Dans un contexte de libération de la parole des victimes d’inceste, de violences et de maltraitances, le témoignage du Dr Eugénie Izard a fait l’effet d’une tempête sur les réseaux sociaux. Condamnée à trois mois d’interdiction d’exercer par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins après avoir signalé des maltraitances sur une fillette, la pédopsychiatre de Toulouse dénonce “l’acharnement” de l’institution à son encontre. Aujourd’hui, la praticienne a décidé de se pourvoir en cassation. Pour Egora, le Dr Izard revient sur cette affaire qui a démarré fin 2014.

 

“Aujourd’hui, voilà que je paie le prix de mon engagement… mon engagement à protéger les enfants contre les sévices”, confie le Dr Eugénie Izard dans une vidéo devenue virale, publiée le 17 février dernier sur YouTube. Dans son cabinet de Toulouse, la pédopsychiatre, l’air solennel, réagit à sa condamnation par la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins à trois mois d’interdiction d’exercice. Une décision qui fait suite à des signalements de maltraitances sur une enfant, et pour lequel le Conseil départemental de l’Ordre a considéré qu’elle avait manqué à ses obligations déontologiques.

Contactée par Egora, la pédopsychiatre raconte comment ce qu’elle décrit comme une “cabale” à son encontre a commencé. En octobre 2014, une mère, séparée de son compagnon, se rend dans son cabinet accompagnée de sa fille, alors âgée de 8 ans. En fin d’année, la pédopsychiatre réalise un premier signalement pour maltraitances de la part du père de l’enfant, médecin, après avoir recueilli les dires de l’enfant et fait état de traumatismes psychiques. Un suivi psychiatrique se met alors en place. D’autres signalements sont réalisés par la praticienne les mois suivants, en 2015.

 

 

Selon le Dr Izard, le père finit par “se plaindre à l’Ordre des médecins”. Dès ce moment-là, la spécialiste dénonce le manque d’impartialité d’un conseiller du Conseil départemental de l’Ordre des médecins de la Haute-Garonne, qui a par ailleurs été son médecin. Une réunion de conciliation est organisée suite à cette plainte. “A ce moment-là, c’est déjà un tribunal, assure Eugénie Izard. On me fait comprendre du début à la fin que je me suis complètement trompée puisque la mère est aliénante et que ces maltraitances n’ont jamais eu lieu.”

“On m’interdit de continuer à voir l’enfant et la mère en consultation. On me répondra plus tard par mail que je ne suis pas interdite de voir la mère mais interdite de parler de cet enfant avec elle.” Des accusations réfutées par l’actuel président du CDOM 31, en poste depuis 2018, le Dr Oustric : “L’Ordre n’a jamais interdit qu’elle soigne des patients. Le libre choix est le fondement de la médecine ! Et l’Ordre n’a jamais interdit le signalement qui est un droit fondamental.” En parallèle, la praticienne assure qu’on tente de la discréditer. Elle dénonce notamment le “boycott” d’un colloque organisé par le Réseau de professionnels pour la protection de l’enfance et l’adolescence (REPPEA), qu’elle préside et qui, dit-elle, semble déranger. “Ils ont décidé de s’acharner pour me faire condamner coûte que coûte, j’ai porté plainte pour harcèlement dans cette procédure”, soutient-elle.

 

Avertissement

Alors que le père de l’enfant a retiré sa plainte à l’issue de la première conciliation, le Conseil départemental de la Haute-Garonne, estimant que le Dr Izard avait contrevenu à plusieurs de ses obligations déontologiques dans la prise en charge de cette enfant et dans l’attitude qu’elle avait adoptée dans le conflit entre le père et la mère, demande, en septembre 2015, à la chambre disciplinaire de première instance de Midi-Pyrénées de l’Ordre des médecins (devenue chambre disciplinaire de première instance d’Occitanie) de prononcer une sanction à son encontre. Elle reçoit alors un avertissement.

