La maladie de Lyme, il est tombé dedans “comme Obélix dans la potion magique”. Devenu un expert malgré lui, le Pr Eric Caumes, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de La Pitié-Salpêtrière (AP-HP), dénonce dans un ouvrage “le complotisme scientifique” de la maladie de Lyme. Sans nier son existence ni la “souffrance” de ceux qui pensent, à tort, en être atteints et se retrouvent en errance diagnostique, l’infectiologue pointe les fausses promesses des “Lyme docteurs” et la “complaisance”, voire la “compromission”, des autorités sanitaires. Il revient également sur ses rapports mouvementés avec le Pr Christian Perronne, idole déchue des activistes Lyme. Interview.

 

Maladie de Lyme

Maladie de Lyme, réalité ou imposture, Ed. Bouquins, mai 2021. 18 euros.

 

Egora.fr : Pourquoi écrire un ouvrage sur la maladie de Lyme aujourd’hui alors qu’on n’entend plus parler depuis plus d’un an ?

Pr Eric Caumes : Effectivement, on n’entend plus beaucoup parler de la maladie de Lyme en ce moment mais je pense que c’est parce que le Covid a occupé l’espace médiatique. Car le problème demeure : il y a beaucoup de malades qui restent en errance diagnostique, avec un faux diagnostic de la maladie de Lyme. Et il y a beaucoup de médecins en difficulté face à ses malades. J’ai écrit ce livre pour eux.

L’autre raison, c’est parce que malheureusement, la maladie de Lyme est un peu le cheval de Troie des complotistes versant santé. On voit des idées médicales anti-scientifiques pénétrer au plus haut sommet de l’administration française, à la Haute Autorité de santé comme au Parlement.

 

Pour revenir au commencement de votre histoire avec la maladie de Lyme : vous dites que vous êtes devenu un expert à l’insu de votre plein gré. Y a-t-il véritablement des experts en France ou seulement des médecins qui prétendent l’être ?

La réponse est dans votre question : ce sont surtout des gens qui prétendent l’être ! Jusqu’à l’année dernière, il n’y avait aucune formation dédiée. Des experts s’autoproclamaient spécialistes de Lyme sans même être spécialisés en maladie infectieuse, ni dans la reconnaissance des diagnostics différentiels. Certains malades, au nom du Lyme chronique, se retrouvent avec des ordonnances abracadabrantesques pendant des mois, voire des années avec parfois deux douzaines de médicaments… C’est quand même un prix lourd à payer.

 

Des ordonnances dans lesquelles on retrouve parfois Plaquénil (hydroxychloroquine) ou l’azithromycine…

Absolument. C’est à relever…

 

 

Comment expliquer que certaines associations de malades Lyme aient pris fait et cause pour ces médecins qui ont promu leurs protocoles de traitement du Covid ? Le Pr Perronne est-il l’unique lien entre les deux causes ?

Le Pr Perronne est le lien… Un peu moins depuis qu’il a été un peu ostracisé, mis au ban de la communauté médicale. Mais à une époque, oui, c’était lui.

 

A quel moment avez-vous commencé à douter de la réalité de la maladie, ou plutôt de son ampleur, de son statut d’enjeu majeur de santé publique ?

La maladie est réelle, je n’en doute pas. En revanche, je me suis mis à douter de la réalité de ce que disaient les “Lyme docteurs” après m’être mis dans leur peau. Je suis assez pragmatique et à l’époque je m’entendais bien avec Christian Perronne. Nous avons fréquenté les mêmes institutions, nous étions assez copains. J’ai commencé à avoir de plus en plus de malades de Lyme pour lesquels j’ai fait des traitements d’épreuve. Pas des traitements d’épreuve “à la Lyme docteur”, avec 20 médicaments différents pendant des mois… Non, je les ai traités comme s’ils avaient la maladie de Lyme, même si je n’étais pas persuadé qu’ils l’avaient. Et je suis allé d’échec en échec.

Avec Christian Perronne, à un moment, on s’est fâchés. Je lui ai dit : “Ecoute, moi, je n’ai que des échecs avec mes traitements”. Et lui me dit : “c’est bizarre, moi, je n’ai que des succès!”. Là je me suis dit qu’il y avait un lézard. Quand je lui ai dit que je ne comprenais pas, il m’a rétorqué : “C’est parce que tu ne les traites pas assez longtemps”. Là, c’était vraiment me prendre pour un crétin car je sais comment fonctionnent les traitements des maladies infectieuses! Je me suis dit qu’il fallait que j’analyse mes données et que je publie mon expérience. J’ai repris mes dossiers et je me suis rendu compte que 85% de mes patients Lyme n’avaient en fait pas la maladie de Lyme, que j’en avais traités près de la moitié pour rien. Et puis j’ai découvert que ce phénomène était connu aux Etats-Unis depuis les années 1990.

 

Où en sont-ils outre-Atlantique ?

