Que se passera-t-il si les variants mettent en échec la stratégie de lutte contre le Covid ? Faut-il continuer à préserver la santé des aînés au détriment de la santé, voire de l’avenir, des plus jeunes ? Pour certains membres du Conseil scientifique, le confinement généralisé n’est plus une solution. Dans une lettre publiée dans The Lancet Public Health, cinq experts, parmi lesquels le Pr Jean-François Delfraissy, plaident pour un “contrat inter-générationnel” : respect des mesures barrières pour les jeunes, “auto-confinement” pour les plus vulnérables face au virus, en particulier les plus âgés. Arguments médicaux, éthiques, économiques et sociaux à l’appui, scientifiques et médecins se divisent sur le sujet. Egora ouvre le débat.

 

“Les personnes âgées finissent par mourir, on l’a oublié”

 

Propos recueillis par Louise Claereboudt

Professeur émérite et praticien hospitalier spécialisé dans la virologie, le Pr Jean-Michel Claverie plaide depuis mars 2020 pour le confinement des retraités, seule solution selon lui pour maintenir à flot le navire de l’hôpital et limiter les dégâts sur l’économie du pays.

 

Egora.fr : Dans une tribune ouverte publiée en mars 2020, vous appeliez à “relâcher la contrainte de confinement pour tous les actifs mais de continuer à l’imposer aux retraités”. Un an après, estimez-vous toujours que cette solution serait la plus efficace pour faire face à l’épidémie de Covid-19, comme le suggèrent également plusieurs membres du Conseil scientifique ?

Pr Jean-Michel Claverie
Pr J.M. Claverie.

Pr Jean-Michel Claverie : C’est une maladie très bizarre qui touche d’une manière disproportionnée les personnes âgées de plus de 65 ans, et particulièrement celles de plus de 70-75 ans. Le taux de mortalité est négligeable en dessous de 50 ans et passe à presque 15% pour les plus de 80 ans. Si les statistiques changent tout le temps, on voit bien que c’est quasiment exponentiel vers la fin de la courbe. On se plaint que les hôpitaux sont totalement engorgés en réanimation où les trois quarts des personnes qui y sont ont plus de 65-70 ans.

En France, on se bat pour la retraite à 60 ans. C’est un point intéressant à utiliser sur le plan économique puisque les retraités sont des gens qui gagnent leur vie sans sortir de chez eux, et qui ont donc une incidence sur l’économie beaucoup plus faible que le reste de la population. Etant donné que ce sont à la fois ceux qui sont les plus menacés et ceux qui pèsent le moins sur l’économie si elle s’arrête, je pense que c’est parfaitement logique de promouvoir ce type de “confinement barrage”.

J’ai écrit cet article au tout début de la première vague. Au début, cette idée a fait bondir tout le monde. On parlait de ségrégation, de discrimination… Il y a eu une énorme polémique qui s’est développée sur une liste de diffusion assez célèbre dans le milieu médical, qui est celle de monsieur Grimaldi, dont je fais partie. Or, on s’est rendu compte au fur et à mesure que les mesures gouvernementales ont été prises, qu’on a commencé à faire des discriminations presque bien plus graves que celle-ci. On discrimine les étudiants, les restaurateurs, les acteurs… Maintenant, on discrimine dans les différents départements.

 

 

J’ai l’impression que ce principe immuable d’il y a un an -dire que cette mesure d’auto-confinement est inconstitutionnelle, contraire au principe d’égalité- n’est plus vrai. On voit par ailleurs que le Conseil scientifique, ou en tout cas plusieurs membres, semble commencer à vouloir prôner ce type de “confinement barrage”, qualifié par d’autres d’”âgisme”.

Tout réside maintenant dans la manière dont on le met en place : est-ce qu’on ordonne un confinement, c’est-à-dire qu’on en fait un décret qui force les gens à rester chez eux, ou est-ce qu’on prône un auto-confinement actif.

 

Le Conseil scientifique plaide en effet pour l’instauration d’un “contrat social” entre les générations, dans lequel les plus âgés et fragiles s’auto-isoleraient. Quelle est votre position à ce sujet ?

