La possibilité d’une double épidémie de Covid et de grippe fait craindre le pire à certains professionnels de santé. Face au risque de submersion, notre système de santé dispose-t-il des outils de terrassement adéquats ? Ou faudra-t-il se contenter d’un simple râteau et d’une pelle pour contrer le tsunami qui pourrait déferler en ville comme à l’hôpital ?

 

La « marée montante ». La « vague-submersion ». Le « tsunami ». Face à l’engorgement du système de santé provoqué par l’épidémie de coronavirus au printemps dernier, les métaphores maritimes étaient présentes sur toutes les lèvres. Et elles pourraient se répandre encore davantage si, à l’approche de l’hiver, le flot des patients grippés venait se joindre à celui des patients déjà concernés par la résurgence du Covid. Reste à déterminer la probabilité qu’une telle crue survienne cette année, et à évaluer les moyens dont disposent les soignants pour y faire face.

« Nous nous dirigeons vers une période de l’année qui est habituellement une période de surcharge, et tout déséquilibre, toute réaugmentation de l’activité vont compliquer les choses, avertit le Dr François Braun, médecin-chef au pôle Urgences du CHR de Metz-Thionville et président du syndicat Samu-Urgences de France. L’hôpital est déjà plein comme un oeuf, et on risque de se retrouver avec des services d’urgences saturés et des lits d’aval introuvables. » Et ce n’est pas tout, explique-t-il, car à cette situation se rajoutent « des professionnels qui sont fatigués, qui en ont ras le bol et qui risquent de claquer la porte ». Bref, « un cercle vicieux » dans lequel personne n’a envie de se retrouver, estime le médecin lorrain.

 

 

Les hospitaliers ne sont pas les seuls à envisager avec anxiété l’hypothèse d’une conjonction des deux virus. En ville aussi, les médecins libéraux gardent de très mauvais souvenirs des épidémies de grippe passées et ne souhaitent surtout pas revivre cela, notamment dans la situation actuelle où le coronavirus est déjà en train de faire des ravages… « Nous avons tous connu de grosses épidémies, avec des semaines de consultations interminables et de grosses difficultés à gérer tous les appels, à prendre en charge à la fois les patients qui présentent des syndromes grippaux et les patients habituels, rappelle le Dr Antoine Brun d’Arre, médecin généraliste au Vigan (Gard). Le téléscopage grippe-Covid risque donc de nous poser de gros problèmes de disponibilité, de diagnostic mais aussi de gestion des complications… »

 

Cassandre peut se tromper

Fort heureusement, ce scénario catastrophe est loin d’être certain. « La possibilité d’une double vague nous a beaucoup inquiétés. On a même pensé à une triple vague, en ajoutant la gastroentérite, mais cela nous a rassurés de voir ce qui s’est passé dans l’hémisphère Sud pendant l’hiver austral, relativise le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. Là-bas, l’impact de la grippe a été très limité cette année. » Compte tenu de cette forte réduction du fardeau de la grippe aux antipodes en 2020, le syndicaliste en conclut que les mesures de protection et de distanciation mises en oeuvre contre le coronavirus ont également eu un impact sur la circulation du virus de la grippe. Il estime ainsi que ce qui a fonctionné à l’autre bout de la Terre pourrait avoir le même effet en France cet hiver.

 

Une grippe clémente dans l’hémisphère Sud

L’hiver austral a, cette année, apporté une bonne nouvelle : une épidémie de grippe dans l’hémisphère Sud bien moins virulente que d’habitude. Dans son dernier bulletin dédié à la surveillance de la grippe [12 octobre, ndlr], l’Organisation mondiale de la santé (OMS) notait que « globalement, l’activité grippale reste inférieure aux niveaux attendus pour cette période de l’année ». Elle notait ainsi que « dans les Caraïbes et en Amérique centrale, aucune détection de grippe n’a été signalée ». Pour les autres régions du monde, la situation n’était pas beaucoup plus alarmante. « En Amérique du Sud tropicale, Afrique tropicale et Asie du Sud, il n’y a pas eu de détection, ou des détections sporadiques », détaillait l’institution genevoise. La seule inquiétude venait du Cambodge et du Laos, où « des détections accrues de grippe ont été signalées ». Enfin, pour ce qui nous concerne plus directement, l’OMS notait que « dans la zone tempérée de l’hémisphère Nord, l’activité grippale restait en dessous des niveaux intersaisons ».

