La campagne de vaccination contre la Covid-19 devrait débuter dans quelques semaines par les résidents des EHPAD, avant de concerner l’ensemble des personnes à risque de forme grave. Tirant les leçons de la grippe H1N1, le Gouvernement s’appuiera sur la médecine de ville. Les explications du Dr Luc Duquesnel, Président Les Généralistes-CSMF.

 

Olivier Véran a réuni l’ensemble des soignants le 4 décembre dernier, au lendemain de la présentation de la stratégie vaccinale du Gouvernement. Quelle sera la place des médecins de ville, et tout particulièrement des généralistes, dans cette campagne de vaccination ?

L’objet de cette grand-messe, qui réunissait les représentants des médecins libéraux, mais aussi la Fédération hospitalière de France, la Fédération de l’hospitalisation privée, les représentants des usagers et bien d’autres, était de présenter la phase 1 de cette campagne, la vaccination en EHPAD et dans les établissements hébergeant des personnes âgées. Nous ne sommes pas rentrés dans le détail car il nous manquait encore les dossiers scientifiques des laboratoires.

Ce qui est certain, c’est la nécessité de la présence d’un médecin. C’est une primo-vaccination, il peut y avoir des effets secondaires et on aura un vaccin avec des exigences de conservation particulières. On sera obligé de regrouper les gens que l’on vaccine. Les territoires vont s’organiser avec les ressources humaines existantes pour assurer la présence médicale dans les établissements, que ce soit via les médecins généralistes ou, si besoin, via les médecins coordonnateurs. Nous sommes en train de travailler avec les Groupements Hospitaliers de Territoire sur les calendriers de vaccination pour garantir une présence médicale dans chaque établissement.

Autre problématique, que ce soit en phase 1 ou 2 : le recueil du consentement puisque cette vaccination ne sera pas obligatoire. Cela ne sera pas toujours simple en EHPAD pour les gens qui sont sous tutelle ou dans l’incapacité de prendre eux-mêmes une décision. Il serait logique que ce soient les médecins traitants qui recueillent le consentement des patients, car il y a une relation de confiance. Une consultation, dite de pré-vaccination, y sera consacrée.

 

Et en phase 2 (vaccination des personnes à risque), quel sera le rôle des généralistes ?

Ils seront au cœur du dispositif. Il y a aura différentes organisations : certains généralistes vont regrouper les vaccinations -pour le vaccin Moderna, on a des poches de 10. Mais il nous manque aujourd’hui des éléments pour réellement nous projeter. Quelles seront les contraintes administratives de la vaccination, par exemple ? Je pense qu’elles seront importantes. Il faudra permettre la traçabilité de la vaccination, mettre en place le dispositif de pharmacovigilance et programmer le rappel, nécessaire pour les premiers vaccins dont on disposera – entre 18 et 23 jours pour le vaccin Pfizer.

Même si certains médecins vont vouloir vacciner seuls, je pense que l’on va probablement voir se mettre en place des organisations pluriprofessionnelles identiques aux centres Covid de la première vague pour assurer la vaccination sur les territoires. Bien sûr, après que le médecin traitant ait recueilli le consentement au cours d’une consultation de pré-vaccination, qui leur permettra d’expliquer aux patients l’intérêt de se vacciner.

 

Vous demandez donc une consultation dédiée ?

Tout à fait. Elle pourrait d’ailleurs se faire en téléconsultation si besoin. L’élément clé de cette campagne, c’est la confiance. Or, aujourd’hui, très clairement, on peut dire aux patients qu’il faudra se vacciner mais on est incapable de dire, nous généralistes, quand et avec quel vaccin. Nous n’avons pas encore l’intégralité des données scientifiques nécessaires. La problématique de la confiance est majeure car avec tout ce qu’on a entendu depuis février, sur les masques notamment, beaucoup de Français n’ont plus confiance dans le Gouvernement. Avec le déconfinement raté, la deuxième vague, la troisième vague dont on nous parle déjà… on va d’échec en échec.

 

Quel est l’objectif du Gouvernement pour cette campagne de vaccination ? Il semble que le but ne soit pas tant de vacciner le plus de monde possible, mais de cibler les personnes les plus à risque…

Il y a deux objectifs principaux en termes de santé. L’objectif principal c’est de diminuer la mortalité et les formes graves qui surviennent surtout chez les personnes âgées. Ça permet en outre de protéger notre système de santé et les établissements de soins. Il y a quand même des départements en France où les deux tiers des activités opératoires programmées sont toujours annulés. Le retentissement de cette épidémie sur l’ensemble du système de santé est dramatique : ces milliers de colonoscopies qui auraient permis de détecter et de traiter précocement des cancers du côlon qui sont annulées, ce sont des patients qui vont avoir des formes plus compliquées. Avec les services de diabétologie, endocrinologie, etc.., fermés pour pouvoir envoyer le personnel dans des unités Covid, on aura de graves conséquences au long cours. Sans parler des pathologies psychiatriques qui sont en train de décompenser.

Le second objectif de cette campagne, bien sûr, est de garantir la sécurité sanitaire.

 

Concrètement, les jeunes médecins sans facteur de risque ne seront pas prioritaires…

En effet, en phase 2, le vaccin sera réservé, entre autres, aux professionnels de santé à risque : les plus de 65 ans et ceux qui ont des facteurs de comorbidités. Il a été évoqué, lors de précédentes réunions, la possibilité de les vacciner dès la phase 1, en établissements. On verra quand les vaccinations seront programmées. Lors de cette phase 1, un million de personnes seulement seront vaccinées. Il faudra attendre la phase 2 au mois de mars pour élargir le champ en ambulatoire, avec 14 millions de personnes. Mais en phase 1, on parle quand même de 10 000 établissements, ce n’est pas anodin en termes d’organisation avec un vaccin qui doit être conservé entre -70 et -80 degrés. Cela va demander toute une logistique, mais je suis persuadé que les médecins généralistes vont répondre présents.

 

Les Français se sont précipités sur le vaccin contre le grippe. En sera-t-il de même pour le vaccin contre la Covid-19 ?

C’est très fluctuant… Pour la grippe, certains recevaient le papier de leur caisse depuis vingt ans, ne se vaccinaient jamais et se sont précipités sur le vaccin cette année. D’autres qui n’étaient pas prioritaires ont acheté le vaccin et résultat, des patients prioritaires ne l’ont toujours pas eu et il est possible qu’ils ne l’aient jamais.

Cela va dépendre… Il faut que les éléments des dossiers scientifiques soient rassurants, qu’on connaisse les contre-indications, etc. La transparence doit être totale, y compris sur tous les effets secondaires. Moi je ne sais pas, par exemple, si on doit vacciner les patients âgés qui ont eu la Covid, qu’ils aient été symptomatiques ou asymptomatiques. Il va aussi falloir prendre en compte le temps de protection du vaccin. Quand on va attaquer la phase 2 et la phase 3, on aura le recul de la phase 1. Ainsi que l’expérience des pays étrangers qui vont commencer à vacciner avant nous.

En tout cas, pour ce vaccin, le Gouvernement a décidé de ne pas refaire l’erreur de Roselyne Bachelot avec ses vaccinodromes pour la grippe H1N1. Il organise la vaccination en ambulatoire, avec les professionnels de soins primaires en qui les Français ont confiance. Ce dont on a besoin, nous, c’est de l’analyse des données scientifiques. Si nous on a confiance dans le vaccin, les Français auront aussi confiance.