Il est évident qu’on ne va pas commencer à mettre des flics dans la rue qui vont demander aux gens leur carte d’identité et vérifier leur âge. On ne va pas fliquer à ce point-là les citoyens. Je pense qu’une communication sur la nécessité de s’auto-isoler quand on a plus de 65 ans ou qu’on a des critères de comorbidités importants pourrait être faite. Il faut préciser que ça n’a pas les mêmes conséquences d’avoir le Covid quand on a 65 ans, que quand on en a 20. J’ai quand même l’impression que beaucoup de personnes âgées ont compris et prennent plus de précautions qu’elles n’en prenaient avant. Mais il y a toujours une dramatisation un peu ridicule.

Dans la tribune que j’ai écrite en mars dernier, je mettais en parallèle ce qui avait été assez extraordinaire au Japon au moment de Fukushima. Les retraités s’étaient proposés eux-mêmes pour prendre des risques à la place des jeunes, pour les tâches de décontamination les plus exposées. En France, on fait tout le contraire, ce que je trouve aberrant. On demande simplement aux gens de se protéger eux-mêmes. On ne leur demande pas le sacrifice de leur vie, mais d’éviter, en s’exposant, d’aller encombrer les urgences qui sont certainement très nécessaires à des personnes plus jeunes. Je n’ai jamais compris le tollé qu’a produit mon article. Pour moi, la meilleure façon d’aider la société française, c’est de demander aux plus âgés, dont je fais d’ailleurs partie, de s’auto-isoler.

 

Faut-il également demander aux personnes vulnérables ayant des comorbidités de s’auto-isoler ?

Il faut faire attention. Quand on regarde les statistiques, on constate qu’il y a aussi un lobby des grands CHU parisiens qui insistent beaucoup sur les histoires de comorbidités. Il est quand même très net que la médiane des gens qui meurent du Covid ont plus de 84 ans. Le problème avec les comorbidités, c’est que c’est extrêmement difficile dans la société française de ne pas trouver une comorbidité aux plus de 50 ans. La moitié de la population à partir de 50 ans est sous traitement antihypertenseur, une bonne moitié est en surpoids. C’est ce que l’on appelle les “facteurs confondants”. Cela devient très difficile après de savoir si vraiment quelqu’un est mort du Covid à 70 ans parce qu’il était obèse, qu’il avait fumé ou avait de l’hypertension.

Maintenant qu’il y a des gens de 16, 20, ou 30 ans qui meurent parce qu’ils sont véritablement obèses d’une manière, je dirais, maladive, c’est évident. Mais je pense que cette notion de comorbidités est utilisée pour faire un peu peur à l’ensemble de la population. Dans le cas où des personnes sont vraiment malades, qui ont des diabètes qui nécessitent de prendre de l’insuline tous les jours par exemple, des maladies cardiaques graves, leur médecin traitant doit leur dire de rester le plus possible chez eux.

 

D’autres pays dans le monde ont-ils mis en place cette stratégie ciblée ?

A ma connaissance, non. Par contre, dans d’autres pays, notamment les pays asiatiques, c’est un peu dans les mœurs, comme pour le port du masque. La société japonaise notamment est beaucoup plus respectueuse de ses vieux qu’on ne l’est. Dès qu’il y a des urgences sanitaires, la famille vient vraiment au secours des personnes âgées. Ce n’est plus tellement le cas dans nos pays occidentaux où chacun vit sa vie et où on met les personnes âgées dans des Ehpad.

 

Dans une tribune, le CNP de gériatrie s’oppose à un auto-confinement sur le seul critère de l’âge, assurant que les personnes les plus âgées ne représentent pas le poids le plus lourd sur les lits de réanimation. Quel est votre point de vue ?

