Militantisme affaibli, efficacité mitigée, représentativité questionnée… C’est un syndicalisme médical déterminé mais divisé qui affrontera, du 31 mars au 7 avril prochains, les élections URPS médecins libéraux. Huit organisations présenteront des listes de candidats. Quel regard portent-elles sur le paysage syndical actuel ?

 

Huit* en 2021 contre cinq en 2015. Si l’on se fie au nombre d’organisations autorisées à présenter des candidats aux prochaines élections des unions régionales des professionnels de santé (URPS) médecins libéraux, on pourrait croire que le syndicalisme médical fait preuve d’un remarquable dynamisme. Mais il faut craindre que cette augmentation du nombre de prétendants ne témoigne plutôt des divisions du paysage syndical que de son essor. C’est du moins le diagnostic porté sur la situation par les premiers concernés que sont les leaders des principales organisations représentant les généralistes libéraux. « Il y a une crise et elle ne se retrouve pas uniquement dans le corps médical. On la voit également dans le syndicalisme des salariés, et plus généralement dans le reste de la société, remarque le Dr Corinne Le Sauder, présidente de la Fédération des médecins de France (FMF). C’est une crise de confiance, une crise de représentativité : plus personne n’a confiance en personne. » Chez les rivaux de l’Union française pour une médecine libre-Syndicat (UFML-S), les mots (comme les maux) ne sont pas très différents. « Il y a une crise du syndicalisme en général, et surtout une crise des institutions, analyse le Dr Jérôme Marty, son président. Tout ce qui est corps constitués, tout ce qui est institutionnel, est suspect aux yeux de l’opinion. »

Un diagnostic que confirme l’évolution du taux de participation aux élections aux unions régionales des médecins libéraux (URML), puis aux URPS, après la loi HPST de Roselyne Bachelot de 2009 : si celui-ci était de 59 % en 1994, il est passé à 52 % en 2000. En 2006, il est tombé à 47 %, puis à 45% en 2010… avant de s’effondrer pour atteindre les 40% en 2015. Reste à comprendre les raisons de cette crise de la représentation dans le monde médical. À en croire les responsables syndicaux, celles-ci sont multiples. La première, et la plus immédiate, a trait au désengagement de la profession. « Il y a une certaine passivité d’une partie de nos consœurs et confrères, qui attendent beaucoup du syndicalisme, sans malheureusement être prêts à s’investir pour autant », regrette ainsi le Dr David Azérad, vice-président du syndicat Jeunes Médecins.

Et qu’on ne vienne pas dire à ce généraliste qu’accaparés par leurs patients, les médecins n’ont peut-être que peu de temps à consacrer à la lutte syndicale. « Il est vrai que la profession n’est pas connue pour avoir beaucoup de temps libre, sourit-il. Mais les médecins en ont un peu, et toute la question est de savoir s’ils veulent l’utiliser de manière désintéressée, collective, ou s’ils préfèrent suivre leur intérêt personnel. »

 

Un bilan qui pèse lourd

Autre raison parfois avancée pour expliquer le manque d’enthousiasme suscité par le syndicalisme médical : celui-ci serait porteur d’un lourd passif. « Depuis des années, on a un syndicalisme d’accompagnement qui se satisfait des règles qu’on lui donne, attaque un Jérôme Marty en pleine campagne électorale. On est dans un ersatz de cogestion d’un système dans lequel c’est le ministère de la Santé qui définit le périmètre des négociations. Les syndicats qui affirment aujourd’hui être les premiers sont porteurs de ce bilan. » Corinne Le Sauder, qui n’est pourtant pas avare de piques contre « les nouveaux syndicats qui pensent qu’ils vont retourner la table », accuse, elle aussi, une certaine logique gestionnaire de plomber l’engouement des médecins pour l’engagement syndical. « Il y a eu un certain syndicalisme petit bras, qui a cru qu’on peut obtenir des choses par la politique des petits pas, dénonce-telle. Or, face à l’hospitalocentrisme du Gouvernement, qui fait pleuvoir des milliards sur les établissements de santé alors que la médecine libérale n’a rien, il faut qu’on se batte ouvertement. »

Enfin, pour charger une barque déjà bien pleine, étant donné l’âge des leaders syndicaux, ils ne sont pas toujours représentatifs des médecins d’aujourd’hui. Un problème auquel il faut ajouter le manque de parité : sur les sept syndicats de médecins autorisés à se présenter aux prochaines élections URPS, un seul est présidé par une femme… Et encore, Corinne Le Sauder n’a pris les commandes de la FMF qu’en juin 2020. Avant cette date, tous les syndicats représentatifs étaient dirigés par des hommes. «C’est vrai que c’est un milieu très macho, concède la médecin généraliste. Il faut dire que l’investissement syndical est souvent pris sur le temps de repos… » Un temps qui, qu’on le veuille ou non, est encore malheureusement davantage consacré à la famille par les femmes que par les hommes.