Là-bas, c’est devenu plus compliqué pour les Lyme docteurs car de nombreux médecins ont été poursuivis devant les tribunaux par d’anciens patients ; des cliniques de Lyme ont été contraintes de fermer… mais il y en encore.

Donc je me suis rendu compte que ces données avaient été publiées il y a presque trente ans et que tout le monde les avait oubliées. Nous avons publié nos résultats dans Clinical Infectious Diseases, qui est la revue d’infectiologie de référence. L’année d’après, deux autres études françaises sont sorties, l’une publiée par une équipe de Besançon et l’autre de Nancy. Puis une grosse étude américaine incluant environ 1000 patients a été publiée. Les trois études montrent les mêmes résultats : plus de 80% des malades n’ont pas la maladie de Lyme. Mais pour autant ce ne sont pas des malades imaginaires.

 

Vous revenez dans votre livre sur votre rupture avec Christian Perronne, qui remonte à un débat-controverse au sujet du traitement long de Lyme au congrès de la Société nationale de médecine interne en 2017. Vous évoquez ses “dérapages” pré et post Covid. Vous ciblez également plusieurs Lyme docteurs français. Ne craignez-vous pas des poursuites ordinales ?

Non, ça ne fait pas peur. Je pense que je suis dans la vérité scientifique actuelle et j’aurais des milliers de collègues qui me soutiendront, notamment des sociétés savantes. Il ne faut pas croire que je sois délirant, je ne fais que dire ce que pense l’immense majorité des collègues… Les lyme docteurs, c’est autre chose….

 

Et pourtant ils ne sont pas sanctionnés… Même si le Pr Perronne fait l’objet de poursuites de la part de l’Ordre des médecins.

Le Pr Perronne n’a pas été inquiété pour ses propos sur le Lyme ni pour ses ordonnances. Il a été inquiété pour le Covid. Les autres Lyme docteurs qui ont pignon sur rue continuent leur travail : ils font de la formation médicale continue, ils donnent des conférences, des consultations payées je ne sais pas combien… Il y a un certain côté mercantile… Et surtout, ils ne publient pas leurs résultats, ce qui est quand même stupéfiant. S’ils guérissent les malades, il faut qu’ils le montrent. Mais en fait, ils ne les guérissent pas, ils les perdent de vue et c’est nous qui les récupérons. Ces malades inclus dans mon étude, ce sont eux : des malades qui viennent me voir me disant “Docteur, j’ai le Lyme, je suis traité depuis deux ans et le traitement ne marche pas”. Normal, ils n’ont pas le Lyme…

 

 

Ça doit être difficile de découvrir que ce n’est pas le bon diagnostic…

Non, quand ils arrivent dans mon bureau, ils ont déjà fait cette démarche. Ils sont plutôt soulagés. Sinon, ils ne viendraient pas.

 

Vous dites avoir subi des pressions, des menaces, voire du harcèlement… Comment ça se passe depuis la sortie de votre ouvrage ?

C’est un peu plus que d’habitude, mais pas beaucoup plus. Je vous avoue que je ne vais pas sur les réseaux sociaux et j’ai demandé à mes enfants de ne pas y aller. Je me protège.

En revanche, mon administration est allée sur les réseaux sociaux. Ils m’ont fait remonter certaines choses. Suite à quoi mon employeur m’a conseillé de déposer une main courante, et m’a assuré qu’il m’apportait la protection fonctionnelle. Le problème, c’est que je suis tellement débordé que j’ai autre chose à faire… Le post-Covid est difficile à gérer, les équipes sont fatiguées…

 

Vous ne dénoncez pas seulement les Lyme docteurs et les activistes mais aussi la “complaisance des politiques” et la “compromission” de la HAS à l’occasion des recommandations de 2018 qui ont abouti à la reconnaissance d’un syndrome de Lyme chronique, aussitôt dénoncées par 24 sociétés savantes … et des nouvelles recommandations qui sont actuellement en d’élaboration. Ce sont des mots forts.

Errare humanus est, persevare diabolicum. C’est interpellant d’y participer car on a fait le travail il y a deux ans, et il n’y a rien de nouveau. On nous fait perdre notre temps. Ceci étant dit, cette fois-ci, ils ne m’ont pas inclus dans le groupe du travail (rires). Plus grave, ils ont aussi “boulé” Benoît Jaulhac, qui est quand même le directeur du centre national de référence des borrelia à Strasbourg. C’est extraordinaire : la HAS travaille sur la prise en charge de la maladie de Lyme sans LE spécialiste français de la maladie de Lyme, celui qui fait ça du matin au soir… Vous vous rendez compte ?

 

 

Qui compose ce groupe de travail alors ?

Les représentants des associations et les experts qui ont bien voulu y aller au nom de leurs sociétés savantes respectives, elles y sont toutes retournées en dépit de ce qui s’était passé. Après les recommandations de la HAS, l’ensemble des sociétés savantes ont publié leurs recommandations et pour l’instant, elles font consensus. On n’a pas besoin de la HAS. Là, clairement, la HAS fait de la politique et ne fait pas de la science. Alors qu’ils sont capables d’en faire. J’ai participé à des groupes de travail, j’en ai dirigés et je n’avais jamais eu de problème. Mais Lyme, c’est politique.