Les chiffres officiels de l’OMS et des ARS ont énormément insisté sur l’énorme différence de mortalité selon l’âge. Alors il faudrait qu’on m’explique d’où viennent ces chiffres du CNP gériatrie. Est-ce que cela veut dire que toutes les personnes âgées sont mortes ? Cela ne correspond absolument pas aux statistiques dont on nous abreuve en permanence. Je suis personnellement resté sur des chiffres qui montraient que la majorité des personnes en réanimation était des personnes très âgées. Je me méfie donc de ces chiffres qui me paraissent déraisonnables. Je doute qu’on laisse mourir les gens dans les Ehpad maintenant. Je ne pense pas non plus que nombre de personnes aient signé les clauses de non réanimation : ça ne se fait pas beaucoup en France. A mon avis, il y a un dévoiement des statistiques.

 

 

Il y a des absurdités totales vis-à-vis de la politique des âges. On a réservé toute la vaccination aux gens très âgés alors qu’il y a quand même pas mal d’effets secondaires (moins en France, mais on le voit en Israël), et des réactions immunitaires extrêmement faibles et pas très efficaces. Je pense qu’il a été ridicule de concentrer les vaccins sur les gens très âgés, il valait mieux les concentrer sur les gens qui les soignent et qui risquent de les contaminer. La première chose que l’on aurait dû faire, c’est de vacciner tous les personnels hospitaliers quel que soit leur âge, quitte à les inciter fortement, et aux personnels des Ehpad, qui sont ceux d’ailleurs qui n’aiment pas trop se faire vacciner ; plutôt que les personnes âgées elles-mêmes qui sont déjà confinées. Je pense qu’on a voulu ménager la chèvre et le chou, qu’on a voulu montrer sur le plan politique qu’on sauvait nos anciens, mais ce n’est absolument pas efficace sur le plan des doses.

 

A part les résidents en Ehpad, qui ont accès à la vaccination depuis fin décembre, les autres personnes âgées n’auront pas toutes été vaccinées avant la fin du printemps, est-ce qu’un confinement généralisé est donc inévitable ?

Je pense que le Gouvernement a compris. Il va tout faire pour ne pas reconfiner. Je pense que si on reconfine, il ne va pas y avoir des gilets jaunes, mais verts ou roses… Ça va éclater. Je pense même qu’Emmanuel Macron est en désaccord complet avec le Conseil scientifique qui est, à mon avis, une émanation pas très compétente et extrêmement conservatrice. On a mis à l’intérieur de ce conseil des gens qui ne sont plus des chercheurs, plus des créatifs, qui ont, pour l’essentiel, un passé d’administration de la recherche ou de la santé. Aucun n’avait par ailleurs fait quelque chose sur le coronavirus. Ils ont été recrutés pour leurs accointances beaucoup plus politiques que pour leur excellence scientifique.

On a confiné, on a eu un couvre-feu, et le virus est toujours là. En sciences, on dirait ‘Voilà, on a fait une manip et la machine ne fonctionne pas’. La réponse à cette conclusion n’a pas été de dire ‘on arrête de faire cela, on fait autre chose’, mais ‘on continue et on fait encore pire qu’avant’. Je pense que Macron a fini par le comprendre mais que tous les scientifiques autour de lui s’arc-boutent sur des choses qui sont de bons-sens, des solutions qui n’ont pas l’air de fonctionner si bien que cela.

Par ailleurs, on n’a pas osé dire que l’on ne savait pas certaines choses dans cette crise. Je ne pense pas par exemple que les habitants de Dunkerque, de Moselle ou de Nice se soient comportés de manière radicalement différente que le reste de la population. Je pense qu’il y a éventuellement une source de contamination qu’on n’a pas identifiée, comme par exemple la contamination par les animaux domestiques.

 

Quel impact aurait l’auto-isolement des personnes âgées sur l’immunité collective ?

