“Réquisition”. Ecrit noir sur blanc dans un récent document du ministère sur les “modalités de mobilisation des personnels dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus”, le mot attise depuis quelques jours les craintes sur les réseaux sociaux. Réalité pour bon nombre d’étudiants en médecine ou en soins infirmiers, la réquisition pourrait-elle, à terme, aussi concerner les médecins de ville, et notamment les généralistes, si la seconde vague de Covid finissait par saturer complètement les hôpitaux ? Eléments de réponse.

 

La dernière fois, c’était en novembre 2009. A la demande de Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, des dizaines de milliers de médecins, d’infirmières et d’étudiants s’étaient vu réquisitionnés pour participer à la campagne de vaccination massive de la population contre la grippe H1N1. Aujourd’hui, alors qu’une autre pandémie menace de submerger le système de santé, le spectre de la réquisition resurgit. “Il y a des bruits de couloir, venant de trois ou quatre régions“, nous confirme le Dr Jérôme Marty, président du syndicat UFML. La réquisition de médecins libéraux au sein des hôpitaux serait une piste envisagée dans certaines ARS. Mythe ou réalité, le généraliste prévient d’emblée : “Nous ne l’accepterons pas”.

 

 

C’est un vademecum diffusé par le ministère le 23 octobre qui a mis les soignants en émoi. “Les ARS peuvent proposer au préfet la réquisition de professionnels de santé (médecins et infirmiers) libéraux (conventionnés ou non), salariés de centres de santé ou de centres thermaux, exerçant en administration publique (médecins de santé publique, médecins conseils, etc.), retraités ou en cours de formation”, peut-on lire.

 

 

Distincte de la réquisition judiciaire (gardes à vue, etc.), cette réquisition administrative s’apparente à la réquisition opérée dans le cadre de la permanence des soins ambulatoires. Elle est régie par l’article 3131-8 du Code de santé publique, qui prévoit que “si l’afflux de patients ou de victimes ou la situation sanitaire le justifie, sur proposition du directeur général de l’agence régionale de santé, le représentant de l’Etat dans le département peut procéder aux réquisitions nécessaires de tous biens et services, et notamment requérir le service de tout professionnel de santé, quel que soit son mode d’exercice et de tout établissement de santé ou établissement médico-social”. La jurisprudence du Conseil d’Etat exige que trois circonstances soient réunies : l’existence d’un risque grave pour la santé publique, l’impossibilité pour l’administration d’y faire face par d’autres moyens et l’existence d’une situation d’urgence.

 

75 euros de l’heure

Le dispositif de la réquisition, rattaché à l’état d’urgence et prévu dès le décret du 23 mars prescrivant les mesures générales pour faire face à l’épidémie de Covid 19, a notamment été mis en œuvre dans les Hauts de France durant la première vague. “58 structures en avaient bénéficié en région (dont 18 établissements de santé). Il avait concerné 190 volontaires pour un total de 453 vacations”, précise l’ARS, sollicitée par Egora. Jugé très “efficace”, le dispositif “est aujourd’hui réintroduit afin de faciliter le recours aux renforts”, confirme l’ARS. Il permet en effet de libérer les établissements de santé et les structures médico-sociales “de toutes les contraintes administratives et financières associées”, développe l’agence. “L’établissement n’a pas à produire de contrat. Il n’a pas à indemniser le professionnel. Tout est géré par l’ARS et pris en charge par l’Assurance maladie.”

La rémunération a été fixée par un arrêté du 28 mars. Si les professionnels sont amenés à exercer en dehors de leur lieu d’exercice habituel, elle s’élève à :

– pour les médecins libéraux et les remplaçants : 75 euros de l’heure entre 8 heures et 20 heures, 112,50 euros entre 20 heures et 23 heures et de 6 heures à 8 heures et 150 euros entre 23 heures et 6 heures ainsi que les dimanches et jours fériés

-pour les médecins retraités ou salariés (centres de santé, PMI, médecins-conseils…) : 50 euros de l’heure entre 8 heures et 20 heures, 75 euros entre 20 heures et 23 heures et de 6 heures à 8 heures et 100 euros entre 23 heures et 6 heures ainsi que les dimanches et jours fériés

Les professionnels qui exercent dans leur lieu d’exercice habituel et dans la continuité de cet exercice restent rémunérés à l’acte.

“La réquisition est prononcée par le préfet du département par le biais d’arrêtés individuels ou collectifs, c’est-à-dire par une liste nominative de personnes”, précise le Dr François Simon, président de la section exercice professionnel du Cnom. “Cet arrêté doit être notifié individuellement à chaque personne réquisitionnée, ajoute-t-il. Si dans le droit commun, les arrêtés de réquisition doivent être remis au préalable et en main propre et par voie de courrier recommandé avec accusé de réception, il est possible au vu des circonstances exceptionnelles que la notification soit faite par tout moyen de communication permettant d’attester de cette notification.” Le médecin peut être préalablement averti par un appel, un sms ou un mail, une copie de l’arrêté lui étant remis au début de sa réquisition.

