La décision est tombée jeudi : les remontées mécaniques des stations de ski ne rouvriront pas le 1er février au regard de l’épidémie de Covid, au grand dam des restaurateurs, hôteliers, mais aussi des médecins de montagne dont l’activité hivernale constitue leur principale source de revenus. Face à cette “une saison blanche” qui s’annonce, les professionnels de santé qui y exercent s’inquiètent de ne pas pouvoir garder leurs cabinets ouverts, faute de patients et de moyens. Certains ont d’ores et déjà dû quitter leur vallée pour chercher du travail ailleurs dans l’Hexagone. Sur Egora, des praticiens désarmés appellent le Gouvernement à prendre des mesures.

 

Mardi 19 janvier. Le Dr Véronique Glatz, 45 ans, pose ses valises dans un petit appartement vide non loin de l’hôpital d’Avranches, en Normandie. A près de mille kilomètres de chez elle. Installée depuis huit années au Pra Loup (Alpes-de-Haute-Provence), dans la vallée de l’Ubaye, cette praticienne n’a pas eu d’autre choix que de laisser son mari, en formation, et ses deux enfants de 4 et 7 ans, quelques jours pour trouver du travail. Ne voyant plus que 5 patients par jour au lieu d’une vingtaine en temps normal, les difficultés étaient devenues trop importantes. Alors elle a fermé son cabinet.

Déjà plombés par la saison dernière avec l’interruption des activités des stations suite à l’instauration du premier confinement, mi-mars, les médecins de montagne se retrouvent aujourd’hui confrontés à une situation bien plus délicate. D’autant que le Gouvernement a annoncé ce jeudi après-midi qu’il ne rouvrirait pas les remontées mécaniques le 1er février, comme pouvaient encore l’espérer certains professionnels du milieu.

D’après une consultation menée par l’Association des médecins de montagne (MDEM), qui regroupe plus de 300 praticiens, la perte du chiffre d’affaires par structure médicale au mois de décembre est en moyenne de 58% par rapport à la même période en 2019. Et le mois de février, qui rapporte le plus, devrait s’annoncer plus difficile. Les difficultés varient cependant d’une station à une autre. “Les grosses stations, avec une activité très touristique, et qui sont très dépendantes des étrangers, accusent entre 90 et 100% de perte de chiffre d’affaires en janvier”, constate la présidente de l’association, le Dr Suzanne Mirtain, généraliste à Val-Cenis (Savoie), une petite station de village.

 

 

Prêt de l’Etat

“En 2020 on a réussi à sauver les meubles, indique le Dr Bernard Audema, médecin à Avoriaz (Haute-Savoie) et membre de l’association. Là, en revanche, tout le monde va être touché car décembre et janvier représentent une grande part de l’activité” et “le montant des actes économiques de début mai jusqu’à fin novembre représente une à deux semaines de mois de février”. Alors qu’à cette période, la station devrait grouiller de monde, c’est le calme plat.

A 61 ans, ce généraliste “en fin de carrière” ainsi que son associé ont été obligés de contracter un prêt garanti par l’Etat (PGE) en mai dernier de 180.000 euros. “C’est un emprunt qu’on devait rembourser à partir du mois d’avril 2021 si l’activité avait repris”, explique le médecin, également président du réseau Médecins correspondants du Samu des Alpes du Nord. Mais la saison d’été, plus soutenue que d’ordinaire, n’a pas permis de compenser les pertes de l’hiver. Le ministère de l’Economie a ainsi décidé il y a quelques jours d’accorder le report d’un an du début du remboursement de ce PGE.

A Avoriaz, station de haute altitude, très dépendante de la présence des étrangers et où seule une cinquantaine de personnes vivent à l’année, l’épidémie a fait des ravages. Nombre de saisonniers sont partis, à l’instar des collaborateurs médecins. “Vu les circonstances, on a décidé de n’embaucher qu’une infirmière et qu’une secrétaire, au lieu de deux, pour un contrat d’un mois seulement. Et les collaborateurs ne sont pas venus”, explique le Dr Audema. Dans le centre médical, où il est installé depuis une trentaine d’années, seuls 5 à 10 patients se présentent contre une centaine habituellement.

 

 

Des mesures compensatoires insuffisantes

De son côté, le Dr Véronique Glatz l’assure : après sa semaine en Normandie, elle sera contrainte de partir de nouveau. “J’ai averti la régie, le maire, et mes patients que j’allais m’en aller de nouveau”, explique cette ancienne militaire qui a déjà prévu de partir exercer 3 semaines à Bastia aux vacances de Pâques, et va peut-être aussi s’envoler par la suite pour la Guadeloupe où elle a fait jouer son ancien réseau pour y trouver un poste d’urgentiste temporaire. “Je n’ai plus le choix”, explique la docteure, se disant “acculée”. “Les gens ne réalisent pas parce que quand vous êtes médecin, vous avez des problèmes financiers.”

