler la dette, c’est considérer que tout est juste – ce qui n’est certainement pas le cas – et à amener un tiers des médecins à un niveau plus élevé que les deux tiers qui ont reçu un solde positif en juillet. Je ne veux pas rentrer dans cette démarche, je veux de la transparence. Pour l’instant, j’ai des données très globalisées. J’appelle tous les médecins à demander l’ensemble des chiffres détaillés à leur CPAM et s’ils ne comprennent pas pourquoi on leur demande de rembourser, à contacter nos experts via une adresse mail dédiée dipa@csmf.org.

 

 

La CSMF a lancé cette semaine, avec 10 autres organisations, une intersyndicale interprofessionnelle appelée “Les Libéraux de santé”. Est-ce une façon de se mettre en ordre de bataille en vue de l’élection présidentielle ?

Entre autres, mais pas seulement. Précisons d’abord que tous ces syndicats étaient au CNPS [Centre national des professions de santé, NDLR], le rassemblement syndical historique des libéraux de santé ; une partie l’avait quitté il y a quatre ans. Cela fait un moment que l’on se retrouvait sur un certain nombre de dossiers et on s’est dit qu’il fallait officialiser. A terme, la vocation est de remplacer le CNPS et la Fédération des praticiens de santé (FPS).

 

Qu’attendez-vous du futur président de la République en vue de la prochaine convention ? Quelles sont les propositions fortes que vous allez porter ?

Des choix politiques fondamentaux devront être faits. Il nous semble d’abord primordial de répondre à une question de base : est-ce que vous considérez que la médecine libérale, très spécifique à la France, a sa place et comment voyez-vous son avenir ? Car on voit bien aujourd’hui que sous prétextes de difficultés démographiques le nombre de médecins libéraux, en partie en médecine générale mais pas que, diminue au profit des médecins salariés. Cela interpelle, car on sait bien que les structures où les médecins sont salariés coûtent beaucoup plus cher à la collectivité ; les centres de santé sont tous déficitaires. Donc quelle place pour la médecine libérale demain ? Quelle place pour le généraliste et pour les autres spécialistes ? En structure, en libéral, en salarié ? Etes-vous prêts à soutenir l’existence de cette médecine libérale de proximité qui n’existe nulle part ailleurs ? Dans les pays anglo-saxons, les médecins spécialistes sont tous dans des structures hospitalières. Sur ce point, il y a un vrai clivage.

 

Gauche-droite…

Oui. Je sais que certains verraient bien la médecine spécialisée exclusivement à l’hôpital ou en clinique, et la médecine générale plutôt dans des structures type centres de santé. C’est le positionnement traditionnel de la gauche française de voir le développement d’une médecine salariée, payée au forfait, voire à la capitation, plutôt qu’une médecine payée à l’acte. La droite a une tendance un peu plus libérale, même si le clivage n’est pas si clair que cela.

La deuxième question que nous poserons est : comment voyez-vous la prise en charge des défis de santé publique ? Doit-on continuer à réfléchir à l’organisation de notre système de santé autour de l’hôpital, en particulier de l’hôpital public, comme on l’a fait durant la crise du Covid ? Ou est-ce que l’on doit structurer notre système de santé autour de la médecine de ville ?

Troisième question, qui découle des deux premières : comment allez-vous accompagner la restructuration nécessaire de la médecine de ville ? Il y a encore aujourd’hui des médecins qui ont des conditions d’exercice qui ne sont pas à la hauteur des enjeux. Ils n’ont pas de secrétaire, ils travaillent seuls. Il faut changer le modèle et accompagner ces médecins. Aller progressivement vers des structures regroupées, pluriprofessionnelles, avec non seulement une secrétaire mais aussi éventuellement une assistante médicale, des infirmières, des kinés, des orthophonistes, etc. En médecine spécialisée, c’est pareil. On voit bien aujourd’hui qu’il y a des spécialités qui sont en train de disparaître… la pédiatrie, la psychiatrie… Car en ville, les actes ne sont pas suffisamment rémunérateurs et la charge est très lourde.

La grande proposition de la CSMF c’est de sortir de cette logique de nomenclature extrêmement complexe et d’aller vers quatre niveaux de consultations et de rémunération, pour que le médecin se sente mieux reconnu dans son activité quotidienne.

 

Qu’allez-vous dire à Olivier Véran, lors de l’ouverture de votre Université d’été ?