 

Tout changer pour que tout change

C’est d’ailleurs un problème dont les principales organisations sont bien conscientes, et auquel elles tentent de s’attaquer avec volontarisme. « Dans le collège 1 [celui des généralistes, NDLR], nous avons réussi à faire beaucoup de listes paritaires, ce qui a entraîné un profond rajeunissement », se félicite le Dr Luc Duquesnel, président de la fédération Généralistes de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), qui ajoute que ce processus n’a rien de facile car il implique de « demander à des responsables qui n’ont pas démérité, mais qui approchent de la retraite, de céder leur place… » Mais le patron des Généralistes-CSMF se dit convaincu que cette stratégie est la bonne. « Quand on leur laisse la place, des jeunes et des femmes arrivent », veut-il croire. Mais il sait aussi que le militantisme revendicatif ne suffit plus à attirer les bonnes volontés. «Le temps où l’on pouvait dire “Syndiquez-vous, c’est important” est fini. Il faut voir quel est l’intérêt à agir des gens qui se syndiquent », décrypte-t-il. En clair : il ne suffit pas de se demander ce que les militants peuvent faire pour le syndicat. Il faut également se demander ce que le syndicat peut faire pour les militants.

 

L’avènement du syndicalisme de service

C’est pourquoi les organisations syndicales mettent de plus en plus l’accent sur les services qu’ils peuvent rendre à leurs adhérents. Tous les responsables syndicaux interrogés dans le cadre de cette enquête insistent ainsi sur la qualité de leur service juridique. « Notre cellule juridique est aux côtés des médecins pour les défendre dans leurs litiges avec les caisses, souligne par exemple Corinne Le Sauder. Nous avons gagné énormément de procédures sur les délits statistiques. » Un syndicat se doit également d’apporter de l’information aux adhérents… et aux non-adhérents, ce qui permet de faire connaître la structure. «Nous faisons beaucoup de réunions d’information ouvertes, où nous parlons d’autre chose que de syndicalisme, explique Luc Duquesnel. Tout récemment, j’ai organisé une réunion, par exemple, avec des généralistes pour parler des assistants médicaux, avec des retours d’expérience. Cela permet d’informer ceux qui ont peur d’embaucher, de modifier leurs organisations…»

L’organisation de formations est une autre façon d’attirer de nouvelles énergies. Lucie, jeune médecin généraliste havraise, peut en témoigner : elle a adhéré à deux syndicats à la suite de sessions organisées par ces derniers. «ReAgjir [Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants, NDLR] faisait une formation sur les gestes d’urgence, et c’est comme ça que tout a commencé, raconte-t-elle. Et je fais aussi partie du syndicat MG France, dont j’ai connu les responsables à la suite d’une formation sur l’échographie. »

 

Jusqu’où peut-on aller ?

Certains syndicats vont encore plus loin dans la logique du syndicalisme de service. « Nous avons des partenariats privilégiés qui permettent d’avoir des réductions sur certains équipements ou services », indique ainsi Luc Duquesnel, qui cite des écrans diffusant des messages dans les salles d’attente, des plateformes de téléconsultation, ou encore une centrale d’achat pour l’équipement du cabinet. Mais tout le monde n’est pas en phase avec cette évolution. « Il ne faut pas non plus que le syndicat devienne une conciergerie, prévient Corinne Le Sauder. Il faut faire attention à ne pas devenir dépendants de certains services, et vous ne verrez jamais une publicité pour Doctolib ou pour une mutuelle sur notre site. » Un positionnement qui se rapproche de celui de l’UFML-S. « Nous ne vivons que de nos cotisations et de dons. Nous n’avons aucun financement extérieur », affirme Jérôme Marty. Celui-ci rappelle également que si d’aventure son organisation en venait à signer une convention médicale, elle refuserait l’enveloppe prévue par l’Assurance maladie pour financer la vie conventionnelle.