 

Pour quelle raison ? Les activistes ?

C’est leur raison de vivre, leur gagne-pain. Ils leur font croire qu’ils représentent des millliers d’électeurs.

 

Au sujet de l’actuelle présidente de la HAS, vous écrivez : “il se dit d’elle qu’elle est têtue comme une mule bretonne”…

Ç’est ce qui se dit… Je raconte dans le livre une réunion à laquelle j’ai assisté avec elle, cela relevait beaucoup de l’entêtement. Elle voulait nous faire revenir sur notre décision de ne pas signer le texte des recommandations.

 

Vous avez écrit ce livre pour les patients en errance. Ces patients trop “difficiles”, trop “chronophages” pour être pris en charge par les médecins généralistes. Quelles solutions pour eux ?

Le vrai problème, à coté de diagnostics différentiels difficiles, ce sont les troubles somatoformes, les pathologies psycho-somatiques, les troubles fonctionnels, le syndrome de détresse corporelle -quel que soit le nom que vous leur donnez.

Cela demande d’abord à être formé. Or, il n’est pas consacré suffisamment de temps à ces problèmes dans l’enseignement des médecins.

Pour avoir des médecins qui s’en occupent, il faut non seulement qu’ils soient formés mais qu’ils soient aussi reconnus. Or, il n’y a pas de diplôme de psychosomatique en France, contrairement à d’autres pays. Globalement, c’est 2-3 ans de formation en plus : il faut des notions de médecine générale, de psychiatrie, de psychologie, de neurologie, de rhumatologie, il faut savoir développer son empathie.

Enfin, ces médecins doivent être payés correctement…

 

 

Déployer ces compétences nécessite un temps de consultation long…

Quand vous consacrez 1h, 1h30 à un malade, il faut que ce soit rémunéré à sa juste valeur. La rémunération à l’acte, c’est bien pour les médecins qui consacrent 10-15 minutes par patient, pas pour ceux qui leur consacrent 1h30. Sinon ils mettraient la clé sous porte au bout d’une semaine… Ce n’est pas possible.

Suite à l’une de mes interviews, le président de la Société française de médecine générale m’a écrit qu’ils développaient une formation et des médecins spécialisés dans leur réseau : c’est génial!

 

Concrètement, que doit faire un médecin généraliste qui voit arriver dans son cabinet un patient, sans érythème migrant, qui dit avoir la maladie de Lyme ?

Ce patient peut être dirigé vers un service de maladie infectieuse, qui sera en capacité de dire “oui, c’est la maladie de Lyme” ou non. C’est déjà important.

Ensuite, il y a cinq centres nationaux de référence (CNR) en France : Rennes, Marseille, Strasbourg, Clermont-Ferrand-Saint-Etienne et en région parisienne, Villeneuve-Saint-Georges-Créteil. Surtout pas Caumes… [rires]

 

Pour vous qui êtes tombé dans le Lyme, ce n’est peut être pas une mauvaise chose de faire autre chose…

C’est vrai. Vous n’avez pas tort si vous pensez à moi… Je suis un infectiologue, j’ai autre chose à faire que de m’occuper de gens qui pensent avoir la maladie de Lyme et qui ne l’ont pas. D’ailleurs, les CNR Lyme n’auraient pas dû être dans des services de maladies infectieuses, mais dans des services de médecine générale ou de médecine interne. Mais du point de vue des malades, on se passe de dix ans d’expérience… J’ai dix ans d’expérience dans cette prise en charge. J’avais monté un projet, même si je ne me faisais pas trop d’illusions. J’avais concouru pour deux raisons : d’abord parce que les politiques ont fait initialement pression sur moi pour que je me présente, ensuite (et surtout) parce qu’ici à La Pitié-Salpêtrière, il y avait tout ce qu’il fallait. Il y a notamment une équipe qui est spécialisée dans les troubles somatoformes et fait de la recherche depuis une dizaine d’années, ainsi que toutes les spécialités concernées par les maladies “non Lyme” : rhumatologie, neurologie, endocrinologie… On couvrait tout à la Pitié-Salpêtrière.

Donc du point de vue de ma santé mentale, oui vous avez tout à fait raison. Mais du point de vue de la santé des malades, je pense qu’on aurait pu leur rendre service. J’avais l’expérience, les collaborateurs, le réseau, tout ce qu’il fallait. Honnêtement, on aurait fait du super boulot.

Ils ont choisi Villeneuve-Saint-Georges pour des raisons politiques, et ils feront bien. Mais il y avait trois candidats en région parisienne : Villeneuve-Saint-Georges, Garches (chez Perronne) et la Pitié-Salpêtrière (chez moi). Personne n’est satisfait mais tout le monde est content. Les politiques parce que ce n’est pas allé chez Perronne et les associations parce que…

 

… ce n’est pas allé chez Caumes.

Voilà. Vous avez tout compris !

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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