Après l’échec et la suspension des négociations de l’avenant 9 en décembre dernier, la Cnam a mis une nouvelle offre sur la table pour les médecins libéraux, gonflant sensiblement l’enveloppe l’initiale. Les revalorisations promises aux différentes spécialités suffiront-elles à les faire patienter jusqu’à la prochaine convention ? Rien n’est moins sûr.
“On a d’emblée mis sur la table une copie ambitieuse, pour aller vite”, commente le directeur général de la Cnam, à l’issue de la deuxième séance de reprise des négociations conventionnelles pour l’avenant 9. Un avenant qui, assure Thomas Fatôme, se classera dans le “top 3 des avenants les plus ambitieux en termes financiers”. Cette nouvelle offre de la Cnam se chiffre à environ 585 millions pour les médecins libéraux, dont 140 millions pour les médecins généralistes et 141.2 millions pour les autres spécialistes. Une somme à laquelle s’ajoute l’enveloppe qui sera dévolue au Service d’accès aux soins (SAS), en cours de cadrage. En novembre, 150 millions d’euros avaient été avancés pour les soins non programmés. Le total pourrait donc avoisiner les 735 millions.
Loin des 2 milliards d’euros réclamés par le SML, mais néanmoins bien au-dessus des 549 millions d’euros proposés en novembre dernier et boudés par les syndicats. Face aux multiples demandes des représentants des médecins libéraux, qui attendent impatiemment ce “Ségur de la ville” à défaut de pouvoir renégocier une nouvelle convention dans l’immédiat, Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins de la Cnam, a rappelé que le cadrage ministériel a défini six priorités : le maintien à domicile des personnes âgées, l’accès aux spécialistes, la télémédecine, le numérique en santé, le SAS et la prise en charge du handicap et des enfants de l’ASE*.
Extension de la visite longue à 70 euros
Pour inciter les médecins à se rendre davantage au domicile des patients âgés, la Cnam propose d’étendre la visite longue à 70 euros (60 euros +MD) à l’ensemble des patients de plus de 80 ans en ALD, dans la limite de trois par an et par patient. Pour l’Assurance maladie, le coût se chiffre à 120 millions d’euros.
La VL serait par ailleurs ouverte aux gériatres, ce qui représenterait pour ces derniers un gain potentiel de 11850 euros par an.
Les syndicats entendent faire encore bouger les lignes. “Au-delà de la complexité à comptabiliser, cette limitation à 3 visites longues par an est un non-sens sur le plan médical”, juge le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes CSMF. “Trois par an c’est compliqué, on le voit avec nos patients Alzheimer. On ne sait jamais si on les a utilisées“, renchérit le Dr Jacques Battistoni, président de MG France, qui demande 4 VL par an, soit “une par trimestre”, à l’instar de la CSMF. Son homologue de l’UFML réclamait quant à lui un tarif de 50 euros pour 12 visites par an. “Toutes les visites sont complexes. Nos patients âgés polypathologiques ne rajeunissent pas de 30 ans après trois visites”, ironise-t-il. “Le distinguo entre visite longue et visite tout court n’a plus de sens, juge le SML dans un communiqué diffusé ce mercredi 7 juillet. Désormais, toutes les visites sont longues. “
Spécialistes : l’avis ponctuel de consultant (APC) à 54 euros
C’est la principale nouveauté de cette offre : pour améliorer le parcours de soin et faciliter l’adressage des patients aux spécialistes, la Cnam propose de revaloriser l’APC à hauteur de 4 euros. L’impact moyen annuel pour les médecins de second recours a été évalué à 3877 euros pour les endocrinologues, 3657 euros pour les gastro-entérologues, 3119 euros pour les rhumatologues, 2558 euros pour les dermatologues, 2907 euros pour les chirurgiens ou encore 1908 euros pour les cardiologues.
Cinq spécialités qui accusent un “retard” en matière de rémunération et/ou présentent des enjeux forts en matière de santé publique se voient proposer des revalorisations spécifiques.
La Cnam veut rehausser de 4 euros le NFP des pédiatres (elle proposait 3 euros en novembre), ce qui porterait la consultation pour les enfants de 0 à 2 ans à 36 euros. De nouvelles consultations seraient créées pour la prise en charge des troubles du neurodéveloppement et des troubles “dys” (60 euros), ainsi que le bilan d’entrée des enfants dans l’ASE (46 euros). Le gain moyen annuel se chiffre à 7094 euros pour les pédiatres.
