C’est la (mauvaise) surprise de la rentrée. De nombreux professionnels de santé libéraux ayant bénéficié du dispositif d’indemnisation de la perte d’activité (Dipa) mis en place au printemps 2020 par l’Assurance maladie viennent d’apprendre qu’ils vont devoir rembourser une partie de l’avance perçue. Pour certains médecins, la facture s’élève à plusieurs milliers d’euros. Alors que le mécontentement monte, la fronde syndicale s’organise.

 

“Vous êtes redevable de la somme de 2561 euros, correspondant au différentiel entre les avances perçues et le montant définitif de l’aide. Vous recevrez bientôt un courrier de votre caisse de rattachement vous précisant les modalités de règlement de cette somme ou de contestation de la décision.” C’est le message qui s’affiche depuis lundi matin dans l’espace Ameli (onglet “compensation de perte d’activité”) du Dr Richard Talbot, médecin généraliste à Saint-Hilaire-du-Harcouët, dans la Manche. Ce syndicaliste de la FMF n’est pas vraiment surpris. Depuis mi-juillet, il savait que la mention “calcul en cours” n’augurait rien de bon : il allait devoir restituer une partie des quelque 5000 euros perçus l’an dernier au titre de l’acompte du dispositif d’indemnisation de la perte d’activité (Dipa). “Alors que j’avais calculé qu’ils m’en devaient encore près de 1000… Entre ma femme et moi, on doit rembourser 4000 euros.” Et le généraliste est loin d’être le seul concerné. Depuis le début de la semaine, les témoignages de médecins mais aussi d’infirmières, de chirurgiens-dentistes, de kinés ou encore d’orthophonistes affluent sur les réseaux sociaux. Si la majorité des 203.000 professionnels de santé libéraux ayant bénéficié du Dipa affichent un solde positif et vont recevoir un complément, 43% des médecins, notamment, se verraient au contraire réclamer un trop perçu, d’après un chiffre avancé par la FMF. La moitié des kinés seraient débiteurs, estime quant à lui le président du syndicat Alizé.

 

 

 

2204 euros de remboursement par médecin, en moyenne

Sollicitée par Egora, la Cnam ne confirme pas ces proportions, précisant seulement qu’une “partie des professionnels de santé sont concernés par des sommes à retourner à l’Assurance maladie”. Pour autant, insiste la caisse nationale, le “solde est globalement positif” : “les 70 000 médecins généralistes et spécialistes ont reçu en moyenne respectivement 3 482 € et 8 944 € d’avances aide Dipa, avec une régularisation en moyenne positive de respectivement +373 € et +2 390 € (complément versé par la Cnam) portant l’aide définitive à respectivement 3 855 € et 11 335 €”, nous précise-t-on. A l’inverse, les médecins concernés par un remboursement doivent en moyenne 2204 euros. Ce qui porte l’aide définitive moyenne à 3882 euros pour ces derniers, ajoute la Cnam. Au total, 1.26 milliard d’euros d’aide ont été alloués aux soignants libéraux, dont 142 millions d’euros au titre de cette régularisation tardive.

Reste que pour les professionnels de santé à qui l’on réclame un remboursement, la pilule est amère : “Je me suis installé en février 2020, création d’activité, autant vous dire que les mois de mars avril mai ont été catastrophiques par rapport à mes années de remplacement, personne ne venait… On me demande 1500 euros”, témoigne un jeune généraliste sur Twitter. “Installée au 15 janvier 2020, je dois aussi rendre les 1000 € qu’ils m’ont avancés et je n’avais pas tout pris !”, lui répond une autre. “Ils me réclament une somme astronomique… La prochaine fois, je reste sur mon cul assise dans le canapé. Je ne risquerai pas ma peau avec des masques périmés”, lâche une consœur. “Finalement, l’aide Covid que m’octroie la Sécurité sociale pour deux mois de confinement, c’est 483 euros soit moins d’une demi-journée de charges fixes. Il me reste à rembourser 6600E sur la somme calculée sur Amelipro”, témoigne un chirurgien-dentiste, dénonçant un “scandale”. Certains échos font état de sommes allant jusqu’à 20.000 euros pour les praticiens de l’art dentaire, et jusqu’à 30.000 euros pour les médecins. Des chiffres non confirmés par la Cnam. “Les infirmières sont également concernées, avec des sommes moindres, ainsi que les kinés”, précise le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S, fer de lance de la fronde intersyndicale. Ce jeudi soir, un point zoom réunira les représentants de l’UFML, de la FMF et du SML pour les médecins, de Convergence infirmière pour les infirmières libérales, d’Alizé pour les kinés et de la Fédération des syndicats dentaires libéraux. “On va vers une grogne généralisée des professionnels de santé libéraux”, commente le Dr Talbot, de la FMF, particulièrement mobilisé sur le sujet. “Ce sont les seuls à qui l’on demande de rembourser une aide perçue”, constate-t-il. “On est loin des applaudissements du printemps…”