 

Stratégies économiques

Cette question du modèle économique est rarement évoquée mais cruciale pour la vie syndicale et le dynamisme des organisations. Car comme toujours, l’argent est le nerf de la guerre, et c’est (aussi) en observant la façon dont chaque organisation se positionne sur ce sujet que l’on voit comment elle entend sortir de la crise du syndicalisme. Et là, l’éventail des possibles est très large. Certains défendent par exemple l’idée d’une cotisation élevée. «Chez nous, le montant se situe entre 450 et 500 euros, détaille Luc Duquesnel. On peut trouver que c’est cher, mais quand on a des cotisations, on a de quoi financer un secrétariat, des gens qui vous accompagnent pour vous défendre face aux caisses, etc. » Le montant de la cotisation aux Généralistes-CSMF dépendant en partie du département, son président peut donc établir des comparaisons. « On voit que les départements où le taux de cotisation est le plus élevé sont aussi ceux où le nombre d’adhérents est le plus important », note-t-il.

À l’UFML-S, on mise au contraire sur l’effet de masse. «La cotisation à notre syndicat est de 200 euros, et 100 euros pour les jeunes et les retraités, annonce Jérôme Marty. Nous avons fait exprès de fixer un montant peu élevé, car nous nous disons que cela permet d’avoir assez d’adhérents pour avoir un fonds de roulement.» Une stratégie qui est aussi rendue possible par des dépenses réduites au minimum. «Nous n’avons pas d’immobilier, pas de salariés, nous sommes tous bénévoles…», énumère le médecin généraliste. Il y a, enfin, à l’extrémité du spectre du rapport des syndicats à l’argent, l’option radicale choisie par Jeunes Médecins. «Chez nous, la cotisation est tellement modique qu’elle est nulle», souligne David Azérad. Sur son site internet, la nouvelle structure se définit d’ailleurs comme une organisation syndicale mais aussi comme une «communauté», ce qui a tendance à gommer les rigidités que l’on associe parfois au militantisme syndical. Ce qui correspond bien aux nouvelles formes d’engagement, plus souples que l’engagement syndical, qui ont vu le jour depuis quelques années dans le monde de la santé, notamment dans l’hôpital public: Collectifs inter-urgences, inter-hôpitaux, inter-blocs, etc. Mais on n’a pas encore vu, en médecine libérale, émerger de structure asyndicale comme l’Union nationale des infirmiers diplômés d’État libéraux (Unidel), qui vise tant à promouvoir la profession d’infirmière libérale qu’à défendre ses intérêts. Faut-il donc estimer que le syndicalisme médical a encore de beaux jours devant lui ?

 

* Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), Fédération des médecins de France (FMF), Fédération française des médecins généralistes (MG France), Syndicat des médecins libéraux (SML), Union française pour une médecine libre-Syndicat (UFML-S), Jeunes Médecins, Union syndicale Avenir Spé-Le Bloc, L’Union collégiale (UC).

 

Les chiffres introuvables du syndicalisme médical

Dur, dur, d’avoir des chiffres sur le taux de syndicalisation des médecins libéraux français! Les enquêtes sont rares, et l’on en est réduit à extrapoler les maigres données disponibles. Seule certitude : la tendance est à la «baisse continue de la syndicalisation». Tels sont en tout cas les mots employés par Patrick Hassenteufel, professeur de sciences politiques (Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et Sciences Po Saint-Germain-en-Laye) et spécialiste du syndicalisme médical, qui en a analysé les dynamiques, notamment dans un article de 2019*. «Les enquêtes de représentativité de 1992 et 2001 (la dernière rendue publique) concluent sur un taux de 25% (avec une différence assez forte entre celui des généralistes, environ 20%, et celui des spécialistes, environ 30%), écrit-il en 2019. Cette baisse s’est probablement poursuivie depuis lors.»

Interrogés sur le nombre d’adhérents à jour de leur cotisation, les leaders syndicaux contactés par Egora ont fait preuve d’une rare unanimité, refusant (presque) tous de donner des chiffres précis, mais assurant tous que chez eux, la situation était à l’embellie… Ce qui sous-entend que la crise du syndicalisme concerne surtout les autres organisations. «Je ne sais pas, je n’ai pas trop les chiffres en tête, avance Corinne Le Sauder, présidente de la FMF. Mais je sais que nous avons enregistré une centaine de nouvelles adhésions depuis le début de l’année.» Jérôme Marty, à l’UFML-S, abonde dans le même sens. «Je ne peux pas vous donner les chiffres, personne ne les donne, a-t-il déclaré. Mais je peux vous dire que nous sommes sur une excellente dynamique.» Seul Luc Duqesnel, aux Généralistes-CSMF, a accepté de donner un chiffre, «stable depuis plusieurs années»: 3 000 généralistes à jour de leur cotisation.

* « Les syndicats de médecins entre défense et dépassement de la médecine libérale », Patrick Hassenteufel, Les Tribunes de la santé n° 59, hiver 2019.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Adrien Renaud

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