Pour les psychiatres, la Cnam propose de revaloriser la CNPSY de 3.5 euros, contre 2 euros en novembre. La consultation d’urgence serait payée double. Soit un gain de 8075 euros en moyenne pour ces spécialistes.
Les gynécologues médicaux bénéficieraient d’une majoration conventionnelle de 2 euros, correspondant à un bonus annuel moyen de 5516 euros. En réponse à une demande de longue date des syndicats, l’ensemble des gynécologues seraient autorisés à coter une consultation en même temps qu’une colposcopie.
Quant aux endocrinologues, la MCE serait augmentée de six euros, pour un gain annuel moyen de 6045 euros.
Enfin, dans les DOM-TOM, la Cnam propose une revalorisation de 3% des actes CCAM.
Extension de la visite longue aux gériatres comprise, l’enveloppe pour les spécialistes s’élève à 140 millions d’euros pour l’Assurance maladie obligatoire (175 millions avec les complémentaires), une somme à peu près équivalente à celles des généralistes, conformément à la volonté de “rééquilibrage” de Thomas Fatôme.
Du côté de l’Union AvenirSpé-Le Bloc, c’est la “déception”. “J’espère que ce n’est pas la dernière offre. On n’est pas arrivé au socle que nous souhaitions”, confie le Dr Gasser. “Ça fait trente ans que ces spécialités cliniques sont oubliées, ce n’est pas 6000 euros par an qui vont suffire”, renchérit le Dr Marty, de l’UFML. De son côté, le SML réclame une revalorisation de 10 euros pour l’APC.
Télémédecine : pas plus de 20% de l’activité
C’est le statu quo par rapport à novembre. L’objectif pour la Cnam reste de mettre fin au “schéma très très libéral” qui s’est imposé au plus fort de la crise sanitaire, tout en faisant sauter certains “verrous” conventionnels préexistants, rappelle Marguerite Cazeneuve : la Cnam veut supprimer la règle conditionnant le remboursement à une consultation présentielle dans les 12 mois précédents, valider l'”extraterritorialité” pour des “besoins de soins légitimes” (les urgences, notamment dans le cadre du SAS) et suggère un seuil maximal de 20% d’activité de télémédecine pour les médecins, afin d’éviter “que des médecins se spécialisent et ne fassent que ça sur des plateformes“.
La télé-expertise, accessible à l’ensemble des patients, serait rémunérée 20 euros l’acte pour le médecin requis.
Numérique : jusqu’à 2700 euros pour le volet médical de synthèse (VSM)
En matière de numérique en santé, le ministère et la Cnam placent la barre très haut avec une enveloppe de 400 millions d’euros. Pour que les éditeurs de logiciels se mettent au niveau, 100 millions d’euros seront directement versés à ceux qui obtiendront le “label Ségur”, s’engageant à respecter un cahier des charges et à ne pas facturer ce package de services supplémentaires, ni la maintenance, à leurs clients médecins.
De leur côté, les praticiens verront leur forfait structure s’enrichir de quatre nouveaux indicateurs dans le volet 2, correspondant à l’usage des téléservices promus par le Ségur : alimentation du DMP (pour au moins 30% des consultations dès 2022), utilisation de la messagerie sécurisée, e-prescription (50% des prescriptions en 2023 et utilisation de l’application carte vitale (pour 5% des feuilles de soins dématérialisées en 2023). La revalorisation annuelle, pour 2022 et 2023, s’élève à 100 millions d’euros. Dès 2024, il est prévu que ces indicateurs basculent dans le volet 1… “Le virage numérique est une priorité politique absolue”, insiste Marguerite Cazeneuve.
Par ailleurs, la Cnam est prête à débourser 100 millions d’euros pour que les médecins traitants remplissent le volet de synthèse médical de leurs patients en ALD d’ici mi-2023. Les praticiens toucheront 1350 euros si au moins 50% des VSM sont alimentés, et 2700 euros si 90% le sont (majoration de 20% si au moins 50% des VSM sont structurés). “Si c’est pour afficher le nombre de documents versés dans les DMP, je n’en vois pas l’intérêt”, lance le président des Généralistes-CSMF. “Ce qui compte, c’est d’avoir un VSM structuré. ça prend 30 à 45 minutes pour un patient complexe. Et on nous propose 15 euros…”.
Pour Jacques Battistoni, les “avantages financiers” pour les médecins ne compensent pas les “contraintes” ainsi créées. “Avec le passage de certains indicateurs dans le volet 1, le risque pour le médecin c’est de perdre l’intégralité du forfait structure”, souligne Luc Duquesnel. Quant à Jérôme Marty, il déplore que l’argent du numérique en santé soit donné aux éditeurs de logiciels plutôt qu’à “ceux qui font les soins”.
