Locaux, moyens, ressources insuffisants” : face à l’indigence chronique des moyens des hôpitaux, le journal local Le Petit Marseillais publie au sortir des années 1930 une enquête “coup de poing” et appelle les pouvoirs publics à réagir. Une série d’articles d’une actualité criante.

 

Article initialement publié sur Retronews.fr, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France, dans le cadre de notre partenariat.

 

À l’origine, le mot hôpital, du latin hospitalia, désigne une maison d’accueil. Il n’est pas encore question de soigner, mais seulement d’offrir un toit aux nécessiteux, au nom de la charité chrétienne.

Au fil des siècles, leur mission évolue. À partir du Moyen-Âge, ils servent aussi à contrôler la population dans les royaumes européens. Les mendiants, les fous, les pestiférés et les prostituées peuvent être internés de force dans les hôpitaux. Petit à petit, ces établissements vont devenir des lieux de soins : les médecins viennent au chevet des patients pour les soigner, mais aussi pour se former, et les malades sont regroupés en fonction de leurs pathologies pour faciliter le travail du corps médical et améliorer l’hygiène. C’est la naissance des hôpitaux modernes.

Le XXe siècle est marqué par une croissance démographique qui accentue les besoins : entre 1896 et 1938, le nombre d’admissions est passé de 564 000 à 1 205 000. Durant l’Entre-deux-guerres, la plupart des hôpitaux français manquent cruellement de moyens.

C’est le cas de ceux que compte alors la deuxième ville française et premier port de France : Marseille.

En 1938, le journal local Le Petit Marseillais se fait fort de dénoncer la situation des hôpitaux marseillais, abandonnés des pouvoirs publics. Fruit d’une longue enquête, une dizaine d’articles sont publiés pendant les mois de janvier et février. “Locaux, moyens, ressources insuffisants” : tel est le constat dressé d’emblée par le journaliste, Marcel de Renzis, qui n’hésite pas à faire usage des majuscules pour en accentuer la gravité :

 

“Le mal vient de très loin. Il est fait de responsabilités accumulées au cours des années. Mais ce mal a pris maintenant des proportions inquiétantes et les pouvoirs publics se doivent d’y chercher un remède. Marseille n’a pas les hôpitaux qu’elle devrait avoir de par son importance et de par sa situation. […]
Chaque jour, s’affirment les effets détestables d’un état de choses devenu angoissant.
Les hôpitaux marseillais présentent une caractéristique : l’insuffisance.
SONT INSUFFISANTS, LES LOCAUX DONT ILS DISPOSENT. SONT INSUFFISANTS, LES MOYENS TECHNIQUES DONT ILS SONT MUNIS. SONT INSUFFISANTES, LES RESSOURCES BUDGETAIRES QUI LEUR SONT ATTRIBUÉES.”

 

 

Pour appuyer son propos, le journaliste rapporte cette anecdote révélatrice :

 

“L’an dernier, un citoyen des U. S. A., versé dans les questions médicales, demanda à visiter les hôpitaux de Marseille. Un des administrateurs des hospices tint à le piloter lui-même et il lui montra les différentes installations de l’Hôtel-Dieu.
On passa ainsi du rez-de-chaussée aux étages et l’on parvint à la terrasse supérieure d’où l’on a une vue incomparable sur le Vieux-Port et la colline de Notre-Dame-de-la-Garde. Le visiteur s’écria enthousiaste :
– Merveilleux, c’est tout simplement merveilleux !
Notre administrateur crut que ce qualificatif s’appliquait à l’hôpital dont il venait de faire les honneurs. Il interrogea doucement :
– En Amérique, avez-vous beaucoup d’hôpitaux qui soient mieux installés ?
Le brave homme fut foudroyé du regard par le Yankee qui répliqua sèchement :
– Yes, à Cuba !
Pour qui sait combien les Américains du Nord ont de condescendance pour les Cubains, le compliment est moins que flatteur pour les hôpitaux de Marseille.”

 

 

L’enquête se poursuit ainsi par le témoignage affligeant d’un des grands professeurs de l’Hôtel-Dieu de Marseille :

 

“Eh oui, nos hôpitaux ne sont pas ce qu’ils devraient être.
Parbleu, l’Hôtel-Dieu, par exemple, construit pour trois cents lits abrite plus de huit cents malades. Le résultat est attristant. Les malades sont en surnombre dans les salles et nous n’avons pas de chambres d’isolement.
Dès qu’un malade gémit ou délire, il interdit tout repos dans la salle où il se trouve. C’est une chose navrante que des malades soient amenés à voir d’autres malades agoniser près d’eux.
Faut-il aussi dire que le service de réception n’est pas équipé comme il conviendrait. Trop de nouveaux arrivants pénètrent dans les salles avec leurs vêtements parasités.
Une autre nécessité évidente, c’est celle des lits d’hospices. Nos salles sont encombrées de malades chroniques, infirmes ou impotents qui seraient mieux dans les hospices et cela pour le plus grand profit des fonds publics.
La situation actuelle qui est affligeante trouve son origine dans un passé lointain. On a laissé faire au début et le mal a fait boule de neige.”

