L’épidémie de Covid-19 a profondément et durablement modifié la consommation de médicaments sur ordonnance en France. En témoignent les résultats de l’étude pharmaco-épidémiologique menée par le groupement EPI-Phare : les données de remboursement révèlent une baisse inquiétante de l’instauration de traitement contre les maladies cardiovasculaires et le diabète, un “effondrement” de la vaccination pédiatrique ainsi qu’une hausse des troubles psychiques durant la période de confinement, mais aussi dans la semaine qui a suivi. Zoom sur les faits les plus marquants.

 

Basée sur les données de remboursement du SNDS*, cette étude a passé au crible 725 millions d’ordonnances, soit 1.9 milliard de lignes de prescription, concernant 51.6 millions de personnes affiliées au régime général. Elle compare pour 57 classes thérapeutiques, liées ou non au Covid-19, le nombre de personnes ayant bénéficié d’une délivrance de médicaments remboursés en ville chaque semaine depuis le début du mois de mars jusqu’au 17 mai (soit une semaine après la fin du confinement) au nombre “attendu”, estimé sur la base de la consommation des deux années précédentes à la même période.

“Les résultats après huit semaines de confinement et une semaine post-confinement montrent que durant cette période, la consommation de médicaments de ville en France a été profondément modifiée”, souligne la Cnam, qui est à l’origine, avec l’ANSM, du groupement d’intérêt scientifique EPI-Phare. A tel point que le groupement a décidé de poursuivre sa surveillance jusqu’à ce que la consommation de médicaments revienne à la normale.

 

  1. Une baisse inquiétante des initiations de traitements du diabète et des maladies cardiovasculaires

Les deux premières semaines de confinement ont été marquées par une très forte croissance des délivrances de médicaments pour les pathologies cardiovasculaires, du diabète et les antithrombotiques, relèvent les auteurs, avec une hausse allant jusqu’à 42% pour l’insuline. Un “stockage” logiquement suivi les semaines suivantes par une sous-consommation, puis par un lent retour à la normale. La première semaine du post-confinement restait toutefois inférieure à l’attendu, à l’exception des antihypertenseurs IEC et sartans (+1.5 et +3%), pour lesquels la publication d’études rassurantes a sans doute dissipé les craintes un temps soulevées d’une surmortalité liée au Covid.

Cet effet stockage s’est également retrouvé dans les produits à base de lévothyroxine (hausse des délivrances équivalente à 140 000 patients traités).

Toutefois, le stockage de traitements du diabète et des maladies cardiovasculaires “n’a représenté globalement que moins d’une semaine de délivrance de médicaments”, remarquent les scientifiques, soulignant les “difficultés majeures” rencontrées par ces patients pour accéder au système de soins, les “peurs légitimes d’une contamination”, ainsi que la “crainte de déranger les professionnels de santé en lutte” contre le virus. Ce qui explique également la perte d’activité de 40% observée en médecine générale.

 

 

Une “exception notable” concerne les anticoagulants, avec un solde négatif de patients traités durant le confinement de près de 120.000 par rapport à l’attendu, lié à l’arrêt quasi-total de la chirurgie programmée et à la baisse de la chirurgie consécutive à l’accidentologie routière.

 

 

Plus inquiétant, le nombre de patients ayant initié un traitement des maladies cardiovasculaires ou du diabète “a baissé de façon importante” : -39% pour les antihypertenseurs, -48.5% pour le diabète, et -49% pour les statines. Soit, respectivement, 105.000, 37.500 et 70.000 personnes non traitées. “Cette baisse des instaurations reflète le profond bouleversement du système de soins presque tout entier consacré dans sa réorganisation aux moyens humains alloués à la lutte contre la Covid-19.”

 

  1. Un “effondrement” des vaccins

Malgré les consignes de maintien des rendez-vous de suivi pédiatrique, dès le début du confinement les auteurs constatent “un effondrement des délivrances de médicaments dont l’administration ou le suivi nécessite impérativement le recours physique à un professionnel de santé”. Non seulement les délivrances de vaccins ont diminué durant les trois premières semaines de confinement, mais elles ne sont pas remontées par la suite, engendrant un possible retard dans le calendrier vaccinal : pour la semaine du 4 mai, la baisse atteignait 5.6% pour les vaccins penta/hexavalents des nourrissons (44.000 nourrissons de 3 à 18 mois non vaccinés sur toute la période étudiée), 43% pour les vaccins anti-HPV, 16% pour le ROR et 48% pour les vaccins antitétaniques. Aucun “début de rattrapage” n’a été observé lors de la première semaine du déconfinement.