SAS : pas de majoration sur l’acte pour les effecteurs
Si la Cnam offre d’aligner “vers le haut” la rémunération des médecins régulateurs du SAS en proposant 90 euros de l’heure et la prise en charge des cotisations, pour les effecteurs elle reste sur une rémunération forfaitaire alors que les syndicats réclament une majoration de l’acte de soins non programmés. La caisse propose d’attribuer jusqu’à 320 points dans le cadre du forfait structure : 10 points pour 5 à 20 actes de soins non programmés par trimestre, 40 points pour 20 à 40 actes, et 80 points au-delà de 40 actes. La directrice déléguée de la Cnam souligne qu’en “entrée de pallier“, cette “proposition forfaitaire” se rapproche des 15 euros de majoration par acte demandée. MG France souligne de son côté qu’en fin de pallier, “on sera à 3-4 euros”.
La participation au SAS (avoir un agenda ouvert au public ou partagé avec le régulateur, avec un minimum de plages horaires ouvertes et être inscrit dans le dispositif SAS ou faire partie d’une CPTS participant au SAS) serait valorisée à hauteur de 200 points dans le forfait structure.
“On verra si les effecteurs jugent ces propositions suffisantes pour s’impliquer dans le SAS”, commente Jacques Battistoni. Pour l’UFML, les sommes ne sont pas à la hauteur des “responsabilités” qui incomberont aux médecins qui verront ces patients pour la première fois. “Il y a un milliard d’euros à récupérer du côté des passages aux urgences non justifiés. On se contentera de 500 millions”, lance le Dr Marty.
Handicap : 60 euros pour le remplissage du dossier MDPH
Plusieurs mesures visent l’amélioration de la prise en charge des patients en situation de handicap : la Cnam souhaite notamment créer une consultation très complexe (60 euros) pour la première demande de dossier MDPH, propose de valoriser les “consultations blanches” de prise de contact à 25 euros et veut inscrire à la nomenclature des généralistes, comme pour les pédiatres, des consultations pour la prise en charge des troubles dys ou du neurodéveloppement.
Par ailleurs, une consultation complexe (46 euros) de bilan d’entrée dans l’ASE sera créée.
Au total, 20 millions d’euros supplémentaires sont mis sur la table pour les généralistes, qui s’ajoutent aux 120 millions d’euros de la visite longue, soit un gain annuel moyen de l’ordre de 2500 euros pour les généralistes. Bien insuffisant pour le président de MG France, au regard des revalorisations consenties aux autres spécialités cliniques sinistrées. “On se demande si on va arriver un jour à une forme d’équité, on peut en douter… 7000 euros de plus pour le pédiatre, 8000 euros pour le psychiatre contre 2500 pour le généraliste. C’est pas parce qu’on est plus nombreux qu’on ne doit pas être revalorisés. A ce régime-là, on ne sera plus nombreux du tout”, alerte le généraliste. “Avec la revalorisation de l’APC, on aggrave le différentiel. Un APC sera supérieur à deux C”, regrette-t-il.
A l’issue d’une nouvelle session de réunions bilatérales, une proposition finalisée sera soumise aux syndicats la semaine prochaine, avec en ligne de mire une signature avant la fin du mois de juillet pour une application des mesures début 2022. La Cnam et les syndicats parviendront-ils à un accord express? Rien n’est moins sûr. “Le compte n’y est toujours pas!”, déplore le SML dans son communiqué, réclamant la négociation d’une “nouvelle convention médicale dès maintenant”. Pour les syndicats, en effet, ce “Ségur de la ville” apparaît comme un piètre lot de consolation. “Il y a eu un gros investissement dans l’hôpital public, mais il n’y a pas la volonté politique d’investir dans la médecine de ville”, déplore le Dr Gasser, d’Avenir Spé. “Le Ségur, c’est 22.5 milliards au total pour l’hôpital. Là, nous sommes à 1/34e de cette somme pour les médecins libéraux. J’ai la prétention de penser qu’on vaut plus que ça”, conclut le Dr Marty. “Nous avions de grandes espérances sur cet avenant 9, que ça correspondent à l’engagement des généralistes sur le terrain durant au cours de ces 18 mois, souligne Luc Duquesnel, de la CSMF. Sur ce plan-là, la déception est énorme.”
* Aide sociale à l’enfance.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques
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