 

 

C’est en visitant l’hôpital de la Conception que, déplore le journaliste, “l’on touche le fond de la misère” : manque de place, insuffisance de personnel et surtout, hygiène déplorable :

 

“Le pavillon des accouchements est un exemple typique de l’encombrement, ou plutôt du surencombrement des hôpitaux.
Le bâtiment est hors de proportions avec les nécessités du service. Comme on a trop de pensionnaires, on en a mis partout. La plus petite pièce renferme plusieurs lits. Quant aux locaux indispensables aux soins spéciaux, au matériel et au personnel, on les a réduits plus qu’au maximum.
Pour le nettoyage de tous ces bébés, il y a un lavabo minuscule, un lavabo qui ne comporte même pas de baignoire. Pas de pèse-bébé approprié, mais une vieille balance commerciale pour surveiller la croissance de tant de nourrissons.
Naturellement, de nombreux bébés sont nourris au lait artificiel. Or le service ne dispose même pas de ces marmites si pratiques pour stériliser les biberons qui sont, d’autre part, en nombre notablement insuffisant.”

 

Là encore, un professeur témoigne de l’indigence de son service :

 

“La clinique obstétricale, créée en 1878, devait à l’origine recevoir la moitié des accouchements s’effectuant dans les hôpitaux de Marseille, soit deux cents accouchements par an.
Depuis, l’enfant a grandi, mais ses vêtements n’ont pas été modifiés et il étouffe dedans. Le nombre des accouchements est six fois plus important et la salle de travail est toujours identique. Elle pourrait pourtant être améliorée à peu de frais.
– Et les consultations ?
– Les consultations étaient inexistantes en 1910. Maintenant, nous en comptons plus de dix mille annuellement, mais nous sommes privés des locaux indispensables. Des améliorations doivent être apportées d’urgence aussi bien en ce qui concerne les locaux qu’en ce qui concerne le matériel.”

 

 

Certes, les malades payent désormais une partie de leur séjour à l’hôpital, qui sort donc de la logique purement caritative qui prévalait jusqu’à la fin du XIXe siècle. Mais la baisse du revenu procuré par l’État et l’insuffisance des subventions publiques affectent la situation des hôpitaux.

La conclusion du journaliste est sans appel : les hôpitaux pâtissent d’insuffisances budgétaires chroniques et ne sont pas aidés comme ils devraient l’être par les pouvoirs publics.

 

“Qu’attend l’État pour traiter Marseille comme il traite les autres villes de France et l’aider dans la construction d’hôpitaux indispensables ?
Qu’attend l’État pour prendre à sa charge les hospitalisés étrangers comme il le fait pour les aliénés étrangers ?
Qu’attendent le département et la ville de Marseille pour verser aux hôpitaux les sommes énormes qu’ils leur doivent, ce qui entraîne de graves conséquences ?”

 

Le remède ? Il est simple, tranche le journaliste :

 

“Bannir la politique de cette administration et élargir la commission administrative.
Rien n’est plus normal, plus souhaitable que les assemblées municipales et départementales aient un droit de regard sur la gestion. Rien n’est moins normal que les représentants de ces deux assemblées soient en possession des principaux leviers de commande.
Il faut élargir le cadre des administrateurs pour y admettre […] des représentants qualifiés de certains corps constitués comme cela se pratique ailleurs.”

 

 

C’est pendant la Seconde Guerre mondiale que seront posées les bases de l’hôpital public tel qu’on le connaît aujourd’hui. La loi du 21 décembre 1941 consacrera juridiquement l’hôpital comme un établissement “sanitaire et social” et instituera la commission consultative médicale.

 

Pour en savoir plus :

– Jean-Paul Domin, Les assurances sociales et l’ouverture des hôpitaux à l’ensemble de la population : les prémices d’une politique globale de santé publique (1914-1941), Revue française des affaires sociales, à lire sur Cairn

– Chronologie de la politique hospitalière française, à lire sur le site de la Vie publique

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Marina Bellot, Retronews

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