L’idée de l’auto-confinement des personnes âgées va dans le sens de l’aplatissement de la courbe et du désengorgement des hôpitaux. Il ne s’agit pas d’arrêter l’épidémie mais de faire qu’on puisse continuer de soigner les gens en évitant d’engorger les hôpitaux et les services de réanimation. En retirant une partie de la population de la circulation, on va empêcher une véritable immunité collective de se créer parce que tout le monde va être éventuellement immunisé, sauf les personnes âgées. On pourrait craindre que quand les personnes âgées ressortiront, ils vont attraper le Covid s’il en existe encore quelques cas. Mais je pense que si on atteint 60% des moins de 65 ans qui ont attrapé le Covid en France, le virus aura quand même du mal à redémarrer une épidémie. Mais cela pose question : il est clair qu’en retirant une partie de la population de la circulation, vous allez empêcher d’atteindre une immunité collective pour les gens de cette classe d’âge, mais à ce moment-là on peut les vacciner. Je pense que réclamer un auto confinement relativement strict des personnes âgées, concentrer la vaccination sur eux comme on le fait déjà, et attendre que les autres l’attrapent tous, ce serait probablement la solution la plus scientifiquement de bon sens.

 

Le Syndicat des médecins coordonnateurs, Ehpad et autres structures, généralistes ou gériatres s’inquiète qu’une telle mesure n’accroisse les décès non pas du Covid mais de dépression et de tristesse. En demandant un nouvel effort à cette population, ne risque-t-on pas de provoquer de nouveaux effets délétères ?

Les personnes âgées finissent par mourir. C’est quelque chose qu’on a totalement oublié. Normalement en France, tous les jours en hiver notamment, meurent environ 1.800 personnes. Là on nous fait le CV détaillé des 300/ 400 personnes qui succombent chaque jour au Covid. Les gens ne comprennent pas qu’en temps normal dans notre pays il meurt 660.000 personnes. Cette notion de mort a complètement disparu de notre vie, on ne veut pas la voir. Sur cette question, je pense que les personnes âgées doivent faire un choix : soit elles prennent le risque de mourir du Covid, soit, effectivement, elles s’isolent, et risquent de déprimer.

L’intérêt du confinement, ce n’est pas que ça va prolonger la vie des gens, j’en suis bien d’accord, mais ça va avoir un intérêt social évident de ne pas encombrer les lits d’hôpitaux dont d’autres ont besoin et dont la mort les priverait de 10, 20 ou 40 ans de vie, plutôt que d’un ou deux mois pour des personnes très âgées. C’est extrêmement cynique, mais dès qu’on parle de démographie, on est cynique.

 

“Si cette pandémie nous privait de notre humanité, ce serait tragique”

 

Propos recueillis par Aveline Marques

Président de l’Association des jeunes gériatres, le Dr Matthieu Piccoli, médecin à l’hôpital Broca (AH-HP), s’oppose fermement à une mesure de restriction supplémentaire visant les personnes âgées, qu’il juge délétère et sans fondement scientifique.

 

Egora.fr : L’idée de confiner (ou “auto-confiner”) les personnes vulnérables, notamment les personnes âgées, ressurgit régulièrement depuis le début de la crise sanitaire. Cette fois, elle est portée par cinq membres du Conseil scientifique qui plaident pour un contrat intergénérationnel afin d’éviter d’autres confinements généralisés. De son côté, l’Association des jeunes gériatres dénonce une “épidémie d’âgisme”…

Dr Matthieu Piccoli
Dr M. Piccoli.
© B. Delamain.

Dr Matthieu Piccoli : Cette position est partagée par l’ensemble du CNP de gériatrie, dont l’association est membre. Nous sommes déjà face à des mesures qui touchent de manière plus importante les personnes âgées, notamment en Ehpad, où il y a un protocole sanitaire extrêmement strict qui prive les personnes de visites dans les conditions habituelles. Nous savons aussi que les personnes âgées, ou plus à risque de faire des formes graves, implémentent déjà des mesures plus strictes pour elles : masque FFP2, restriction plus importante des contacts sociaux…

Par ailleurs, prôner un isolement strict des personnes âgées, c’est oublier d’une part qu’il ne s’agit pas d’une population homogène et d’autre part qu’il y a des liens intergénérationnels, c’est regarder par le petit bout de la lorgnette, ne prendre qu’une partie du problème. C’est sans doute pour cela que seuls cinq membres du Conseil scientifiques ont signé cette correspondance dans The Lancet Public Health. Dans cette publication, il y a une rhétorique argumentative, mais il manque une argumentation fondée sur des preuves solides.

