Le 1er avril 2010, naissaient les agences régionales de santé dans le cadre de la loi Hôpital, patients, santé et territoires pilotée par Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé. Dix ans après, quel bilan tirer de leurs actions ? C’est à cette question qu’ont répondu les députés Jean-Carles Grelier (LR) et Agnès Firmin-Le Bodo (Agir). Rapporteurs pour la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale, ils viennent de rendre un état des lieux complet des ARS et formulent, à l’issue de ce rapport d’une centaine de pages, une trentaine de propositions pour tenter de “renouer avec la proximité”, notamment avec les professionnels de santé. “Simplification”, “clarification”, “précision”… Jean-Carles Grelier revient en détail sur leurs conclusions, qui pointent à la fois les défauts de ces “mastodontes démocratiques”, sans toutefois appeler à tout changer.

 

Egora.fr : En préambule de votre rapport, vous soulignez un bilan en “demi-teinte” de l’action des ARS depuis leur création. En quoi est-ce mitigé ?

Jean-Carles Grelier : Le sentiment que l’on a, c’est que tout n’est pas à jeter. On aurait pu considérer, comme beaucoup nous y poussaient, qu’il fallait tout casser, tout reconstruire, supprimer les ARS et rebâtir une organisation territoriale de notre système de santé… Mais nous avons préféré nous dire que ces structures ne sont pas parfaites, loin s’en faut, qu’il y a des choses qui fonctionnent, d’autres qui fonctionnent beaucoup moins bien, regarder ce que nous pouvons améliorer et notamment comment on peut ré-ancrer dans les territoires, les agences régionales de santé. C’est ça qui nous fait dire que c’est un bilan en demi-teinte. Parce que finalement, si on regarde objectivement la loi HPST de Roselyne Bachelot à l’époque, les ARS ont été mises en place essentiellement pour faire de la régulation budgétaire, c’est-à-dire pour mettre en œuvre l’Ondam à l’échelle d’un territoire. Globalement, de ce point de vue-là, les choses se sont bien passées. Du point de vue des patients et des soignants, le regard est en revanche totalement différent puisque ça s’est traduit par des réorganisations, des fermetures de lit, des fermetures d’établissements. Mais en tout cas, la mission qui avait été fixée par le législateur aux ARS a été remplie.

 

 

Alors que certains proposent de supprimer les ARS, vous appelez, au contraire, à les renforcer…

Nous n’appelons pas à les renforcer dans leurs missions, ni à avoir plus de contrôle, de régulation ou d’administration. Mais réfléchissons, si on avait dû supprimer les ARS, c’est ce que nous demandaient notamment les élus des territoires, on les remplacerait par quoi ? Ça voudrait dire imposer à l’ensemble du monde de la santé, une nouvelle réforme d’organisation de la santé dans les territoires. Il nous a semblé que les professionnels en avaient ras-le-bol de toutes ces réformes et que le plus intelligent était justement de regarder ce qui ne fonctionnait pas bien dans les ARS pour essayer de l’améliorer. Et puis, ce dont se plaignent les élus locaux, ce ne sont pas les ARS en tant que telles, ils comprennent bien que le ministère de la Santé a besoin d’avoir des services dans les territoires. Ce qui est reproché à ces agences, c’est de ne plus avoir, à l’échelle départementale, d’interlocuteur. Ou quand ils en ont, d’avoir le plus souvent un interlocuteur qui est dans l’incapacité de prendre une décision parce qu’on ne lui a pas délégué de responsabilités.

 

Pour que les ARS gagnent en efficacité, il faut miser plus sur l’échelon départemental, selon vous ?

Ce que nous proposons, c’est un schéma d’organisation des délégations départementales des ARS qui soit identique sur tous les territoires. Et surtout, d’avoir des directeurs départementaux des ARS qui soient investis d’un vrai pouvoir, qui soient à la tête d’un bout du Fonds d’intervention régional par délégation du directeur de l’agence. Il faut que lorsqu’il y a besoin par exemple, les professionnels libéraux puissent s’adresser au directeur territorial de leur ARS et obtenir des réponses, contrairement à ce qu’on entend aujourd’hui : ‘J’entends votre question, je la fais remonter à la direction générale, et quand j’ai une réponse je vous la communiquerai’, car cela n’est pas tolérable. Avec Agnès Firmin-Le Bodo, nous sommes persuadés que si nous arrivons à avoir ce schéma-type d’organisation, on aura fait de sacrés progrès. D’autant que l’une des difficultés auxquelles ont été confrontées les ARS, a été l’agrandissement du périmètre des régions qui peut donner l’impression que les ARS ne sont pas concrètes du tout. Si demain on a des gens de terrain, qui connaissent leur département, qui sont capables de répondre aux attentes des professionnels de santé, l’image des ARS peut profondément changer.

