Depuis quelques semaines, les 12 médecins du groupement Ipso santé proposent à leurs patients de signer un “contrat médecin traitant” : en échange d’un suivi renforcé et d’une disponibilité accrue pour les soins non programmés, les patients s’engagent à ne consulter que dans leur structure. Une expérimentation article 51 qui innove également par son financement, puisque le paiement à l’acte est remplacé par un forfait global de prise en charge.

 

Un médecin accessible 70 heures par semaine, joignable par téléphone, et qui connait bien ses patients. La nouvelle génération de médecins en exercice dans les deux cabinets parisiens (Saint-Martin et Nation) du GIE* Ipso santé n’a rien à envier au médecin de famille des années 1970. Car la prise en charge des patients ne repose plus sur l’engagement sans limite d’une seule personne mais sur une équipe multiprofessionnelle composée de généralistes, d’infirmiers, de sages-femmes, d’assistantes médicales mais aussi d’ingénieurs, de développeurs et de consultants. Fondé en 2012, Ipso santé s’est fixé pour objectif de repenser l’organisation des soins pour en améliorer l’accessibilité et la qualité et recentrer le médecin sur son cœur de métier, en le déchargeant des tâches non médicales. “On est dans une recherche de progrès continue, développe le Dr Marie Benque, médecin généraliste associée. On teste beaucoup de choses et on abandonne ce qui ne marche pas.”

 

Engagement moral

Dernière innovation en date : le “contrat médecin traitant”, proposé depuis juin aux patients. En échange d’un suivi médical renforcé du médecin traitant et d’une disponibilité accrue des professionnels de santé de l’équipe, le patient s’engage à consulter dans la structure, hors situation d’urgence ou éloignement du domicile. Pour le Dr Marie Benque, l’un ne va pas sans l’autre et la liberté de choix du patient est préservée : “C’est un engagement moral de la part du patient, en fait rien ne l’oblige à consulter dans la structure, reconnaît la praticienne. Mais cela fait sens pour eux car le but est de mieux les suivre.”

 

 

Le suivi repose sur un bilan préventif réalisé par le médecin traitant pour identifier tous les facteurs de risques médico-psycho-sociaux du patient (dénutrition chez la personne âgée, par exemple). Réévalué chaque année, ce bilan permet de tracer un “plan de santé” partagé entre les différents professionnels et de proposer aux patients des ateliers de prévention et d’éducation à la santé (diversification du nourrisson, contraception, vaccination, nutrition, prévention des chutes…), des actions de dépistage ainsi qu’un suivi par des médecins spécialistes de second recours, des paramédicaux ou encore des établissements (groupement hospitalier, centre d’imagerie…) partenaires. “Si le patient est globalement en meilleure santé, il risque moins de décompenser brutalement.” Eduqués à la santé, “il sera aussi plus à même de faire la part de ce qui vaut une consultation ou pas”, souligne Marie Benque. Les patients seront également aidés dans l’organisation de leur parcours de soins ou l’ouverture de leurs droits par le service administratif.

Autre gros avantage : bénéficier de soins non programmés aux horaires d’ouverture du cabinet (70 heures par semaine, hors jours fériés). “Le médecin traitant garde des plages dans son agenda pour gérer les urgences. Il ne sera pas là tout le temps, évidemment, poursuit la généraliste. La continuité des soins pourra être assurée par les autres médecins, qui ont tous accès au dossier médical partagé, précise Marie Benque. Une ligne téléphonique dédiée a été mise en place, avec un premier tri à l’accueil.” A charge ensuite pour le médecin de définir ce qui vaut une consultation en présentielle, une téléconsultation ou un simple conseil téléphonique. Là encore l’intérêt est évident : éviter un recours inutile aux urgences hospitalières. “Investir sur le premier recours permet de réaliser des économies sur ce qui coûte beaucoup plus cher : le second recours et l’hôpital”, résume Marie Benque.

 

Sélection des patients?

C’est pourquoi le ministère de la Santé et l’Assurance maladie ont accepté de financer l’expérimentation dans le cadre de l’article 51 de la LFSS 2018. D’une durée de 5 ans, elle porte non seulement sur les modalités de prise en charge, mais également sur les modalités de financement. Dans le cadre du contrat médecin traitant en effet, les médecins généralistes libéraux de la structure ne seront plus payés à l’acte, mais rémunérés par un forfait mensuel moyen versé par l’Assurance maladie, basé sur leur activité passée (moyenne des actes, Rosp, forfaits médecin traitant et structure). Le recueil de données sur la première année permettra ensuite de calculer des forfaits par catégories de patients.

Pour ne pas dépasser l’enveloppe allouée, les médecins seront-ils tentés de sélectionner les patients ? C’est tout le contraire, nous répond Marie Benque. “Un patient multicompliqué, c’est très chronophage et ce n’est actuellement pas bien valorisé”, souligne la praticienne. Au forfait individuel pour chaque médecin, s’ajoute donc une enveloppe annuelle complémentaire versée à la structure afin de financer tout ce que le paiement à l’acte ne permet pas ou ce que l’Assurance maladie ne prend pas en charge : la coordination autour de la prise en charge des cas complexes et l’organisation de parcours (souffrance psychologique et vulnérabilité sociale pour l’instant), le recours à un interprète, à une assistante sociale, la consultation d’une diététicienne, d’un ergothérapeute, d’une psychologue…

 

Un “élément moteur d’installation des jeunes médecins”

Sur les 8500 patients médecins traitants qui ..composent la file active des cabinets Ipso santé, 525 (de tous âges et pathologies) avaient d’ores et déjà signé le contrat fin août. “On se demandait comment ils allaient accueillir l’expérimentation. Au pire, ils sont neutres, au mieux ils sont enthousiastes. Moins de 5% des patients ont dit non”, se réjouit Marie Benque. L’objectif est d’arriver à 10 000 patients inclus d’ici la fin de l’année 2021, quand les deux autres cabinets parisiens d’Ipso santé auront ouvert (Ourcq et Porte d’Italie). L’exposition du projet aux patients est certes chronophage –”ça me prend 5 heures par mois, on veut vraiment que les gens comprennent”, reconnait la généraliste- mais les professionnels de santé ont tout à y gagner, juge-t-elle. Le rôle du médecin traitant est réaffirmé et la relation avec le patient renforcée : “depuis qu’on s’intéresse aux critères de vulnérabilité sociale, on s’est mis à poser des questions qu’on ne posait pas, même aux patients que l’on connaissait bien”, souligne la jeune praticienne. “La relation médecin-patient a évolué, ajoute-t-elle. Elle est moins paternaliste, plus ‘horizontale’ : on est dans une attitude d’écoute, bienveillante.” De quoi redonner du sens à la pratique quotidienne. “ça nous permet d’être fier de ce que l’on fait. C’est un élément moteur d’installation pour les jeunes médecins.”

 

* Groupement d’intérêt économique. Les cabinets Ipso santé sont reconnus comme des maisons de santé pluriprofessionnelles par l’ARS.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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