Malgré les biomarqueurs du LCR qui permettent aujourd’hui un diagnostic précoce, associés à l’imagerie, la maladie d’Alzheimer reste sous diagnostiquée. Des marqueurs plasmatiques sont en développement. Sur le plan thérapeutique, l’aducanumab est porteur d’espoir, malgré des résultats contradictoires. Entretien avec le Dr Lisette Volpe-Gillot*, gériatre chef du service de neuro-psycho-gériatrie de l’hôpital Léopold Bellan (Paris).

 

Egora : Sur le plan épidémiologique, comment évolue cette pathologie ?

Dr Lisette Volpe-Gillot : Les troubles neurocognitifs concernent plus de 1,2 million de personnes en France (750 000 seraient diagnostiqués) et environ deux tiers des cas seraient attribués à une maladie d’Alzheimer (-MA). Cette maladie touche 23% de la population après 80 ans et jusqu’à près de 50 % après 90 ans.

Il existe d’une part des facteurs génétiques qui augmentent la susceptibilité d’une personne d’être atteinte de la maladie d’Alzheimer, et d’autre part des formes familiales héréditaires rares qui se caractérisent notamment par une survenue à un âge plus précoce.

Concernant les autres facteurs, on retient notamment l’âge, le niveau d’étude, les facteurs liés au mode de vie comme la pratique d’activité physique, les habitudes alimentaires, la consommation de tabac, d’alcool mais également les facteurs de risque cardio-vasculaires tels que l’hypertension, la dyslipidémie ou le diabète. Ces facteurs modifiables font l’objet de toute l’attention dans la prévention car agir à l’âge moyen de la vie (40-50 ans) sur ces facteurs en les traitant au mieux permettrait de faire reculer la maladie, ou du moins son expression.

Ainsi, si la prévalence des troubles neuro-cognitifs augmente en raison du vieillissement de la population, les prévisions les plus pessimistes ne se sont pas vérifiées et on assiste à une diminution de la prévalence depuis environ 30 ans. Plusieurs études le montrent depuis 2005. Coup sur coup, deux études sont ainsi parues dans The Lancet en 2013, une anglaise et une danoise, montrant le recul de la maladie. La première a montré que le taux de démences chez les plus de 65 ans en Angleterre au cours de ces 20 dernières années était passé de 8,3% à 6,2%, soit un recul de 25% et la seconde que le fonctionnement physique et cognitif des personnes âgées de 90 ans, à 10 ans d’intervalle (cohortes de personnes nées en1905 et 1915) s’était amélioré, avec une moindre prévalence de la démence. Ces résultats ont notamment été attribués à une meilleure prévention, prise en charge des facteurs de risque, particulièrement cardio-vasculaires, à l’amélioration du niveau d’éducation (et donc de réserve cognitive) et de stimulation intellectuelle, parallèlement à un assainissement des règles hygiéno-diététiques

 

 

Comment évolue la prise en charge de cette maladie depuis le déremboursement des 4 médicaments (Aricept, Ebixa, Exelon, Reminyl) contre la maladie d’Alzheimer (août 2018) ?

Ce déremboursement s’est fait contre l’avis de l’ensemble des consultations mémoire de France. Sept mois après le déremboursement des médicaments anti-Alzheimer, l’association “France Alzheimer” a communiqué sur une enquête qu’elle avait réalisée auprès de 2500 familles concernées et qui montrait que la moitié des patients qui avait arrêté son traitement avait connu une aggravation de leurs troubles. Au point que certains patients avaient choisi de continuer à les prendre en les payant de leur poche.

Plus récemment, les résultats d’une étude réalisée par le Pr Marie Herr (Université Paris Saclay) à partir de la BNA (Banque nationale Alzheimer, importante base de données des patients suivis en consultation mémoire) ont été présentés lors du congrès de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie (SFGG) le 16 décembre 2020. Dans cette étude, les chercheurs ont évalué la fréquence d’arrêt des prescriptions des médicaments anti-Alzheimer avant/après le déremboursement ainsi que les facteurs associés. Une absence de traitement symptomatique après le déremboursement a été observée chez 3774 patients, soit un taux d’arrêt de 19,5%. Les arrêts de traitement étaient plus fréquents chez les patients ayant un trouble cognitif majeur d’origine vasculaire par rapport aux patients atteints de la maladie d’Alzheimer. A l’inverse, les patients ayant une démence à corps de Lewy arrêtaient moins souvent leur traitement.

