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Professions médicales intermédiaires : les clés pour comprendre la controverse

Ordre, praticiens hospitaliers, médecins de ville, paramédicaux… Une fois n’est pas coutume, les professionnels de santé sont unis. Unis pour rejeter la création “en catimini”, par une proposition de loi de la majorité, de “professions médicales intermédiaires” entre l’infirmière et le médecin. Pêle-mêle, ils dénoncent le retour des officiers de santé, une concurrence pour les infirmières en pratique avancée et spécialisées, la désorganisation du système de santé et surtout un manque de concertation. Mais qu’est-ce qu’une profession intermédiaire  ? Peut-elle se faire une place dans le système de santé  ? Devant le tollé, la mesure va-t-elle passer à la trappe  ? Les réponses à vos questions.

 

Que dit la loi ?

“Traduction législative des mesures issues des conclusions du Ségur de la santé qui ne relèvent pas du domaine budgétaire”, la proposition de loi “visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification” sera examinée le 25 novembre par la commission des affaires sociales de l’Assemblée. Portée par la députée rhumatologue Stéphanie Rist (LREM, Loiret) et l’ensemble du groupe La République en marche, elle fera l’objet d’une procédure accélérée, avec un débat et un vote en séance plénière prévus les 30 novembre et 1er décembre.

Si le texte porte plusieurs mesures d’importance pour les médecins, c’est l’article 1 qui a cristallisé le mécontentement de la profession, en gravant dans le marbre du Code de santé publique la possibilité pour les auxiliaires médicaux (infirmiers, kinés, diététiciens, orthophonistes, etc.) d'”exercer en tant que profession médicale intermédiaire”. “L’exercice légal de la médecine en France conduit à un cloisonnement important des professionnels de santé avec d’une part le médecin diplômé d’un bac +10 et d’autre part l’infirmière titulaire d’un bac +3, développe l’exposé des motifs. Or, la démographie de ces professionnels de santé et leur répartition sur le territoire national ne permet pas toujours de répondre aux besoins de santé de nos concitoyens.”

 

 

L’article du texte de loi prévoit qu’un décret fixe les domaines d’intervention, les conditions et règles d’exercice de cette profession, “suite aux conclusions du rapport des ordres des infirmiers et des médecins”, “après avis de l’Académie nationale de médecine et des représentants des professions de santé concernées”.

Déplorant que l’inscription législative se fasse avant même que la “mission exploratoire” ait été lancée, le Cnom a décidé de couper court et a renvoyé le ministère dans les cordes. “La méthode est intolérable”, fulmine-t-on à l’Ordre. “Très vite” après le Ségur, l’Ordre dit pourtant avoir informé le ministère, après avoir pris le pouls de la profession, que non seulement la création d’une profession intermédiaire n’était pas une demande des médecins, mais que ces derniers y étaient opposés. De l’avis de plusieurs interlocuteurs, la mesure est une “marotte d’Olivier Véran”, qui l’a imposé dans le Ségur.

Sollicitée par Egora, la députée LREM du Loiret Stéphanie Rist se défend d’avoir voulu “préjuger de la fin de cette mission”. Il s’agissait uniquement de “ne pas perdre de temps”, et “d’inscrire le cadre de ces professions médicales intermédiaires, qui seraient définies par la mission et qu’il n’y ait pas besoin d’une nouvelle loi”, a-t-elle insisté.

 

Mais qu’est-ce qu’une profession médicale intermédiaire  ?

C’est justement à la mission de le définir, rétorque Stéphanie Rist.

Le concept a été exploré au fil des ans par divers rapports, notamment par le rapport Hénart-Berland-Cadet “relatif aux métiers en santé de niveau intermédiaire”. Rendu en 2011 au ministère de la Santé, ce rapport fait le constat d’une inadaptation de la réglementation des métiers de santé en France : d’un côté, les médecins, seuls professionnels exonérés “du principe de protection de l’intégrité corporelle” posé par le code pénal, ce qui se traduit par un “monopole médical” ; de l’autre, les auxiliaires médicaux et autres professions médicales qui exercent par “dérogation à ce monopole”, dans le cadre de décrets d’actes (infirmiers, kinés) ou de missions (sages-femmes, dentistes). Le rapport constate la “nécessité de nouvelles prises en charge plus graduées” face aux défis démographiques, développement des maladies chroniques, allongement de l’espérance de vie, chronicisation des cancers, etc. Constatant la baisse inexorable du nombre de médecins en exercice, il estime que certaines missions qui leur sont dévolues ne correspondent pas à un bac +9-11.