Avec au moins 80% de perte de chiffre d’affaires sur les mois de décembre et janvier, la praticienne a tenté de demander des aides, obtenant notamment 1.500 euros grâce au Fonds de solidarité. Un maigre lot de consolation pour cette maman de deux enfants. “Quand vous avez 3.000 euros d’URSSAF, j’ai envie de vous dire que ça ne suffit pas.” La baisse du nombre de patients n’est d’ailleurs pas le seul motif de perte de revenus, ajoute-t-elle. “Le ticket moyen est beaucoup moins important parce que je ne fais pas du tout de traumatologie, seulement des consultations de médecine générale.”

De son côté, sur ses 180.000 euros de pertes au printemps dernier, le Dr Audema et son associé n’ont touché que 13.000 euros de l’Assurance maladie au titre des mesures compensatoires mises en place dans le cadre de l’épidémie. Un dispositif qui, selon le généraliste, ne correspond pas du tout à la réalité du métier en montagne. “Ces mesures sont calculées sur l’activité des patients comptabilisés par la Sécurité sociale française, donc ça ne tient pas compte des étrangers, et nous, les étrangers représentent à peu près 40% de nos patients”, explique-t-il ajoutant : “Par ailleurs, c’est annualisé or nous avons une rémunération qui se concentre sur une courte période de l’année.”

Le dispositif d’indemnisation de la Cnam a été réactivé à l’automne mais uniquement pour les médecins exerçant en établissement de santé qui ont fait face une perte d’activité du fait des déprogrammations d’interventions “non urgentes”. Les médecins de montagne ne bénéficient pas non plus des aides mises en place pour les professionnels du tourisme, restaurateurs, hôteliers, moniteurs, etc., travaillant dans les stations de ski.

 

 

La présidente de l’Association des médecins de montagne a interpellé le secrétaire d’Etat à la Ruralité, Joël Giraud, lors d’une visite à la Plagne le 31 décembre dernier. “Je lui ai demandé de maintenir le maillage médical en place” mais aussi “qu’on puisse être intégrés dans des dispositifs d’aide au même titre que des moniteurs de ski ou des commerçants”, rapporte le Dr Mirtain. L’objectif : pouvoir au moins payer les charges, très élevées, les cabinets de montagne étant équipés de plateaux techniques (comprenant notamment des appareils d’échographie et de radiologie), et les loyers.

Des requêtes qui devraient être difficilement applicables, reconnaît la généraliste de 33 ans. “On essaie de frapper un peu à toutes les portes mais c’est compliqué de trouver comment nous aider, nous inclure dans un dispositif, sachant qu’on a un statut de médecin généraliste mais en même temps on exerce dans un lieu particulier.” D’autant que, précise le Dr Audema, les médecins de montagne constituent une “petite niche de praticiens qui n’ont pas une véritable représentativité”, pas de syndicat pour les défendre. “Au milieu des 100.000 médecins généralistes, nous sommes une goutte-d ’eau. On a peu de poids”, concède le Dr Mirtain.

 

“Effet domino”

Le Dr Audema redoute quant à lui un “effet domino”. Selon lui, les cabinets médicaux fermés vont être difficiles à relancer en cas de reprise de l’activité dans le futur. “On n’arrivera peut-être pas à refaire venir nos collaborateurs s’ils se sont engagés ailleurs”, s’inquiète le praticien. L’un des jeunes médecins avec qui il collabore devait par ailleurs s’associer avec lui pour assurer la transition du médecin proche de la retraite. Problème : à cause de ces deux saisons quasi blanches, “il va commencer à envisager d’avoir une autre activité”.

Qui dit fermeture de cabinets, dit par ailleurs surcharge dans les hôpitaux, prévient pour sa part le Dr Suzanne Mirtain. En temps normal, les médecins permettent de prendre en charge 95% de la traumatologie sans hospitalisation immédiate. “S’il n’y a plus de médecins dans les stations, tous ces blessés vont se retrouver à l’hôpital, et, forcément, ça va exploser”, affirme la praticienne, associée à quatre autres médecins. Pour elle, sans les revenus de la saison touristique, il sera difficile de garantir une offre de soins de qualité à la population locale. Avec des conséquences qui se répercuteront forcément sur l’ensemble de l’écosystème de la montagne, qui tient grâce aux saisons hivernales.

Pour bon nombre de praticiens de montagne, qui ne sont que quelques centaines et dont l’exercice demeure si particulier, cette épidémie a mis en péril tout ce qu’ils ont entrepris depuis des années. “C’est difficile car on a monté une médecine à laquelle on croit et pour laquelle on se bat, une médecine de terrain, locale, et on est en train de la voir se détruire parce que la crise nous atteint autant qu’elle atteint les autres secteurs de la montagne, mais on n’est pas sûrs d’avoir les mêmes aides que les autres”, rapporte le Dr Mirtain, qui tire la sonnette d’alarme.

Pour la présidente de l’Association des médecins de montagne, la détresse se fait, sans surprise, de plus en plus ressentir chez les professionnels de santé du secteur. “On peut tenir encore un peu, mais le bas de laine n’est pas extensible”, confie le Dr Glatz qui demeure optimiste bien qu’elle l’assure, il va être “difficile de se relever”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Louise Claereboudt

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