 

Quels sont vos arguments ?

Evidemment, dans un contexte d’épidémie, se concentrer sur la mortalité est important. On ne peut pas nier que l’âge avancé soit un facteur de risque important de mortalité. Mais ce n’est pas le seul : il y a une trentaine de situations à risque de formes graves. Et c’est laisser de côté la surmortalité générale : en 2020, pendant les vagues épidémiques de Covid, d’après l’Insee, la mortalité a augmenté dès la classe d’âge 25-49 ans, avec une baisse globale de l’espérance de vie à tout âge. A ce propos, l’Insee rappelle qu’à 80 ans, les hommes ont encore à peu près neuf ans d’espérance de vie et les femmes onze. Il ne s’agit donc pas de préserver six mois de vie, comme on peut l’entendre ! Surtout que les personnes âgées hospitalisées pour Covid survivent dans 70% des cas!

Quand le système de santé doit concentrer ses efforts sur une seule maladie, les cancers, les AVC, les infarctus ou la maladie d’Alzheimer par exemple peuvent être mal pris en charge ou aggravés par défaut de soins ou par une infection nosocomiale à Covid : le poids de la pandémie ne doit pas être mesuré sur le seul paramètre de la mortalité directe liée au Covid, mais sur l’état de santé global de la population.

Il est vrai que plus de 90% des décès surviennent après 65 ans. Il n’empêche que mes collègues de réanimation ont vu une patiente de 22 ans décéder du Covid alors qu’elle n’avait aucune comorbidité… C’est inacceptable quand on parle d’une maladie infectieuse dont on peut prévenir la transmission!

Par ailleurs, ces membres du Conseil scientifique laissent de côté la morbidité de l’infection, qui touche aussi les sujets jeunes. 10 à 20% des patients Covid font des formes prolongées, avec gêne respiratoire, perte de goût et d’odorat, fatigue chronique… Des symptômes qui vont vous empêcher de travailler. Les trois millions d’arrêts maladie que l’on a actuellement ont aussi un coût sociétal !

 

Qu’en est-il de la pression sur les lits d’hospitalisation et de réanimation ? Près de 77% des patients en réanimation au 24 février ont plus de 60 ans*.

80% des personnes de moins de 60 ans en réanimation ont au moins une comorbidité. On ne peut pas classer d’un côté les personnes âgées, qui seraient les seules vulnérables, et de l’autre les jeunes. Dans les 10 à 15 millions de personnes concernées par la trentaine de situations à risque de formes graves, il y a aussi des jeunes.

Par ailleurs, le fait de dire aux personnes âgées “vous allez être confinées pour préserver les ressources en réanimation”, c’est un peu fallacieux car ce ne sont pas ces personnes-là qui accèdent le plus aux lits de réanimation. Si on regarde le ratio entre le nombre de patients admis en réa et le nombre de patients hospitalisés dans d’autres services en fonction de la classe d’âge, on voit qu’il augmente progressivement jusqu’à 69 ans puis diminue drastiquement au-delà.

Rappelons que 50% des plus de 65 ans ont une trajectoire robuste ou physiologique, conservant les capacités de leur jeunesse et 5% seulement ont une grande dépendance. La population âgée n’est pas homogène. Il ne faut pas se baser sur les 5% de vulnérables/dépendants pour bâtir une politique de santé concernant l’ensemble d’une classe d’âge…

Sans oublier qu’énormément de personnes âgées s’investissent dans des associations ou aident à garder les enfants : tout cela a un impact économique et participe à la transmission de valeurs, à l’éducation… Ce n’est pas matérialisable, mais ça existe !

Aucun des pays comparables à la France en termes de PIB, densité de population et de pyramides des âges qui s’en sortent aussi “bien” ou mieux que nous n’a mis en place de mesures discriminatoires sur la base de l’âge.

