“Cabinet d’une saleté repoussante”, “le pire médecin que j’ai vu”, “manque cruel d’empathie”, “à fuir”… Sur Internet, les médecins n’échappent pas à la loi des avis, qui s’est imposée depuis plusieurs années à l’ensemble de la société. Face au respect du secret médical et à la difficulté de les faire supprimer, les soignants sont souvent démunis et n’ont guère de contrôle sur leur image. Si l’Ordre a établi en 2018 un guide pour gérer la réputation des médecins, des startups ont décidé d’en faire leur spécialité. C’est le cas de ‘Merci Docteur’, cofondée par Thomas Bancel, lui-même fils de praticiens. L’objectif de son logiciel : inciter les patients à laisser un commentaire ou une étoile afin de noyer les avis négatifs.

 

Les avis négatifs sur le net peuvent parfois “bouffer” la vie des médecins. Car au nom de la liberté d’expression, les internautes ont presque tous les droits quand il s’agit de laisser un avis sur un praticien ou un établissement… de même que pour un restaurant. Tout est permis en dehors des injures, propos haineux, et de la diffamation. Mais les médecins, eux, n’ont que peu de recours. Du fait du secret médical et face à l’anonymat de la quasi-totalité des commentateurs, il leur est difficile de répondre, et presque impossible de supprimer certains messages qu’ils jugent néfastes pour leur exercice. En 2019, un psychiatre de Moselle avait saisi la justice pour contraindre Google à supprimer les commentaires négatifs le concernant. Selon lui, ces avis auraient fait chuter la fréquentation de son cabinet. Bien que soutenu par l’Ordre, le praticien s’estimant diffamé avait fini par être débouté.

 

Un an plus tôt, l’Ordre des médecins, qui avait tenté auparavant de faire plier Google – sans succès, avait établi un guide à destination des professionnels de santé pour gérer leur e-réputation, leur donnant notamment des clefs pour obtenir réparation en cas de préjudice. Pour Thomas Bancel, cofondateur de la start-up ‘Merci Docteur’, la publication d’un tel document par l’Ordre montre bien que “les choses ont changé”. “Aujourd’hui il n’y a pas un praticien qui n’est pas concerné”, assure le jeune homme de 33 ans qui a lancé début 2019 son entreprise spécialisée dans la gestion de la réputation des médecins, cabinets médicaux et cliniques. Ses parents eux-mêmes, dermatologue et chirurgien orthopédique, n’avaient auparavant jamais pris le sujet à bras-le-corps. Mais l’ampleur du phénomène et l’évolution de la société, désormais hyperconnectée, les a obligés à s’y intéresser.

En effet, force est de constater que bon nombre de patients scrutent les avis Google des praticiens avant de prendre leur rendez-vous sur Internet.

 

 

“Réputation catastrophique”

“‘Merci Docteur’ est né d’un mélange d’une opportunité et d’un constat. Aujourd’hui, la réputation des médecins sur Internet est catastrophique. Il n’y a que les patients mécontents qui prennent le temps de se plaindre et de prendre la parole. En réalité, ce n’est pas du tout à l’image de la qualité des soins prodigués par les praticiens, ni même de l’image réelle qu’ont les Français de la médecine en France”, explique l’entrepreneur. Fin 2018, lorsqu’un ami lui demande de l’aide pour progresser sur sa page Google, Thomas Bancel et son associé et ami, Thomas Deschaseaux, ont saisi l’opportunité. “C’est comme ça qu’on a développé le premier prototype de ‘Merci Docteur’.”

Le principe de leur outil* est simple : loin de faire de la publicité aux médecins, il s’agit de noyer les avis négatifs dans un flot d’avis positifs…

“On propose aux médecins de sonder la totalité de leurs patients par mail ou par SMS en leur demandant de laisser leur avis sur Google. Ils reçoivent ce message, envoyé au nom de l’établissement ou du praticien, et peuvent cliquer sur ce lien qui les redirige sur la page professionnelle sur laquelle ils peuvent laisser un avis”, explique le cofondateur du logiciel, accessible en ligne, qui possède déjà plusieurs centaines de clients : cabinets (radio, ophtalmo…), cliniques, etc. Jusqu’ici, cela s’est moins développé du côté des médecins généralistes, mais “le logiciel fonctionne de la même manière pour eux”, assure Thomas Bancel, qui finit en parallèle un doctorat en recherche sur les dispositifs médicaux à la Pitié-Salpêtrière à l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (Institut du Cerveau – ICM).

 

 

“Les patients reçoivent les mails un ou deux jours après leur rendez-vous, voire dans les heures qui suivent la fin de la consultation. Dans les 24 heures, les gens ont généralement laissé un avis. Si ce n’est pas le cas, ils ne vont jamais le faire”, explique-t-il, ajoutant que “sur 100 patients sondés pour les inciter à laisser un avis, 5 et 15% vont laisser un avis public, positif ou négatif”. “Ça marche très bien. On arrive à générer un certain nombre d’avis. Sur le long terme, ça porte ses fruits puisque les cabinets et cliniques voient leur compteur d’avis sur Google peu à peu augmenter”, se réjouit le jeune homme. Selon le cofondateur, “90% des patients sollicités vont laisser un avis positif, soit une note comprise entre 4 et 5, à un praticien suite à une consultation, un séjour en clinique, etc.”