Comment a-t-on pu en arriver là ? Retour en arrière. Le 29 avril 2020, conformément à une promesse du Gouvernement, l’Assurance maladie annonce par communiqué l’ouverture d’un téléservice dédié permettant aux professionnels de santé libéraux dont l’activité a été impactée par la crise sanitaire de demander une indemnisation. Neuf professions de santé, représentant 335.000 professionnels, sont éligibles. Durant les premières semaines de confinement, la baisse d’activité est en moyenne de 40% pour les médecins généralistes, de 50% pour les spécialistes tandis que les kinés ou encore les chirurgiens-dentistes sont pratiquement à l’arrêt. La Cnam prévient d’emblée : il s’agit de compenser les charges fixes, non de maintenir le niveau de rémunération.

Dans un premier temps, sur la base du montant annuel des honoraires sans dépassements enregistré en 2019, la Cnam calcule au pro rata pour la période du 16 mars au 30 avril les honoraires que chaque professionnel aurait dû percevoir. Pour calculer l’aide, elle applique à cette somme un taux de charge, fixé en fonction du niveau d’activité durant la crise (entre 0 à 30%, entre 30 et 60% ou entre 60 et 100% par rapport à 2019), pour chaque profession et pour chaque spécialité pour les médecins. Le résultat est ensuite amputé des éventuelles IJ (pour le médecin ou ses collaborateurs) et autres aides publiques perçues (fonds d’urgence pour les travailleurs indépendants et les professions libérales, chômage partiel, indemnités journalières). Les demandeurs avaient la possibilité de réclamer une avance allant jusqu’à 80% du montant provisoire de l’aide. De mai à juillet, pour parer à l’urgence, 203.000 professionnels de santé ont ainsi reçu un acompte de 5515 euros en moyenne. Un complément moyen de 698 euros a été versé vers la fin de l’année, portant l’aide moyenne à 6213 euros.

 

“Je promets, je donne et je reprends”

Pour calculer l’aide définitive, il restait à prendre en compte l’activité sur l’ensemble de la période concernée, soit du 16 mars au 30 juin 2020. “Une reprise d’activité en fin de période peut également avoir compensé en totalité ou partiellement la perte d’activité déclarée en début de la période”, relève la Cnam en réponse à Egora. “Des erreurs ont pu être commises et les montants pris en compte lors du calcul des avances ont pu évoluer, dans un sens comme dans l’autre, entraînant nécessairement des régularisations”, justifie-t-elle encore. Les médecins les plus “prudents”, qui n’avaient pas demandé d’avance ou une petite partie seulement, sont ceux qui s’en sortent le mieux.

 

 

Mais le nœud du problème pour les syndicats reste la non prise en compte dans le calcul définitif de la Cnam, basé sur un décret publié au Journal officiel le 31 décembre, des rémunérations forfaitaires dans le revenu de référence 2019. Des forfaits qui représentent jusqu’au quart de la rémunération globale des généralistes. Dans ces conditions, nombre d’omnipraticiens font face à une demande de remboursement. “Sans les forfaits, mon revenu de référence 2019 chute de 154 000 à 116 000 euros, illustre Richard Talbot, de la FMF. Forcément, la perte d’activité en 2020 est moins importante!” Sur ce point, les syndicats sont unanimes : la règle a changé en cours de route. “J’ai participé aux discussions. Nicolas Revel nous a dit, à l’oral, que les forfaits en faisaient partie”, assure le syndicaliste. D’ailleurs, note-t-il, les forfaits sont bien des honoraires conventionnels déclarés comme tels à l’Urssaf et aux impôts. “Au mois de mai, on nous dit de prendre en compte la rémunération forfaitaire dans nos calculs et au mois de décembre on sort un décret pour plus les prendre en compte”, renchérit le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. “Je promets, je donne et je reprends”, lâche-t-il. “J’avais tellement peur de me tromper que j’ai demandé à mon associé de faire les calculs pour moi”, se souvient le généraliste mayennais, qui doit désormais rembourser l’intégralité de la somme, avec un échelonnement possible des paiements sur douze mois au plus.