Ce qu’on peut dire, c’est qu’on continue de prescrire ces traitements en consultation mémoire et que la grande majorité des patients les achète, mais ce déremboursement introduit une iniquité importante chez les patients pour lesquels ces médicaments sont indiqués et risque d’en écarter certains des circuits diagnostiques et thérapeutiques. Par ailleurs, avec le déremboursement, il y a eu une dérégulation des prix, et la nécessité pour les patients et les familles de vérifier parfois dans plusieurs pharmacies pour optimiser le coût.

 

 

Y a-t-il eu des progrès concernant le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer ?

Il faut insister sur le fait que la maladie reste sous diagnostiquée : il est estimé que 40 à 50 % des personnes ayant une MA seraient diagnostiqués en Europe, notamment au stade prodromal. Pourtant, nous sommes passés d’un diagnostic d’élimination à un diagnostic positif, notamment grâce aux biomarqueurs, même s’il faut souligner aussi toute la recherche sur la caractérisation des différents tableaux neuropsychologiques. Le diagnostic positif fiable au stade précoce est donc possible.

Depuis fin 2007, l’utilisation de biomarqueurs est recommandée dans les nouveaux critères diagnostiques internationaux de la maladie d’Alzheimer. Trois biomarqueurs sont dosés dans le liquide céphalorachidien : le peptide amyloïde Aβ 1-42, la protéine tau totale et la protéine tau phosphorylée. Ils reflètent les lésions neuropathologiques caractéristiques.

L’utilisation de ces biomarqueurs en recherche clinique et en pratique courante a montré qu’en l’absence de leur utilisation, le taux d’erreur diagnostique au stade d’altération cognitive majeure était de 25 à 30% et encore plus élevé au stade précoce. Or plusieurs études nationales montrent qu’il y a une sous-utilisation de ces biomarqueurs. L’enjeu n’est, le plus souvent, pas de savoir s’il y a une maladie ou pas mais de faire le diagnostic différentiel entre les différentes maladies, dont les présentations cliniques et les profils neuropsychologiques peuvent parfois se recouper. La demande des patients et/ ou famille pour avoir un diagnostic le plus précis possible est de plus en plus importante et l’acceptabilité de l’examen aussi. Des recommandations ont été rédigées par la HAS en 2019 concernant la pratique de la ponction lombaire.

A côté de ces biomarqueurs du liquide céphalo-rachidien, la présence des lésions neuropathologiques peut être révélée également par l’imagerie TEP et notamment le PET amyloide. Néanmoins, si cette dernière imagerie, marquant les plaques amyloides, est utilisée dans la recherche clinique, elle n’a pas obtenu le remboursement en France et on utilise donc, en pratique courante, plutôt le TEP-18FDG. Cet examen permet l’analyse du métabolisme glucidique et apparait comme un examen plus robuste que l’IRM pour le diagnostic de MA à un stade précoce.

 

Y a-t-il de nouveaux marqueurs ?

Un important développement biologique est en cours pour avoir des marqueurs sanguins, non seulement de la maladie d’Alzheimer mais aussi des marqueurs reflétant l’atteinte axonale, neuronale et synaptique. Les dosages plasmatiques du peptide amyloide, de la protéine tau mais aussi le dosage de neurofilaments sont réalisés en recherche clinique. Ainsi une nouvelle étude parue dans Jama Neurology en 2019 a montré l’intérêt d’évaluer la concentration plasmatique en neurofilaments légers comme biomarqueur non invasif de la neurodégénérescence, ou marqueur de lésion neuroaxonale, chez les patients. La concentration augmenterait avec le temps dans la MA et serait corrélée à d’autres mesures de neurodégénérescence. Mais elle aurait aussi l’intérêt d’apparaitre assez tôt dans la maladie, aux stades pré-cliniques. Une autre étude analysant le dosage sanguin de la tau-181 phopshorylée comme biomarqueur de la MA en modélisant les performances diagnostiques et les prédictions utilisant les données de quatre cohortes prospectives, parue dans Lancet Neurology en 2020, montre des résultats très encourageants et prometteurs.