 

 

Un optimisme partagé par le Pr Bruno Lina, directeur du Centre national de référence des virus à transmission respiratoire au CHU de Lyon. « Il est possible que deux virus capables de provoquer des épidémies de la taille de celles que peuvent causer le coronavirus et le virus de la grippe ne puissent pas circuler en même temps », explique le membre du Conseil scientifique sur le Covid. En s’appuyant sur ce qui a été observé au début de l’épidémie de coronavirus en France – qui correspondait à la fin de l’épidémie de grippe saisonnière – ainsi que sur l’expérience de l’hémisphère Sud, le virologue émet l’hypothèse que « les deux virus s’excluent mutuellement, par l’interférence virale : quand un virus circule de façon abondante, c’est lui qui occupe tout le terrain ».

Malheureusement, depuis le début de l’épidémie, il a fallu apprendre à se méfier des prévisions optimistes. À titre d’exemple, les déclarations d’Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, qui jugeait, fin janvier dernier, comme « pratiquement nul » le risque d’importation d’un virus qui ne sévissait alors presque qu’en Chine. Neuf mois et des dizaines de milliers de morts plus tard, il semble légitime de prendre quelques précautions, interférence virale ou non. « On peut imaginer que cette année, on aura une épidémie de grippe moins importante, concède le Dr Julien Borowczyk, généraliste et député LREM de la Loire. Mais je ne suis pas prêt à le parier… et mon rôle de médecin et de député consiste à prendre les devants. »

 

Vaccin : quelle prise en charge et quelle disponibilité ?

La première des actions à mener, selon Julien Borowczyk, concerne la vaccination. Il est d’ailleurs à l’origine d’une tribune, publiée avec d’autres députés de la majorité dans Le Journal du dimanche, demandant cette année « une vaccination massive et solidaire contre la grippe ». Les signataires proposent notamment que les professionnels de santé soient autorisés à détenir un stock de vaccins, de manière à pouvoir systématiquement le proposer à leurs patients. Ils estiment aussi que si la Sécurité sociale prend intégralement en charge le vaccin pour les publics à risque, les complémen-taires devraient s’engager à le rendre gratuit également pour l’ensemble des Français.

Faut-il aller plus loin, et rendre la vaccination contre la grippe obligatoire, notamment pour les professionnels de santé ? Julien Borowczyk ne le pense pas. « On a déjà un contexte de défiance, on risquerait d’avoir une levée de boucliers dogmatique, estime-t-il, préférant miser sur la sensibilisation. Il faut amener les gens à avoir une réflexion, et cela marche », affirme-t-il, prenant l’exemple de son cabinet, où il constate que les patients sont cette année davantage demandeurs d’une vaccination contre la grippe que par le passé.

 

 

Reste la question du nombre de vaccins disponibles. Olivier Véran a annoncé en septembre dernier que le gouvernement avait commandé cette année 30 % de doses supplémentaires pour faire face à une demande potentiellement accrue de la part de la population. Cela sera-t-il suffisant ou s’achemine-t-on vers une pénurie, comme semble le craindre l’Académie nationale de pharmacie ? Dans un communiqué publié début octobre, celle-ci demandait « que le vaccin contre la grippe soit délivré d’abord aux personnes prioritaires » et mettait en garde contre « une psychose qui pourrait, via une demande trop importante, entraîner des ruptures, au risque de ne pas pouvoir vacciner en priorité les 12 millions de personnes les plus fragiles ». Des craintes que Julien Borowczyk balaie d’un revers de la main : « Honnêtement, on est loin de la pénurie, et si on arrivait à écouler tout ce qu’on a commandé, on serait particulièrement heureux », juge le député.

 

SAS’ passera comme SAS’ passera !