 

L’impossible refus

L’arrêté doit être motivé et préciser les missions, la durée et les modalités de la réquisition. Tout médecin inscrit au tableau de l’ordre peut être réquisitionné, assure le conseiller ordinal. Il n’y a pas de délai de prévenance : le médecin notifié de sa réquisition peut être appelé à débuter “dans un délai très court”, assure-t-il. Il n’y a pas non plus de limite de durée.

 

 

Un médecin peut-il refuser? “Non”, sous peine de sanctions pénales (six mois d’emprisonnement et 10 000 euros d’amende), nous répond sans détour le vice-président du Cnom. “Vous devez déférer à une réquisition, vous n’avez pas le choix.” “Mais un praticien peut néanmoins se trouver lui-même dans l’incapacité d’effectuer la mission parce qu’il est malade ou souffre d’une pathologie, par exemple, nuance-t-il. Il n’y a pas de liste exhaustive. Il doit se rapprocher du conseil départemental de l’Ordre et de l’ARS.

Le médecin peut également manifester des réserves quant à ses compétences. “Dans l’éventualité où le médecin estimerait être vraiment dans l’incapacité de pouvoir assurer aux patients la légitime et élémentaire sécurité à laquelle ils ont pourtant droit, il aurait intérêt à le signaler aux autorités administratives”, écrit l’avocat Fabrice Di Vizio dans un “Guide du médecin réquisitionné” rédigé en 2009 pour l’Union nationale des médecins libéraux, à une époque où de nombreux médecins protestaient contre leur réquisition pour la vaccination contre la grippe H1N1. Dans le cas de la prise en charge du Covid, la question pourrait légitimement se poser : “On ne s’improvise pas réanimateur, relève le Dr Jacques Battistoni. Ce n’est pas un gastro-entérologue qui pourrait faire de la réanimation Covid…”

De fait, tous s’accordent pour dire que la réquisition doit avant tout s’adresser à des professionnels volontaires, qui pourront bénéficier au travers du dispositif de la protection assurantielle conférée par le statut de collaborateur occasionnel de service public. “La réquisition a pour effet de procurer la protection de l’Etat aux médecins réquisitionnés, explique le Dr Simon, du Cnom. Cette protection comprend la défense juridique et la garantie de dommages causés ou subis pour les médecins.

Autre avantage : bénéficier d’une rémunération forfaitaire, moins contraignante que la facturation à l’acte. C’est la raison pour laquelle, durant la première vague, “certains médecins libéraux intervenant dans les centres Covid ont préféré être réquisitionnés”, note le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. “Pour les mêmes raisons, il y a des médecins libéraux exerçant en hospitalisation privée qui souhaitent être réquisitionnés. Elle peut être un moyen d’avoir une rémunération à hauteur de leur engagement.”

 

 

Encore faut-il que la rémunération soit versée… Un certain nombre de volontaires réquisitionnés durant de la première vague n’auraient toujours pas été payés, d’après le Dr Marty. “Alors forcément, il y aura beaucoup moins de volontaires…”, redoute le président de l’UFML.

 

Eviter le recours aux généralistes

Quid des généralistes ? “Ils sont déjà très sollicités par leurs patients dans les cabinets. On ne va pas déshabiller Pierre pour habiller Paul”, remarque Jacques Battistoni, qui, à l’instar des autres représentants syndicaux, ne croit pas à une réquisition massive à court ou moyen terme. “Les hôpitaux déprogramment des actes pour dégager du personnel. Mobilisons d’abord ces personnels avant d’aller chercher en ville les libéraux, qui soignent la majorité des patients Covid.” “Aujourd’hui, toute l’hospitalisation privée est mobilisée”, souligne Jean-Paul Ortiz, qui ne dit pas avoir eu d’“échos” à ce sujet bien que des voix s’élèvent à l’hôpital, dans les régions les plus en tension, pour le réclamer. “Plutôt que de réquisitionner des médecins pour qu’ils interviennent à l’hôpital public, pourquoi -et c’est aux médecins de décider dans les territoires- ne pas organiser les choses pour que les médecins libéraux qui exercent en clinique accueillent les patients Covid chaque fois que c’est possible. Quand on est dans un établissement qu’on connaît bien, on est plus à l’aise.”

Sollicité, le ministère de la Santé n’avait pas encore donné suite à l’heure où nous écrivons ses lignes. En Ile-de-France en tout cas, l’ARS se veut rassurante. La réquisition des généralistes libéraux “n’est pas à l’ordre du jour puisqu’ils sont pleinement mobilisés depuis le début et continuent de l’être aujourd’hui notamment dans la prise en charge des patients Covid qui a évolué. Tous les acteurs se sont organisés pour continuer les soins en ville et éviter un maximum leur recours”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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