Ce nouveau métier est défini par un champ d’intervention, un niveau élevé de compétences et de qualifications, une “haute technicité” et des responsabilités. Le niveau de formation souhaitable est le master (Bac +5). Il peut s’exercer en premier recours pour prendre en charge les patients âgés, les malades chroniques et les cancers, ou bien se développer dans des filières médicales précises (vision, audition, soins dentaires), en chirurgie ou en imagerie. “Construits à partir des métiers paramédicaux”, ces métiers deviendraient “des professions médicales à compétences définies” : des “paramedical praticien”. La question est de savoir s’ils exerceraient en première intention, ou toujours par délégation du médecin.

 

 

Quelle différence avec les infirmières en pratique avancée (IPA) ou les infirmières spécialisées  ?

C’est là toute l’ambiguïté de la proposition de loi… et de l’accord final du Ségur, relève Christophe Debout, membre de l’Institut droit et santé, et spécialiste des sciences infirmières et des pratiques avancées. Une mesure (n°7) lance la réflexion sur la création d’une profession médicale intermédiaire, tandis que l’autre (n°6) étend le champ de compétence et renforce leur rôle de premier recours des IPA en “permettant aux patients de les consulter directement”, sans passer par la case médecin.

D’ailleurs, note Christophe Debout, le rapport sur les professions intermédiaires visait justement à développer le concept de pratiques avancées en France, et à rattraper le retard en la matière. “Mais quand on regarde la loi de 2016 et les textes d’application, on constate que les IPA ne sont pas sorties de la catégorie ‘auxiliaire médical’. On n’est pas face à une profession intermédiaire, mais à un exercice avancé de la profession infirmière. Et demain, on l’espère, un exercice avancé d’autres professions paramédicales comme prévu par Ma santé 2022 : professions de la rééducation, manipulateurs radio…”. Et de “déplorer” que face au “lobbying”, les IPA n’aient finalement pas eu accès au premier recours et soient cantonnées dans un périmètre d’intervention limité, alors que les “besoins ne sont pas couverts”. Sans parler de la question de la reconnaissance financière, qui n’est toujours pas tranchée alors que les premières IPA achèvent leur formation.

En étant reconnue comme profession intermédiaire, l’IPA pourra-t-elle conquérir cette autonomie qui lui fait défaut ? Ou à l’inverse, malgré son qualificatif de “médicale”, la profession intermédiaire resterait-elle sous la coupe des médecins ? Et quid des infirmiers anesthésistes, qui correspondent à la description des professions intermédiaires et attendent déjà d’être reconnus comme IPA ? Sans parler des autres spécialités infirmières (Ibode et puéricultrices), “laissées de côté depuis des années”, interroge Christophe Debout ? “Tout ça, ce sont des éléments qui devaient être discutés dans le cadre de la mission…”, insiste Stéphanie Rist. Selon la députée LREM, la création de professions intermédiaires répond à deux problématiques : “permettre une évolutivité des métiers car actuellement quand vous commencez infirmière, vous finissez infirmière et la France a énormément de retard sur ces questions de pratiques avancées” ; et “libérer du temps médical” en confiant à d’autres professionnels ce qui peut l’être.

 

 

Quels modèles à l’étranger ?

“A l’international, l’exercice en pratique avancée est le concept tendance, quand on voit les résultats obtenus”, souligne Christophe Debout. D’après cet expert, la notion de profession médicale intermédiaire fait aussi écho à ces “assistants médicaux” qui exercent aux côtés des médecins aux Etats-Unis (mais n’ont rien à voir avec les assistants médicaux français) et entrent parfois en concurrence avec les IPA. Ainsi, alors que dans certains états les infirmiers anesthésistes sont des IPA exerçant en autonomie, les médecins emploient par ailleurs des assistants d’anesthésie qui exercent dans leur giron.

