Avant la découverte des techniques d’anesthésie, les chirurgiens devaient faire preuve d’ingéniosité pour que leurs patients, opérés à vif, tiennent en place. En 1768, le Pr Georges Arnaud, membre de l’Académie royale de chirurgie de Paris, présente son tout nouveau modèle de chaise chirurgicale sur laquelle “le malade se trouve fixé dans l’instant et d’une manière si solide qu’il ne peut pas remuer”.

 


L’extrait :

« Il ne suffit pas au chirurgien d’avoir une connaissance parfaite de l’Anatomie ; de sçavoir distinguer les Maladies qui dérangent la structure des solides du Corps humain ; de connoître les remèdes propres à les guérir & d’exécuter les opérations qui conviennent ; il lui faut encore l’esprit d’invention & un génie méchanique qui le porte à suppléer à ce qui manque à l’Art. Les Opérations de Chirurgie se font aujourd’hui avec plus de certitude et de précision qu’on ne les faisait avant nous. On a écarté quelques cruautés qui se ressentoient encore de l’ancienne barbarie. On pourroit tenter de nouveaux moyens de faire les Opérations avec plus d’aisance pour en abréger la durée, et conséquemment en diminuer les douleurs. Ces deux points sont apportés par la Chaise chirurgicale. Elle ne présente au malade que l’idée de s’y asseoir, il s’y prête plus volontiers qu’au spectacle d’une Table trop appareillée, qui inspire tant d’horreur qu’on a vu certains Malades refuser de se soumettre à une opération. On sçait la difficulté de trouver des lits convenables pour toutes les opérations. Avec un lit trop haut, trop-bas, trop-large, le chirurgien gêné ne peut agir assez librement & il ne peut aisément être assisté ; le malade courre risque d’en souffrir davantage. Les forces de quatre Hommes ne suffisent souvent pas pour contrebalancer les forces d’un malade robuste. Avec la CHAISE, on a le choix d’opérer par devant, par derrière ou sur le côté, sans avoir besoin de personne pour tenir le Malade. Il se trouve fixé dans l’instant et d’une manière si solide qu’il ne peut pas remuer. »

[Extrait des « Mémoires de chirurgie », tome 2, Georges Arnaud, membre de l’Académie royale de chirurgie de Paris, professeur en l’École de Saint-Cosme, édité à Paris, 1768.]

 

Le décryptage :

Même si les commentaires de Georges Arnaud sont glaçants, il cherche avec sa chaise à épargner d’atroces souffrances au patient en écourtant le temps opératoire. Toutes les interventions étaient alors des vivisections sans remède : le seul moyen était d’opérer plus vite et avec plus de sécurité sans devoir recourir à quatre gaillards pour immobiliser un malade qui se débattait, probablement en hurlant… Mais l’on doute qu’en dépit des assurances données au malade, ladite chaise ne lui ait présenté « que l’idée de s’y asseoir »…

Le chirurgien se révèle ingénieux. La chaise est décrite sur plusieurs dessins, avec ses moindres cotes de construction et tous ses accessoires : repose-bras, serre-tête, fixe-cuisses, tringles coulissantes, sangles et courroies, tiroirs aux instruments, disposés afin d’être utilisables lors d’interventions diverses sur face, tête, poitrine, bas-ventre, périnée, membres ainsi que lors d’accouchements, la chaise étant basculée en arrière. A-t-elle été construite et utilisée ? Si oui, elle aura eu l’utilité non pas de faire souffrir moins mais moins longtemps.

Ce n’est qu’à partir du milieu du XIXe siècle qu’apparaîtront des méthodes et des substances réellement et directement efficaces sur la douleur. En premier vint l’éther, administré par inhalation en 1846 (Morton, États-Unis) lors de l’exérèse d’une tumeur du cou. L’éther sera utilisé pour la première fois en France en 1847, alors que le célèbre Velpeau avait déclaré, huit ans plus tôt, que la chirurgie sans douleur était inconcevable ! Puis arrivèrent le protoxyde d’azote et le chloroforme, dont la réputation sera consacrée par les anesthésies de la reine Victoria, consenties pour montrer l’exemple, lors de l’accouchement de ses deux derniers enfants en 1853 et 1857. Les barbituriques, apparus au début du XXe siècle, seront vite utilisés sous forme injectable, et complétés par le curare en 1942, ce qui a imposé l’assistance respiratoire. Aujourd’hui, le postopératoire lui-même bénéficie des antidouleurs, après bien des réticences liées à la crainte de créer une dépendance. Notre époque est, heureusement pour nous, loin des « cruautés » de « l’ancienne barbarie » !

 

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Pr Jean-Claude Nouët, ancien PU-PH et vice-doyen de La Pitié-Salpêtrière (AP-HP)

Sur le même thème :
Il a opéré des esclaves sans anesthésie : l’inventeur du spéculum déshonoré à New York
L’histoire de l’anesthésie a commencé dans un cirque
100 dollars la dépouille : le business des chirurgiens embaumeurs de la Guerre de sécession