Cependant ces biomarqueurs plasmatiques ne vont pas remplacer rapidement ceux du LCR, car d’une part les faibles concentrations dans le sang imposent actuellement l’utilisation d’appareils de dosage à très haute sensibilité, qu’on n’a pas en pratique clinique, et d’autre part, sensibilité et spécificité sont moins bonnes, actuellement, que le dosage dans le LCR. Des études complémentaires sont attendues.

 

À quels patients s’adressent ces examens ?

L’utilisation des biomarqueurs, en pratique clinique, s’adresse surtout aux stades légers à modérés de la maladie, c’est-à dire quand les troubles cognitifs sont légers (voire absents dans le contexte des formes familiales par exemple). Mais on peut aussi les utiliser chez les patients illettrés dont l’évaluation neuropsychologique est infaisable ou d’interprétation difficile, ou ne parlant pas bien le français, dans les situations cliniquement complexes (tableaux psychiatriques, antécédents d’exogénose, atteinte cérébro-vasculaire etc …), dans les formes atypiques de maladie d’Alzheimer à début non mnésique, et plus généralement en cas de doute diagnostique. Plutôt proposés initialement aux patients jeunes, l’âge n’est depuis longtemps plus un facteur limitant pour proposer ces biomarqueurs, surtout si leur analyse peut avoir une incidence sur la prise en charge. Ce sont maintenant des examens de quasi-routine dans beaucoup de centres mémoire, même si tous les patients n’en relèvent pas.

 

 

Où en est la recherche thérapeutique ?

Des essais cliniques récents ont évalué les thérapies centrées sur la pathologie amyloïde (anticorps monoclonaux et inhibiteurs de la β-sécrétase principalement) mais sont jusqu’à présent négatifs à l’exception de l’annonce faite en octobre 2019 concernant l’efficacité clinique de l’aducanumab dans un essai clinique de phase III (étude Emerge). Après avoir arrêté en mars 2019 les deux études jumelles de phase III (Engage et Emerge), l’analyse plus complète de la seconde s’est finalement révélée positive, avec un véritable effet dose (pas d’effet significatif chez les patients ayant reçu la plus petite dose). Un dossier d’enregistrement pour ce traitement a été soumis en 2020 auprès de la FDA, l’autorité de santé des Etats-Unis, et fait l’objet d’une revue prioritaire. Mais si ces résultats sont porteurs d’espoir, il faut rester prudent notamment car la première étude reste négative. Cette piste thérapeutique reste cependant d’actualité : des études avec d’autres anticorps monoclonaux à fortes doses se poursuivent.

D’autres pistes sont explorées, représentées par la prévention avec la mise en place notamment d’une intervention chez des sujets asymptomatiques sur le plan cognitif mais présentant un ou des biomarqueurs de la MA positifs, les traitements anti-Tau qui constituent une alternative crédible à la cible amyloïde dans la MA, et l’apport de la Géroscience pour mieux cibler les mécanismes impliqués dans le vieillissement cérébral et les pathologies neurodégénératives. Des articles qui enrichissent la compréhension de la physiopathologie du déclin cognitif dans la maladie d’Alzheimer confortent l’importance de la pathologie tau et de l’activation microgliale, marqueur de la neuroinflammation, par rapport à la pathologie amyloide et aux anomalies structurelles, et donc leur place intéressante dans les pistes thérapeutiques.

 

[Entretien avec le Dr Lisette Volpe-Gillot, gériatre chef du service de Neuro-Psycho-Gériatrie à l’hôpital Léopold Bellan (Paris). Le Dr Volpe-Gillot déclare n’avoir aucun lien d’intérêt.]

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Anaïs Bocher

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