Toujours sans “préjuger des conclusions de la mission”, Stéphanie Rist, rhumatologue de formation, évoque quant à elle ces infirmières en Angleterre qui suivent des patients atteints de rhumatismes inflammatoires et peuvent prescrire en collaboration avec le médecin, obtenant de meilleurs résultats qu’une prise en charge médicale unique. Ou encore celles “qui opèrent des appendicites”. “Ou les kinés, aux Etats-Unis, qui prennent en charge les maladies du dos.”

 

Y a-t-il une place pour une nouvelle profession dans le système de santé français ?

Oui, répond Stéphanie Rist. “On a bien vu pendant la crise l’importance de décloisonner le système, insiste la députée. On a vu des ergothérapeutes prêter main forte aux kinés en réanimation en sortant de leur champ de compétence”, illustre-t-elle.

Non, répond le Cnom. “Le système n’a pas besoin d’une nouvelle profession intermédiaire. Nous avons largement ce qu’il faut en matière de professions de santé.” Pour l’Ordre, il faut poursuivre le développement des pratiques avancées afin de construire des équipes de soin “coordonnées par un médecin”. “Créer un nouvel embranchement serait incompréhensible pour les professionnels et illisible pour les patients”, juge-t-il. Même position pour les quatre syndicats de médecins libéraux que sont la CSMF, la FMF, le SML, MG France, ou encore pour le syndicat infirmier Sniil, le Centre national des professionnels de santé, la Fédération française des praticiens de santé ou encore l’intersyndicale des praticiens hospitaliers. “Est-ce bien l’urgence aujourd’hui, à l’heure où tous les professionnels de santé doivent se coordonner, unir leurs efforts pour lutter contre une épidémie majeure et dévastatrice ? interpellent les médecins libéraux. Il est temps de recentrer les efforts pour la santé sur les enjeux actuels et non de partir dans une déstructuration.” Les représentants des médecins de ville estiment par ailleurs que “la solution aux déserts médicaux” passe par “l’attractivité des professions existantes” et non la création d’une profession revenant à créer “une médecine à deux vitesses”.

 

 

Atouts ou handicap pour les médecins ?

La PPL Rist a immédiatement fait ressurgir dans l’esprit des médecins libéraux le spectre des officiers de santé, qui exerçaient la médecine “sans en avoir le titre”, mettant à mal ce fameux monopole médical qu’ils ont mis des décennies à reconquérir. “Ce n’est pas le sens de l’article. L’objectif n’est pas de faire des sous médecins, répond le Dr Rist. Mais des sur professionnels auxiliaires.”

Seul le Dr Patrick Gasser, ex Umespe et président du nouveau syndicat Avenir spé, y voit une opportunité pour les médecins. “Aujourd’hui ou demain, nous serons dans l’obligation de nous réorganiser, compte tenu de la demande de soins de la population”, souligne-t-il. “Notre rôle est d’y répondre. Il faut porter le travail aidé. Le travail en équipe.” Le tout dans le cadre d’une “entreprise médicale structurée”, avec nécessairement un “lien de subordination entre le médecin et le délégué”. Et de citer l’exemple de deux spécialités médicales qui sont parvenues à se “faire aider” des paramédicaux : les ophtalmologues qui, grâce au concours des orthoptistes, ont pu diminuer les délais d’attente, et les anesthésistes avec les Iade. Chaque spécialité médicale, estime Patrick Gasser, en fonction des besoins, pourraient faire de même, et confier des actes à des paramédicaux salariés ou leur confier l’accompagnement du patient, en tant que gestionnaire de cas : accompagnement de l’insuffisant cardiaque, du patient sous insuline, du patient traité pour cancer… Mais le syndicaliste rejoint ses confrères sur un point : la balle est dans le camp du terrain, pas des politiques.

 

 

La mesure survivra-t-elle à une telle levée de boucliers ?

C’est mal parti. Face à ce “blocage important”, “cet article va évoluer”, nous confie Stéphanie Rist. “Il va être réécrit et le terme de profession médicale intermédiaire n’apparaitra plus”, explique la députée, évoquant plutôt une “demande de rapport concernant les pratiques avancées, notamment”. Verdict fin novembre.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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