Dans Comment allez-vous, mon Général ?, première biographie “médico-historique” de Charles de Gaulle, le Dr Serge Deschaux s’intéresse au patient qui se cache derrière le mythe. De sa blessure en 1914 à sa mort en 1970, en passant par son addiction au tabac ou sa crise de paludisme à Londres en 1942, l’auteur met au jour les fragilités du chef d’Etat, mais aussi son incroyable résilience.

 

A chaque rencontre avec un membre du corps médical, Charles de Gaulle s’enquerrait d’abord de ses états de service. Aujourd’hui, c’est un membre du corps médical qui s’enquiert de l’état de santé du Général. Fasciné par le plus célèbre des présidents français, le Dr Serge Deschaux, chirurgien-dentiste de profession, est parti à la rencontre du de Gaulle “intime” qui se cache derrière “l’homme statufié”. Au bout de trois années de recherches et de rencontres avec ceux qui l’ont approché, il en est venu à la conclusion que les deux personnages sont “étroitement liés” et que par moment, le sort de la France et du monde s’est joué au chevet du malade.

Mais pas question pour autant de tomber dans le voyeurisme. “Je me suis fixé une éthique : le strict respect du secret médical. Tout ce que j’écris a déjà été édité”, nous confie-t-il. A charge pour l’auteur de collecter et de “mettre en musique” ces informations et témoignages, sans jamais trahir les confidences faites par les professionnels de santé qui ont soigné le Général, rencontrés au cours de son enquête. L’ouvrage, présenté comme la première biographie “médico-historique” de de Gaulle, n’en est pas moins riche d’anecdotes particulièrement révélatrices sur le caractère d’un homme exceptionnel. Morceaux choisis.

 

 

La jaunisse d’Ingolstadt

2 mars 1916, Bataille de Verdun. Le capitaine de Gaulle, âgé de 26 ans, est blessé à la cuisse par un coup de baïonnette et capturé par les Allemands. Il passera 32 mois en captivité. “Cet emprisonnement pendant la Guerre de 14-18 l’a quasiment privé des combats. Il voulait en découdre avec les Allemands. Ne pas participer à la guerre a été le grand échec de sa vie”, raconte le Dr Deschaux. Dès lors, le jeune de Gaulle n’a qu’une seule obsession : s’évader. Il y parvient à cinq reprises, avant d’être rattrapé, à chaque fois, avant d’atteindre la frontière. La tentative la plus osée a lieu à Ingolstadt, en Bavière, en octobre 1916. “Il a imaginé un scenario. Il avait remarqué que le fort d’Ingolstadt, réputé imprenable, disposait d’une infirmerie. Il fallait avoir une pathologie suffisamment importante pour être hospitalisé hors de l’enceinte. Il s’est créé une fausse jaunisse en avalant de l’acide picrique. Cela sous-entend qu’il s’est fait livrer une petite fiole par le biais d’un colis de sa famille et qu’il a avalé une quantité suffisamment importante pour produire un bel ictère sans tomber dans les conséquences gravissimes.” Passant de l’infirmerie à l’hôpital, le militaire s’évade avec un compère… Ils sont repris huit jours plus tard.

 

Le “tout petit”

Anne de Gaulle, troisième enfant du couple, nait le 1er janvier 1928. Le diagnostic tombe comme un couperet : trisomie 21. “A l’époque, on parlait d’enfants mongoliens“, rappelle le Dr Deschaux. Ces mêmes enfants qu’Hitler a voulu éliminer, quelques années plus tard. Alors que la majorité d’entre eux sont placés par les familles dans des asiles, “la première résistance du couple de Gaulle a été de décider de garder Anne avec eux”, “à l’abri des regards“, dans l’intimité du domaine de la Boisserie, à Colombey-les-Deux-Eglises. L’argent du ménage est consacré à l’achat de médicaments et autres traitements jugés efficaces pour renforcer le système immunitaire de la fillette, et surtout à l’embauche d’une aide à plein temps. Le cœur fragile, Anne décède d’une broncho-pneumonie, à l’âge de 20 ans. La fondation de Gaulle, créée en 1945 pour accueillir les jeunes femmes handicapées mentales sans ressources, prend alors son nom.

Pour Serge Deschaux, l’existence d’Anne a influencé le chef d’Etat, de la politique de régulation des naissances instaurée par la loi Neuwirth autorisant la contraception en 1967 à la prise en compte du handicap dans la société. En juillet 1968, Marie-Madeleine Dienesch, secrétaire d’Etat auprès de la ministre des Affaires sociales, lance : “Mon Général, si à l’époque on avait pratiqué la réadaptation, peut-être qu’aujourd’hui votre fille serait encore parmi nous“. “Alors, Mademoiselle, de la réadaptation, on va en faire, vous pouvez compter sur moi”, lui rétorque-t-il. De Gaulle pose alors les premières pierres d’une politique d’intégration du handicap, poursuivie par ses successeurs.