Au-delà de l’aspect financier, le président des Généralistes reproche à l’Assurance maladie de n’avoir “pas rempli son contrat”, alors que les médecins se démènent sur le terrain depuis le début de la crise. “La coupe est pleine”, lance-t-il. Pour la FMF, “la confiance est trahie”, le Dipa étant qualifié de “marché de dupes”. De son côté, l’UFML du Dr Marty crie à l'”arnaque” et appelle les médecins concernés à n’accepter ni prélèvement d’indus ni remboursement. Et ce, “tant que les calculs ne sont pas tout à fait clairs et transparents”, précise le président du syndicat. De son côté, Richard Talbot a choisi la voie de la contestation, mettant à disposition de la communauté, sur Twitter, la lettre envoyée au directeur de sa CPAM. Les syndicats doivent échanger sur le sujet avec le directeur de la Cnam, Thomas Fatôme, ce mercredi soir. A suivre.

 

“Symboliquement, c’est difficile de se dire qu’on est considérés comme des voleurs”

Lucille, généraliste installée dans une zone déficitaire, vient d’apprendre qu’elle va devoir rembourser 4500 euros au titre du Dipa. Une nouvelle difficile à encaisser pour cette jeune praticienne de 39 ans.

“Durant cette période, j’avais l’impression de beaucoup moins travailler, se souvient Lucille*, généraliste installée dans une petite ville située en zone d’intervention prioritaire. J’avais une diminution de l’activité de 20%, je dirais. Ça a été très compliqué de comprendre quels étaient les calculs à faire, les chiffres à fournir pour cette aide. Et puis on avait la tête ailleurs… Sur les conseils des syndicats, j’ai demandé le maximum de la somme à laquelle je pouvais prétendre. En tout, ça faisait 6700 euros.

Aujourd’hui, on me demande de rembourser 4500 euros. Soit une aide réduite à 1200 euros… C’est brutal. J’ai mis un peu de temps à digérer. C’est un peu stressant parce que 4500 euros ce n’est pas facile à trouver. Je n’ai pas eu l’impression l’année dernière d’avoir vécu si bien que ça financièrement. Cette somme m’a semblé nécessaire. Mes charges mensuelles s’élèvent quand même à 5000 euros. Plus toutes les dépenses supplémentaires qu’on a eues par rapport aux années précédentes : les masques, les blouses, tout le matériel qu’on ne trouvait pas à l’époque et qui coûtait une fortune…

Effectivement, dans les mois qui ont suivi, l’activité a explosé. Je suis dans un secteur déficitaire et des confrères sont partis à la retraite…

Mais symboliquement parlant, c’est difficile de se dire qu’on est considérés comme des voleurs. Moi j’ai juste indiqué les chiffres qui étaient demandés. Ça ne fait évidemment pas plaisir d’avoir à rembourser 4500 euros mais le plus difficile à accepter, c’est cette mise en doute de notre sincérité. Sans parler de notre investissement face au Covid : le suivi des patients, les réponses à leurs angoisses, la vaccination, gérer les informations qui viennent de partout… franchement c’est rude.

Je vais contester. Surtout que ma situation personnelle est compliquée. Je suis tombée enceinte en cours d’installation, en 2018. En 2019, il y a trois mois où je n’ai pas eu d’activité mais a priori ils ne l’ont pas pris en compte dans le calcul : ils considèrent que mon CA de 2019 était un CA sur douze mois, du coup la perte d’activité sur 2020 ne se voit pas.

J’ai écrit aux autres médecins de ma ville. L’une m’a répondu qu’elle avait également des indus, qu’elle contestera. Un autre m’a dit qu’il n’avait pas demandé tout l’acompte possible donc il a eu au final un petit complément. Ceux qui ont été prudents ne sont pas embêtés, contrairement à ceux qui ont suivi le mot d’ordre des syndicats qui considéraient qu’il valait mieux prendre l’argent avant que le calcul ne change. Et c’est ce qui s’est passé.”

* Le prénom a été modifié.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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