Sur le plan psychologique, on voit que l’ensemble de la population souffre de l’épidémie avec anxiété, dépression ou troubles du sommeil. Chez les sujets plus jeunes, en particulier les étudiants, cette prévalence est plus importante quand il y a en plus de la précarité économique. Prétendre que c’est à cause de l’épidémie que les jeunes sont précaires, c’est un raccourci. Et ce n’est pas d’isoler les plus âgés qui va lutter contre la précarité des étudiants ! Il leur faut des mesures adaptées. Il vaut mieux donner des moyens supplémentaires en fonction des besoins que d’aggraver la vulnérabilité existante. Richard Horton, rédacteur en chef du Lancet, dit que cette pandémie est en réalité une “syndémie” : elle a un impact sanitaire évident, mais aussi économique et social, dans le sens où elle aggrave les inégalités. On voit bien que les départements où les facteurs socio-économiques sont les plus défavorables sont aussi les plus touchés. Cette pandémie accentue les inégalités et touche la santé dans son acception large, celle de la définition de l’OMS de 1945, “le bien être total physique, psychique et social”, en intégrant donc les aspects psychologiques, sociaux, politiques, environnementaux, et culturels, largement impactés également.

 

Les experts du Conseil scientifique soulignent le fait que les variants pourraient être à l’origine d’une évasion immunitaire, d’un échappement vaccinal et donc remettre en cause la stratégie de lutte contre l’épidémie à long terme. Comment éviter les confinements à répétition ?

L’émergence des variants est aussi liée au fait qu’il y a une circulation virale élevée dans l’ensemble de la population. Le confinement est-il la seule manière de réduire la circulation virale ? Non ! Le confinement tel qu’on l’a connu au mois de mars-avril, le seul qui a été vraiment efficace sur la réduction de la mortalité, c’est l’étape ultime… mais c’est aussi l’aveu d’échec de la politique de la prévention. Comme le martèle l’OMS depuis quasiment le début de la pandémie, il faut tester, tracer et isoler. Isoler les malades symptomatiques et, surtout, parvenir à isoler précocément les malades asymptomatiques qui transmettent la maladie mais ne pas isoler les personnes saines. Certains pays y arrivent très bien, la France pas autant !

 

On applique mal cette politique ?

En France, il y a une difficulté théorique à intégrer la prévention, malgré le gros travail de Santé publique France. Illustration : un masque chirurgical coûte 5 centimes, soit 800 millions d’euros par mois pour en fournir assez à l’ensemble de la population française en respectant les recommandations. Rien, comparé aux 150 milliards d’euros réinjectés pour sauver l’économie. Rien, par rapport à une journée de réanimation à plus de 4.500 euros (soit 15,7 millions d’euros par jour, au nombre de personnes en réanimation pour Covid aujourd’hui). Et rien par rapport à une journée d’hospitalisation à 1200 euros (soit 30 millions d’euros par jour, au nombre de personnes de personnes hospitalisées à ce jour). Au rythme des hospitalisations et des réanimations à ce jour, le coût d’un mois de masques est atteint en 17 journées d’hospitalisations.

 

Il faudrait donc porter plus largement le masque ?

Surtout, qu’il soit porté dans les bonnes conditions. Acheter des masques pour aller travailler, c’est un coût important pour un certain nombre de personnes. Alors ils utilisent des masques en tissu dont on sait qu’ils n’ont pas une capacité de filtration équivalente plutôt qu’un masque chirurgical changé toutes les quatre heures, ce qu’il faudrait faire face aux variants.

Par ailleurs, la politique de test est “libérale” dans le sens où chacun fait ce qu’il veut. Quand on va se tester après l’apparition des symptômes, c’est déjà trop tard pour prévenir des contaminations supplémentaires. Ce qu’il faut, c’est une stratégie de dépistage coordonnée dans des lieux hautement fréquentés pour éviter les cas groupés. On peut utiliser les tests salivaires, même les chiens renifleurs ! On peut également utiliser le pooling, comme le réclame Catherine Hill : on fait une PCR poolée par groupe de vingt échantillons salivaires.Autaux de circulation actuelle, en testant 100 personnes, on en isolerait 20 plutôt que 100 avec un confinement ou un couvre-feu pour tout le monde. ça permet aussi de remonter les chaînes de contamination, isoler les cas asymptomatiques et relâcher un peu la pression sur les autres, qui n’auraient plus qu’à porter le masque.