 

Pensez-vous alors que l’échelon régional reste pertinent pour être efficace pour les professionnels de santé ?

Oui, il peut être extrêmement pertinent quand il s’agit de définir un projet régional de santé ou une stratégie de santé à cinq ans par exemple. Par contre, dans sa déclinaison, il faut que tout revienne à l’échelon territorial.

 

 

Sur le terrain, les professionnels de santé ont le sentiment que les ARS sont éloignées des réalités et ne sont d’aucun appui. Le comprenez-vous ?

Quand on dit bilan en demi-teinte, c’est sûrement ce qui a le moins bien fonctionné. Parce qu’on a imposé aux ARS depuis 10 ans, des baisses d’effectifs et budgétaires qui sont très importantes. Et donc les directeurs d’ARS ont d’abord cherché à s’entourer au niveau régional d’une équipe costaud, avec des gens d’assez haut niveau pour remplir leurs missions… Tout en négligeant les territoires. Aujourd’hui, incontestablement, il faut envisager de redonner des moyens aux ARS pour qu’elles puissent se développer et recruter. Si l’ARS avait, demain, des interlocuteurs au niveau territorial, on aurait moins l’impression qu’elles ne servent à rien.

 

Quels devraient être les rôles et les missions des ARS ?

Notre sentiment, c’est que l’ARS doit être un accompagnateur de projet et un accompagnateur des initiatives prises sur le terrain. On a vu, au travers de la crise sanitaire, qu’au plus fort de l’épidémie, tout le monde a commencé à s’abstraire des règles du code de la Santé publique et de toutes les normes que le ministère de la Santé peut envoyer… Et tout a commencé à devenir efficace. On voyait dans les hôpitaux, les directeurs d’hôpitaux qui aidaient les présidents des commissions médicales d’établissement à aller vers ce qui était le plus utile, le plus urgent, et les ARS se contentaient alors d’accompagner administrativement et financièrement ces initiatives. Nous, ce qui nous semble, c’est que le vrai rôle des ARS, ce doit être cela : laisser, dans la confiance, l’initiative aux acteurs de santé d’un territoire et les soutenir. Regardez, concernant les professionnels de santé libéraux, ce qu’il se passe avec les CPTS. A l’origine, elles ont eu beaucoup de mal à prendre. Pourquoi ? Parce que ce sont les ARS qui définissaient leur périmètre, et c’est l’Assurance maladie qui passait derrière et qui finançait. Or, à mon avis, ça aurait été beaucoup plus efficace si on avait dit dès l’origine aux professionnels libéraux de s’organiser sur le terrain comme ils le souhaitent, de faire des propositions, et d’ensuite travailler sur cette base. Les choses ont évolué depuis en ce sens, et on remarque que les CPTS démarrent beaucoup plus fort. L’idée qui consiste à croire que l’Etat fait, en toutes circonstances, beaucoup mieux que les professionnels de santé eux-mêmes, est une bêtise.

 

 

Beaucoup de professionnels de santé estiment aussi que les ARS sont trop hospitalo-centrées. Mais pour vous, ce n’est pas le cas ?

Dans ce rapport, nous avons fait le pendant entre d’un côté, le sanitaire, et de l’autre, le médico-social. Effectivement, les premières réactions que nous avons entendues dans les auditions que nous avons conduites, c’était que les ARS ne s’occupent que de l’hôpital, ne s’occupent pas du médico-social et encore moins de la médecine de ville. Quand on a creusé, on s’est rendu compte que l’hôpital, c’est une compétence naturelle des ARS qui en ont une compétence exclusive. Elles sont les seules à intervenir à ce propos. Dès qu’on passe sur la médecine de ville par exemple, c’est l’Assurance maladie qui intervient, le plus souvent. Et là aussi, on s’est rendu compte que les directeurs de caisse primaire d’Assurance maladie n’avaient quasiment aucun contact avec les directeurs départementaux des ARS, qui n’ont pas de pouvoirs. Si on reprend le cas des CPTS : on ne peut pas imaginer que l’ARS propose aux médecins et au territoire de s’organiser, que la CPAM assure le financement, sans que la CPAM et l’ARS ne se parlent. Ce n’est pas possible de fonctionner ainsi. Il faudrait que l’échelon départemental des ARS fonctionne comme les préfets, qui vivent, arpentent et connaissent leur territoire.