 

Ne pas s’acharner

“Aimable comme une porte de prison”, “honoraires trop élevés”, “manque d’empathie”, “ce médecin est nul”… Si certains médecins passent au-dessus de ces commentaires désobligeants, “une part non négligeable de praticiens a déjà essayé de faire la démarche auprès de Google pour essayer de faire enlever des avis”, constate Thomas Bancel qui indique par ailleurs que la plupart des commentaires jugent du rapport entre le médecin et le patient, et non de son expertise ou de ses diagnostics. “Évidemment, ils n’ont eu que des fins de non-recevoir”, a-t-il ajouté, estimant que “la solution n’est pas de s’acharner contre l’avis négatif laissé par untel ou untel, mais de répondre de manière professionnelle en respectant le secret médical”.

Avec ‘Merci Docteur’, l’objectif est de “mettre en avant des choses pour créer de la récurrence, et ainsi, noyer ces avis qui sont parfois très anciens et qui n’ont absolument pas de raison d’être conservés comme étant les seuls avis”. “L’avis hyper négatif qu’un praticien avait reçu des mois plus tôt sera comptabilisé dans la note moyenne, mais ne sera pas visible à moins qu’une personne ne fasse défiler la page Google du praticien pendant des heures pour le retrouver”, explique l’ingénieur pour qui tout l’enjeu est de donner la parole au patient, mais “de la bonne manière”.

S’il conseille de répondre à certains messages laissés sur leur fiche Google pour montrer aux patients que les avis sont pris en compte, Thomas Bancel estime pour autant que “la démarche du médecin qui demande au patient de laisser un avis n’est pas saine”. “Le médecin n’a pas à faire ça, considère-t-il. Il doit rester dans une relation de soignant à soigné. Certes, notre solution envoie un message au patient au nom du cabinet ou de la structure, mais ce message est standardisé. C’est quelque chose d’impersonnel. Le patient n’a pas le couteau sous la gorge et n’a pas l’impression de devoir ou non le faire. C’est quelque chose d’assez transactionnel et ce n’est pas plus mal. Cela enlève une épine du pied du médecin qui aurait pu être tenté de faire quelque chose sans passer par une solution et donc d’être amené à demander.”

 

 

“Faire progresser la médecine”

Pour le jeune entrepreneur, qui avait déjà mis sur pied, il y a bientôt dix ans, une première entreprise sur la réputation en ligne, cette fois des particuliers, “ces avis ne peuvent que faire du bien, tant qu’ils ne remettent pas en cause les diagnostics posés par les médecins”. En effet, ce dernier estime qu’en multipliant le nombre de commentaires et de notes, les remarques positives peuvent valoriser une équipe et celles négatives, qui peuvent parfois être constructives, seront plus considérées par les professionnels de santé. “Il y a des gens mécontents qui ne s’exprimaient pas avant, et qui peuvent dire des choses tout à fait constructives. On va y accorder plus d’importance que lorsqu’on avait uniquement des gens haineux qui venaient se plaindre. On n’avait pas tendance à les regarder parce qu’on se disait que c’était le déversoir”, assure l’ingénieur.

Conscient que “l’expérience patient va devenir un vrai sujet dans les prochaines années, comme c’est déjà le cas dans les pays anglo-saxons”, Thomas Bancel a souhaité pousser le logiciel plus loin. ‘Merci Docteur’, dont le nombre de clients croît à mesure que “le sujet de la réputation en ligne se développe”, propose ainsi également de “dématérialiser des enquêtes de satisfaction” qui peuvent être envoyées aux patients par mail, par exemple, ou être proposées à l’accueil des cabinets, voire dans les salles d’attente. “Il faut mieux comprendre les points sur lesquels s’améliorer : l’amabilité, le temps d’attente, la qualité des informations transmises”, etc. Des éléments qui reviennent bien souvent dans les critiques émises sur le net. “In fine, cela permettra de progresser sur la médecine et le soin.”

 

*Selon son cofondateur, l’abonnement a ‘Merci Docteur’ est similaire à celui de Doctolib. Il peut être mensualisé. Pour un médecin seul, comptez entre 50 et 80 euros par mois TTC pour vous offrir le logiciel. Le prix évolue ensuite en fonction de la taille de la structure et du flux de patients.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Louise Claereboudt

Sur le même thème :
Gagner du temps médical grâce aux patients : comment un fils de médecins souhaite révolutionner le quotidien des soignants
Faille de Doctolib : “Médecin généraliste, la France entière a voulu se faire vacciner à mon cabinet”
Un site de rencontre pour inciter les médecins à s’installer dans les petites communes de France
Adresser un patient à l’hôpital en 5 minutes : la petite révolution de deux médecins