On pourrait aussi installer des détecteurs de CO2 pour savoir quand il devient nécessaire d’aérer une pièce et diminuer la quantité de particules virales dans l’air, les deux étant corrélés. Ça permettrait de continuer à faire fonctionner l’économie tout en diminuant le risque de contagiosité.

On voit aussi avec les données israéliennes et états-uniennes que la vaccination large diminue la transmission du virus. Il faut accentuer la campagne en utilisant tous les leviers politiques pour augmenter la production et réserver les vaccins à ARNm aux personnes les plus à risque de faire une forme grave, c’est-à-dire pas seulement les plus âgées ! Si vous avez une maladie d’Alzheimer survenue avant 75 ans, vous n’êtes pas prioritaire alors que ça multiplie le risque par 5… Même chose avec les personnes en obésité. Il faut non pas raisonner en âge, mais en risque plutôt que conseiller de faire ce qui existe déjà : discriminer les personnes âgées. Ce sont les gériatres et les généralistes qui doivent assumer les conséquences des décisions publiques sur le terrain, pas les conseillers.

 

Constatez-vous les premiers effets de la vaccination en Ehpad ?

On les voit déjà poindre, sensiblement, dans la diminution du taux d’hospitalisation chez les personnes âgées sur Geodes. C’est à confirmer dans les jours et semaines à venir.

 


Nombre d’hospitalisations de personnes âgées de 80 à 89 ans, par semaine.
Source : Geodes

 

Dès lors, peut-on lever les restrictions sur les visites et les sorties ? On sait que le confinement a été terrible pour les résidents lors de la première vague…

En matière de décisions de santé, il faut toujours comparer le bénéfice-risque de ce que l’on cherche à prévenir et celui des moyens mis en œuvre pour le prévenir. Si pour prévenir une mortalité de 30% dans les Ehpad, on met en œuvre une mesure de confinement responsable d’une mortalité de 30%, ce n’est pas efficace. Malheureusement on a vu que le confinement strict et prolongé en chambre des résidents était responsable d’une plus grande souffrance psychique qui contribuait à l’aggravation de problèmes qui surviennent fréquemment : dénutrition, dépression, perte d’indépendance fonctionnelle, voire mortalité…

Il faut donc implémenter d’autres types de mesures pour protéger les résidents. Des mesures qui doivent être adaptées à l’intensité de la circulation du virus sur le territoire, du nombre de cas dans l’Ehpad (personnels et résidents), de la couverture vaccinale…

Il faut investir dans la prévention, augmenter rapidement le taux de couverture vaccinale des personnes à risque, mais aussi des personnes à leur contact, à commencer par les professionnels de santé puis, à terme, vacciner rapidement les personnes les moins à risques. Et renforcer la stratégie tester-tracer-isoler. Pourquoi pas tester les visiteurs systématiquement? Faire des campagnes de tests groupés systématiques et répétées dans les établissements (personnels et résidents)?

Si tout ce qu’on a mis en place échoue et qu’on a tout essayé, il faudra se résigner à confiner, mais confiner tout le monde. La solidarité intergénérationnelle, ce n’est pas une vue de l’esprit. Cette pandémie nous a pris 85.000 personnes, elle nous a privés d’un certain nombre de choses qui nous faisaient plaisir. Si en plus elle nous privait de notre empathie, de ce qui fonde une société, de notre humanité, ce serait tragique !

 

A lire : Piccoli M, Tannou T, Hernandorena I, & Koeberle S (2020). “Une approche éthique de la question du confinement des personnes âgées en contexte de pandémie COVID-19 : la prévention des fragilités face au risque de vulnérabilité”.Ethics, medicine, and public health, 14, 100539.

 

* Référence : Geodes.

 

Source :
www.egora.fr
Auteurs : Louise Claereboudt, Aveline Marques

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