 

Vous écrivez également que les ARS n’ont “ni levier matériel, ni magistère moral pour agir sur l’exercice des professionnels de santé libéraux, et que leur rôle en la matière reste cantonné à un rôle d’animation et de coordination”.

C’est exact. Dans la fonction de régulation qui leur a été donnée, dans la régulation budgétaire ou dans la fonction d’organisation de l’offre de soin, le directeur général d’une ARS n’a aucun pouvoir sur les professionnels libéraux. La région a la vision stratégique d’un territoire et notamment la répartition de l’offre de soin sur tout le territoire, et l’échelon départemental a le caractère opérationnel. Il faut que les ARS puissent avoir une vraie vision de l’organisation territoriale de la santé et qu’elle décline à l’échelon départemental, des CTPS et des coopérations. Mais je le répète, c’est l’Assurance maladie qui finance. Cela posera peut-être un jour un problème et il faudra penser à unifier tout cela, car cela ne facilite ni le dialogue, ni l’efficacité.

 

Dans votre rapport, vous précisez que vous n’aviez pas vocation à dresser un bilan exhaustif de l’action des ARS pendant la crise, car cela serait les réduire à deux ans d’existence. Mais vous soulignez tout de même qu’il y aura un avant et un après. Comment envisagez-vous cet après ?

L’après, c’est ce qui nous a dicté l’envie de créer davantage de confiance avec les territoires et de laisser plus d’autonomie aux directeurs pour qu’ils puissent avoir des projets sans tout devoir faire valider aux ARS à chaque fois. Pour résumer, l’idée c’est que les ARS soient un peu moins régulatrices et un peu plus accompagnatrices de projets des acteurs des territoires.

 

Cela pourrait permettre de favoriser certaines actions menées par des libéraux directement sur le terrain, comme cela a pu être le cas dès le début de la crise ?

Oui, et l’avenir passera par la coopération entre professionnels de santé sur le terrain. Laissons l’initiative aux acteurs : les professions libérales ne veulent pas se faire dicter ce qu’elles ont à faire. Elles ont de l’énergie et des idées. Et puis on le sait, les réseaux existent déjà. Un généraliste à l’habitude de travailler avec tel ou tel chirurgien, telle ou telle infirmière, avec tel ou tel hôpital, pharmacien… Donc laissons-les s’organiser comme cela, donnons leurs des moyens et accompagnons-les pour des projets qui ont du sens.

 

 

Peut-on réellement croire à la simplification de ce que vous qualifiez vous-même de “mastodontes bureaucratiques” ?

Je veux continuer à y croire. Ce que je crois surtout, c’est que le ministère de la Santé et ses déclinaisons régionales ne bougeront vraiment qu’à partir du moment où ceux qui nous gouvernent considéreront et regarderont la santé comme un vrai projet politique. Si on avait un Gérald Darmanin ou un Bruno Le Maire à la santé, les choses ne se passeraient pas de la même manière. Parce qu’au ministère de la Santé, ce sont les mêmes fonctionnaires qui tournent depuis 25 ans et se partagent les postes. On l’a d’ailleurs dit, ce ne serait pas une bonne idée que demain, on modifie le profil de recrutement des directeurs généraux d’ARS et que ça devienne un point de passage obligé de tous les hauts fonctionnaires du ministère. Olivier Véran a beau être médecin, il n’y connaît rien à la médecine de ville car il est hospitalier. En 2019, quand on a débattu dans l’hémicycle de la loi de transformation du système de santé, il y avait sur le banc du Gouvernement : Agnès Buzyn, hospitalière, Olivier Véran, hospitalier, Stéphanie Rist, hospitalière, Thomas Mesnier, hospitalier… Mais enfin, l’hôpital ne résume pas toute la santé à lui tout seul ! Une personne extérieure à la Santé serait plus efficace. Un ministre n’a pas besoin d’être un spécialiste de son domaine. Il faut un vrai projet politique, sans avoir un technicien.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Marion Jort

Sur le même thème :
“L’ARS n’est pas là pour faire de la câlinothérapie” : outrés par la réponse de la directrice de Dordogne, les libéraux réclament son départ
Médecin de l’ARS à la Réunion : “Il ne fallait pas céder à la pression médiatique nationale”
“J’ai constaté l’extrême solitude du médecin” : lettre ouverte à un directeur d’ARS
“L’ARS Île-de-France détricote quelque chose qui fonctionne” : le coup de gueule d’une présidente de CPTS