Médecins, pharmaciens, infirmiers, et bientôt kinés, dentistes… Le Gouvernement mise sur le dépistage par tests antigéniques en ville, aussi bien chez les patients symptomatiques que chez les patients asymptomatiques. Mais pour le Dr Luc Duquesnel, Président des Généralistes-CSMF, la stratégie déployée fait l’impasse sur le traçage des patients, en entravant leur suivi par les médecins traitants. “On fait courir des risques à la population”, alerte-t-il.

 

D’après les chiffres fournis par le Ministre aux syndicats, la semaine dernière, sur les 200 000 tests antigéniques remis par les pharmaciens aux médecins libéraux, 12 000 avaient été effectués. Seuls 2 000 médecins en avaient réalisé au moins un. Comment l’expliquez-vous ?

Nous l’avions dit d’emblée à la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) : réaliser des tests nécessite une organisation spécifique. On ne peut pas faire ça au cours d’une consultation de médecine générale normale. Il faut un lieu dédié, il faut s’équiper. On ne va pas, pour chaque test, consommer un équipement de protection individuel. Cela nécessite donc une organisation.

Il faut s’organiser au niveau des territoires, en fonction, dans un premier temps, des recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS), qui initialement écartaient les personnes asymptomatiques. L’arrêté du 16 novembre 2020 [qui inclut les asymptomatiques, même s’ils ne sont pas prioritaires, NDLR] a changé la donne. Pour autant, les contraintes d’équipement demeurent. Et les médecins généralistes ont fort à faire par ailleurs.

 

Que pensez-vous de la stratégie de dépistage déployée par le Gouvernement ?

On peut se poser des questions… S’agit-il seulement d’afficher un nombre de tests réalisés pour annoncer que nous sommes les champions des tests ? Aujourd’hui, on teste aussi les asymptomatiques. Sur 100 asymptomatiques avec tests PCR positifs, il n’y aura que 37 patients qui auront un test antigénique positif. Il y en a donc 63 qui vont croire qu’ils sont non contaminants, alors qu’ils le sont. Sur 100 patients symptomatiques positifs au test PCR, seuls 35 à 60 d’entre eux seront positifs au test antigénique selon les tests – la moyenne étant de 50. Ce sont les données de l’AP-HP.

Or, pour le médecin traitant, l’important c’est le suivi des patients. Jusqu’ici, avec les tests RT-PCR, le laboratoire d’analyse informait le médecin traitant du résultat, qu’il soit positif ou négatif. Au début, les professionnels réalisant des tests antigéniques n’avaient pas la possibilité de renseigner le Système d’Information pour la Déclaration des Essais de Produits (SIDEP), le médecin traitant n’était donc pas informé ; une feuille remise au patient l’incitait à prévenir ce dernier quel que soit le résultat. La situation s’est désormais aggravée : les soignants qui réalisent les tests doivent renseigner SIDEP pour se faire rémunérer mais il n’est prévu aucune redescente de l’information vers le médecin traitant, ce qui est purement scandaleux. Alors que la stratégie gouvernementale était de “tester-tracer-isoler”, avec un rôle prépondérant du médecin traitant qui assurait le suivi des patients, aujourd’hui on n’en est plus qu’au “tester”.

Si le test antigénique est positif, le médecin traitant devrait en être informé pour assurer le suivi du patient. Si le test est négatif, que le patient soit symptomatique ou asymptomatique, en fonction de l’âge et des facteurs de comorbidités, c’est également essentiel pour le médecin traitant de le savoir car un suivi peut là aussi s’avérer nécessaire. Car le patient a très bien pu se faire tester trop tôt. On voit bien ce qui se met en place : on teste tous ceux qui sont volontaires. S’ils apprennent ensuite qu’ils sont cas contacts, ils vont se dire “tout va bien, je suis négatif”… C’est dangereux pour la population et c’est une négation du rôle du médecin traitant.

 

A ce sujet, l’arrêté stipule que les pharmaciens et infirmiers, à l’instar des médecins, réalisent des tests antigéniques dans le cadre d’un “diagnostic individuel”…

On voit bien que la politique du ministère est d’afficher le nombre de tests réalisés… On pourra bientôt dire qu’on est à trois millions de tests par semaine. Mais quelle cohérence dans cette stratégie ? En tout cas, pour nous médecins généralistes, il n’y en a aucune. Je le répète : c’est une négation de notre rôle et on fait courir des risques à la population. Se croyant négatifs, ils vont aller voir leurs grands-parents et peut être les contaminer. J’ai vu de jeunes adultes responsables de la contamination de leurs proches fragiles, qui sont décédés, et qui vivent aujourd’hui avec un sentiment de culpabilité énorme…

 

Que faudrait-il faire selon vous ?

Il aurait fallu que la personne qui réalise le test saisisse le nom du médecin traitant dans SIDEP, et que cette base de données l’informe automatiquement. Ou mentionner dans l’arrêté que celui qui teste envoie le résultat au médecin traitant par messagerie de santé sécurisée. Mais comme tous les professionnels n’en ont pas, on aurait pu avoir moins de tests réalisés et ça, ce n’était pas la volonté du Ministre.

Ces problèmes informatiques non résolus posent des problèmes dans la prise en charge des patients contaminés. C’est comme lorsque le médecin ne peut plus remplir Contact-Covid en cas de test RT-PCR positif dès lors que le dossier avait été ouvert par la caisse. Le directeur de la CNAM nous a annoncé par mail il y a plus d’un mois qu’on allait pouvoir le faire. Ce n’est toujours pas opérationnel.

 

Certaines voix s’élèvent en faveur d’un dépistage massif par tests antigéniques en vue du déconfinement. Quelle est votre position ?

On a vu des pays le faire, comme la Slovaquie. Mais pour ça il faut avoir des stocks ! Or, j’ai des échos de pharmaciens, d’infirmiers qui n’arrivent pas à en obtenir. Et les répartiteurs répondent qu’ils n’en ont plus et ne peuvent plus en délivrer. En France, le problème est donc réglé : on n’a pas assez  de tests aujourd’hui pour une politique de dépistage massif. Comme pour les vaccins contre la grippe, il y a eu un manque d’anticipation.