 

 

La crise d’avril 1942

Nous sommes en pleine Seconde Guerre mondiale et le chef de la France libre est à terre, terrassé par une crise de paludisme. “L’origine vient d’une certaine négligence de sa part, révèle Serge Deschaux. Alors qu’il voyageait dans des pays endémiques de paludisme, il a été plus abstinent qu’autre chose avec son traitement prophylactique. J’ai situé la rencontre avec le moustique femelle à Brazzaville [capitale de la France libre, dans laquelle de Gaulle se rend à cinq reprises entre 1940 et 1943, NDLR], le 14 juillet 1941. C’est un peu arbitraire, mais c’est chronologiquement cohérent.” Quelques mois d’incubation du plasmodium plus tard, les poussées de fièvre, de courbatures, de céphalées et de maux de ventre se multiplient. Le 23 avril, dans sa chambre du Connaught Hôtel, à Londres, le Général est pris d’un malaise, sa fièvre monte à 40 degrés. “Il est pâle, transpirant, amorphe, à peine capable de répondre aux interrogations”, décrit Serge Deschaux. Une scène impressionnante et “inquiétante” pour ses collaborateurs et proches… mais pas pour le Dr Charles Robet, le médecin français de garde à Londres, appelé au chevet du malade par Yvonne de Gaulle.

Le praticien prélève quelques gouttes de sang pour analyse, et prescrit du chlorhydrate de quinine. “Il a très vite fait le lien avec le paludisme et pris les bonnes résolutions”, salue l’auteur de l’ouvrage, qui tient à “réhabiliter” un médecin éclipsé par l’Histoire au profit de son confrère, le célèbre Docteur André Lichtwitz (voir encadré), arrivé peu après sur les lieux et qui devient par la suite le médecin personnel de de Gaulle. Et les médecins anglais dans tout ça? De Gaulle en a consulté quelques-uns, lors des poussées, et aucun n’a pensé au paludisme. “Je ne pense pas qu’ils soient plus bêtes que les médecins français”, répond Serge Deschaux, qui penche plutôt pour un “manque de coopération mutuel” entre un patient connu pour être “bougon”, surtout vis-à-vis de ce qui n’est pas “franco-français”, et les Anglais, qui ne voyaient pas tous le général français d’un bon œil.

 

“Je ne fumerai plus jusqu’à la prochaine guerre…”

Initié au tabac en 1914, de Gaulle devient un fumeur invétéré. “Une cigarette en allumait une autre, c’était une cheminée”, décrit Serge Deschaux. Rien de surprenant à une époque où le tabac est largement accepté, pour un homme “hyperactif” sur lequel pèsent une “immense responsabilité”. Durant l’exil à Londres, période de “stress permanent”, le Général grille 40 à 60 cigarettes par jour. Puis du jour au lendemain, en 1947, de Gaulle arrête de fumer. “C’est très simple, vous annoncez à votre femme et à votre entourage que vous allez cesser de fumer… et vous cessez”, répond-t-il à ceux qui s’étonnent face à ce sevrage éclair. Claude Guy, l’aide de camp du Général, raconte dans son journal une toute autre histoire : celle d’un homme effrayé par la perspective d’un cancer. Toux sèche, voix éraillée et picotement dans la bouche au passage du digestif ont fini par convaincre le fumeur de consulter un ORL, en secret.

 

 

“Ce dernier le rassure sur l’innocuité de la chose, mais lui dit néanmoins que s’il continue sur ce rythme, ça pourrait devenir un cancer”, relate Serge Deschaux. Claude Guy décrit alors dans son journal un homme devenu mélancolique, catastrophiste, persuadé d’avoir effectivement un cancer, que le médecin aurait tu. La mort du général Leclerc, en qui de Gaulle voyait un successeur, aurait achevé de le convaincre d’arrêter de fumer. A la lecture des témoignages des proches, Serge Deschaux imagine sans peine un homme d’ordinaire “pas commode” devenir franchement “imbuvable” avec le sevrage. De Gaulle se plaira par la suite à “demander le statut tabagique de ses visiteurs”. “Il leur offrait les cigares envoyés par Castro. C’était pour lui un grand plaisir de les voir fumer devant lui et de s’imprégner des volutes de tabac dans sa DS présidentielle.”

 

 

Un médecin “héros de guerre”

Médecin-chef du 85e régiment d’infanterie, le Dr André Lichtwitz s’illustre lors des combats de juin 1940. Refusant l’armistice, il cherche à constituer un réseau de résistance avant de parvenir à passer en Espagne. Il est retenu prisonnier trois mois par les Franquistes, puis rejoint le Portugal. C’est de Lisbonne en avril 1942 qu’il arrive à Londres pour soigner le Général, en pleine crise de paludisme. Le médecin intègre ensuite les Forces françaises libres et combat en Afrique du Nord, puis participe à la Libération. “Héros de la guerre”, le Dr Lichtwitz est “le prototype parfait du militaire qui plaît à de Gaulle”, relève Serge Deschaux. Réputé pour ses compétences, Lichtwitz devient le médecin personnel du Général après avoir été au service de Paul Reynaud. Décédé d’un cancer en 1962, il est remplacé par son confrère et ami Roger Parlier. “Les médecins qui suivaient de Gaulle étaient tous cooptés, choisis plutôt pour leurs états de service”, souligne Serge Deschaux.

 

Serge Deschaux, Comment allez-vous, mon Général ? Editions de l’Harmattan, 2020.
Photo de l’article : Charles de Gaulle, portrait paint par Donald Sheridan. © Wikimedia commons.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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