En revanche, l’efficacité de la vaccination contre la grippe étant variable d’une année sur l’autre, il faut aussi se préparer à l’éventualité d’une protection moins importante cet hiver, ce qui laisserait davantage d’espace à la cocirculation des deux virus. Dans ce cas, des mesures devraient être prises, et chacun a son idée sur celles qui permettraient d’éviter la submersion. « La clé, c’est de renforcer la régulation médicale », juge ainsi François Braun, qui dit croire dans le service d’accès aux soins (SAS), dont l’expérimentation va prochainement commencer. Et le fait que le SAS ne sera probablement pas sur pied au moment de l’arrivée de la grippe ne semble pas le gêner. « Ce qui m’intéresse, c’est que dans les départements où il sera mis en place, on est déjà dans une logique permettant d’apporter une réponse en médecine libérale aux soins non programmés », explique-t-il. Avec, bien sûr, à la clé, le Graal du désencombrement des urgences.

 

 

Au niveau des cabinets de médecine générale, on s’apprête aussi à faire face. Antoine Brun d’Arre déclare, par exemple, se préparer, comme il l’avait fait au plus fort de la première vague du coronavirus, à aménager ses horaires avec ses collègues de sa maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) du Vigan. « On avait réservé des plages pour recevoir les pathologies infectieuses en fin d’après-midi, pour éviter que ces patients ne croisent les autres, se souvient-il. S’il y avait une explosion du nombre de patients infectieux, il faudrait augmenter ces plages. Ce qui ne pourrait malheureusement se faire qu’au détriment des autres patients. »

 

La téléconsultation, un outil parmi d’autres

C’est l’autre outil qui pourrait être mis à contribution en cas de double épidémie, comme il l’avait été lors de la première vague du coronavirus. « C’est pour cela qu’on se bat pour que la consultation téléphonique soit de nouveau remboursée », rappelle Luc Duquesnel. Car celle-ci peut rendre d’importants services en cas d’épidémie : « Cela peut permettre de faire un débrouillage au niveau des symptômes, estime le Dr Benjamin Potencier, généraliste à Saint-Jean-de-Soudain (Isère). On peut ainsi ne faire venir au cabinet que ceux qu’on ne peut pas traiter en téléconsultation. C’est ce que nous faisons déjà, et que nous ferions encore plus en situation de double épidémie. »

Reste que cette approche a ses limites. Tout d’abord, les symptômes de la grippe et ceux du Covid étant très semblables, comment juger à distance de quelle pathologie souffre le patient ? D’autre part, lorsque les tests rapides promis par le gouvernement seront disponibles, ceux-ci nécessiteront malgré tout une consultation physique. Mais la problématique principale de la double épidémie reste l’engorgement des structures de soins, à laquelle la téléconsultation n’apporte pas de réelle solution. « Une téléconsultation prend autant de temps qu’une consultation physique, rappelle Antoine Brun d’Arre. Au mieux, c’est un outil qui peut permettre d’éviter que les patients ne se croisent. »

Comme souvent, l’une des solutions pour faire face à l’éventualité d’une cocirculation des deux virus reste la prévention. « Il faut travailler sur la transmission de ces virus respiratoires, estime Bruno Lina. Les mesures d’hygiène appliquées contre le Covid marchent aussi contre la grippe. » Avant de sortir la calculette : « On estime que le taux de reproduction du coronavirus (le R0) est de 3, et que celui de la grippe est de 1,5, avance-t-il. Or les mesures barrières semblent avoir permis de faire chuter le R0 du coronavirus de moitié. Si elles font la même chose pour la grippe, son R0 tombe à 0,75, et il n’y a pas d’épidémie… ou seulement quelques résidus mineurs de circulation. En combinant la vaccination avec les mesures barrières, on peut passer une excellente année grippale ! » Reste à espérer que les deux virus se plient à cette arithmétique.

 

Une grippe à géométrie variable

La grippe millésime 2019-2020 a occasionné, d’après le Bilan de la surveillance publié par Santé publique France, le 13 octobre dernier, 60 000 passages aux urgences, 6 000 hospitalisations, 860 admissions en réanimation et 3 700 décès. Des données bien inférieures aux années précédentes. Santé publique France rappelle ainsi que le nombre d’admissions en réanimation était, par exemple, de 1 590 en 2018-2019, et de 2 770 en 2017-2018. Depuis 2011-2012, le nombre moyen de décès attribuables chaque année à la grippe est, quant à lui, d’environ 9 000.
Source : www.santepubliquefrance.fr

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Adrien Renaud

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