Le CDOM 31 relève appel de la décision qu’il veut voir réformée. Le Conseil souhaite qu’une sanction plus sévère soit infligée au Dr Izard. Son président actuel indique en effet que la pédopsychiatre a “outrepassé sa mission et ses fonctions de signalement”.

Le Dr Izard fait également appel de cette décision, assurant qu’elle ne s’est pas immiscée dans les affaires de famille. Grief qu’on lui a reproché “dès le départ” notamment parce que cette dernière a commenté une vidéo réalisée par la mère dans laquelle elle met en scène, par le biais de Playmobil, les faits de maltraitance dénoncés par la fillette et sa sœur. “J’avais demandé à la mère si je pouvais transmettre sa vidéo à des collègues car elle était très didactique sur les maltraitances, et c’est justement l’objet de mon association”, explique la pédopsychiatre qui soutient que ce film, retiré depuis, était anonymisé et “ne pouvait en aucun cas mettre en cause le père contrairement à ce qu’on me reproche”.

 

 

Briser le silence

Dans son compte-rendu, qu’Egora a pu consulter, la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins indique que la praticienne a bien dispensé à la mère de la fillette “des conseils relatifs au contenu et à la diffusion de la vidéo en cause, conseils visant à faire accréditer l’hypothèse des maltraitances litigieuses”. L’instance maintient par ailleurs que la pédopsychiatre, s’appuyant sur son statut de présidente du REPPEA, a “épaulé” la mère “dans ses diverses démarches” afin de “faire reconnaître l’existence d’actes de maltraitance commis par le père”.

De fait, la chambre disciplinaire nationale a décidé de condamner la praticienne à trois mois d’interdiction d’exercice à compter du 1er avril 2021, affirmant qu’Eugénie Izard a méconnu “ses obligations déontologiques”, notamment l’interdiction de s’immiscer dans les affaires de famille, mais aussi le respect du secret professionnel ayant effectué un signalement au juge des enfants et non au Procureur de la République. “Je n’ai pas fait un signalement mais une information de danger de l’enfant et je l’ai faite au juge des enfants qui avait été saisi pour cette situation pour la sauvegarde de cette enfant. Contrairement à la condamnation de l’Ordre, cela n’est nullement interdit et même est essentiel à la protection des enfants et c’est autorisé par les dispositions de l’article L.226-2-2 du code de l’action sociale et des familles, issues de la loi n°2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance qui autorisent le partage de tels éléments qualifiés ‘d’informations préoccupantes’ entre professionnels concernés par la protection de l’enfance”, se défend la praticienne. Je n’ai jamais pu me défendre de cela puisqu’on ne m’en a jamais accusé jusqu’à la condamnation finale.”

Regrettant que la chambre disciplinaire nationale en la condamnant pour ce motif pour lequel “elle n’a jamais été saisie” ait “outrepassé ses fonctions”, Eugénie Izard a assuré qu’elle allait se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État. Son combat pour la protection de l’enfant ne s’arrête pas à cette affaire, assure-t-elle. “J’espère que mon témoignage saura suffisamment mobiliser pour que les enfants maltraités arrêtent de tomber dans l’oubli, déclare-t-elle dans sa vidéo. Et pour que les professionnels qui les signalent et tentent de les protéger soient enfin reconnus, considérés et protégés eux-mêmes des représailles inhérentes à toutes ces affaires.”

A l’instar de Catherine Bonnet, la pédopsychiatre milite ainsi pour faire changer la loi et plaide, entre autres, pour l’obligation de signalement pour les médecins. Par son témoignage, elle entend lutter contre ceux qui “contribuent à faire régner le silence”.

Source :
www.egora.fr
Auteur : Louise Claereboudt

Sur le même thème :
“Tu es au début de ta grossesse ? Tu peux encore avorter” : le combat d’une pédiatre contre les violences sexistes à l’hôpital
Violences conjugales : la levée du secret médical simplifiée dans les Bouches-du-Rhône
“J’aurais sciemment laissé mourir cet enfant… c’est irréel” : confidences du médecin d’un bébé mort de faim
Les recommandations de la HAS pour repérer et aider les femmes victimes de violences