Nous allons d’abord l’interpeller sur les sujets qui posent problème : le SAS, le Dipa, le DMP… Je compte aussi l’interpeller sur ce que je ressens autour de moi, ce malaise profond des médecins libéraux très engagés dans la lutte contre le Covid depuis un an et demi. Les médecins libéraux se sentent méprisés, non reconnus pour leurs efforts alors qu’ils sont très impliqués. Je pense qu’il est important que le ministre puisse entendre ce mal-être et se rendre compte combien la crise est majeure aujourd’hui dans nombre de cabinets. L’activité est de plus en lourde, la médecine de plus en plus difficile, avec des patients plus complexes et plus demandeurs, des consultations plus longues. Je ne suis pas sûr que le ministre et ses équipes soient conscients de ça. Ils n’ont pas la considération qu’ils devraient avoir pour la médecine de ville. Quand on se fait critiquer parce qu’on ne vaccine pas assez ou parce que trop peu de médecins ont demandé la liste de leurs patients non-vaccinés… C’est insupportable d’entendre ça ! Insupportable, quand on est sur le pont depuis des mois et des mois ! Notre ministre devrait au contraire être dans l’empathie, dans la reconnaissance et surtout pas dans la critique. Il y a vraiment de quoi s’énerver…

 

Votre Université d’été est consacrée cette année à la santé environnementale et à l’écologie dans la pratique médicale. 220 revues médicales du monde entier viennent d’ailleurs de publier un éditorial appelant à un plan d’action urgent pour le climat. Comment les médecins peuvent-ils agir ?

C’est dire à quel point la CSMF est à la pointe sur ce sujet ! Nous avons une vraie vision sur l’avenir, ce n’est pas un effet de mode.

Alors qu’est-ce qu’on peut faire ? Nous allons aborder dans une table-ronde le thème du bâtiment : on ne peut pas se lancer dans des travaux de construction ou de rénovation d’une maison de santé, d’une clinique ou d’un cabinet sans se poser la question de l’impact sur l’environnement, avec éventuellement des bâtiments à énergie positive, avec l’organisation de la gestion des déchets, des effluents toxiques, etc.

Une deuxième table-ronde s’interrogera sur la façon dont un médecin peut devenir acteur de la santé environnementale : comment dans mon quotidien je peux analyser l’impact de l’environnement sur la santé de mes patients ? En la matière, le numérique peut aider pour analyser les données, d’où la présence de Doctolib. Il y aura aussi une intervention du Dr Pierre Souvet, cardiologue près de l’étang de Berre – quand on voit la pollution à l’étang de Berre, on comprend pourquoi le sujet l’intéresse – et le Dr Pascale Mirakian, gynécologue qui s’est intéressée au lien entre pollution et cancers.

Une autre table-ronde traite de la prévention dans l’activité quotidienne, à l’échelon individuel. Comment sensibiliser un agriculteur qui emploie des produits pesticides, par exemple ? Il y aussi un sujet qui me passionne : l’impact de l’activité du médecin sur l’environnement. Serge Zaluski, ophtalmologue qui sera présent, a analysé l’impact carbone du matériel jetable nécessaire pour une opération de la cataracte (80% de produits à usage unique, 2 kilos de déchets…) et a réfléchi avec les fournisseurs et sur son protocole de soin sur la façon de diminuer cet impact. Dans mon activité de médecin néphrologue je me suis intéressé à l’impact d’une séance de dialyse : 3.4 kilos de déchets, dont la quasi-totalité part en Dasri [déchets d’activité de soins à risque infectieux, NDLR] brulés à 3000 degrés. Vous imaginez l’énergie qu’il faut pour une seule personne ? Une demi-tonne de déchets par patient et par an ! Dans mon service, j’ai demandé aux infirmières de jeter le matériel non contaminé avec les déchets ménagers, brûlés à moindre température. La prescription médicale a aussi un impact : suivant le médicament pris, le déchet produit par élimination par le patient n’a pas le même impact environnemental. L’école de Stockholm a classé les médicaments selon un indice PBT (permanence, bioaccumulation, toxicité) intégré dans les logiciels d’aide à la prescription.

Cela semble dérisoire, mais c’est l’histoire du colibri qui apporte la goutte d’eau pour éteindre le feu dans la forêt. Il est fondamental que chacun fasse ce petit effort. Nous sommes là pour soigner les malades, pas pour générer du toxique.

 

Le directeur général de la Cnam animera également une table-ronde : la prochaine convention sera-t-elle verte et préventive ? Quelles mesures adopter pour cela ?

Le numérique, bien sûr. Mais aussi la prévention. Il faut accompagner cette nécessaire restructuration de la médecine libérale. Il faut une révolution dans les propositions de la convention et arrêter de bidouiller un euro par ci, un euro par là. Il faut faire table-rase de cette nomenclature pour faire quelque chose de simple pour tous les médecins, en valorisant l’acte clinique.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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