De même, les délivrances de traitements ophtalmologiques de la DMLA (-22%), d’inducteurs d’ovulation (-61%) ou de DIU avec progestatifs (-23.000 femmes) étaient encore en berne début mai.

Même baisse drastique de délivrance de produits à visée diagnostique : préparations pour coloscopie (-180.000 patients), produits iodés pour scanner (-375.000) et produits de contraste pour IRM (-200.000).

“Ces diminutions témoignent de déficits de prise en charge dont le rattrapage demandera probablement plusieurs mois, voire années pour certains types de produits et d’actes”, s’inquiètent les chercheurs.

 

 

  1. Une chute “spectaculaire et constante” de l’antibiothérapie

Durant les huit semaines de confinement, la consommation d’antibiotiques polyvalents a chuté de 30 à 40% par rapport à un printemps classique. Une baisse “particulièrement marquée” chez les enfants (-75% la semaine du 13 avril), sans doute liée à la fermeture des crèches et écoles et au ralentissement de la transmission des agents infectieux habituels. Au total, près de 2 millions de personnes ont évité un traitement antibiotique : “une baisse d’une telle amplitude brutale n’avait jamais été observée en France”, relèvent les membres d’EPI-Phare.

Ces derniers s’inquiètent néanmoins de la chute des antituberculeux, sans “explication notable”.

La corticothérapie orale (-1.8 million de patients) et les inhibiteurs de la pompe à protons (-1.2 million) font également partie des classes thérapeutiques les plus impactées par le confinement.

 

  1. Une forte demande ponctuelle d’hypnotiques

C’est la classe thérapeutique qui a le plus augmenté par rapport à l’attendu, au sortir du confinement. Les prescriptions d’hypnotiques étaient supérieures de 5 à 8% par rapport à la normale au cours des trois dernières semaines de confinement et de 7% la semaine du 11 mai, révélant des troubles du sommeil, une anxiété et des symptômes dépressifs modérés à sévères en lien avec le Covid ou le confinement.

 

 

Cette hausse est moindre pour les anxiolytiques (+1.2%) sur la période. Les antidépresseurs, au contraire, sont marqués par une importante baisse des instaurations thérapeutiques (-43%), équivalente à 120.000 nouveaux patients traités en moins.

 

 

  1. Les tops et les flops des traitements du Covid-19

Avec 1 million de patients traités le 16 mars, contre 600.000 habituellement, le paracétamol a connu une très faute hausse des délivrances et ce, dès fin février. La consommation s’est normalisée fin mars et était même inférieure à la normale de 15% début mai.

En revanche, l’ibuprofène était en “chute libre” dès le 17 mars, atteignant -80% de délivrances en plein confinement, en lien avec la mise en garde des autorités sanitaires sur le risque potentiel d’aggravation du Covid-19.

Quant aux délivrances de chloroquine, et surtout d’hydroxychloroquine, elles ont augmenté ponctuellement, au gré des médiatisations. Pour l’hydroxychloroquine, le pic a été atteint le 18 mars avec 5.000 patients traités, mais pour les auteurs il faut y voir l’effet de la “peur de manquer” des patients atteints de lupus ou de polyarthrite rhumatoïde. Les chercheurs estiment toutefois à 41.000 le nombre de personnes supplémentaires ayant reçu ce traitement durant le confinement par rapport à la normale. Une population relativement jeune (61% de moins de 60 ans) et globalement plus favorisée socialement (30% d’entre eux résidaient dans les 20% de communes les plus favorisées), notent les auteurs. En tête des départements les plus prescripteurs, se trouvent Paris (71 pour 100.000), les Bouches-du-Rhône (61 par 100 000) et le Var (46 pour 100 000).

La délivrance de chloroquine et d’hydroxychloroquine était en revanche inférieure de 25% à 2018 et 2019 lors de la première semaine post confinement, ces traitements n’ayant plus “la faveur des prescripteurs” suite à la publication de plusieurs études, dont celle du Lancet, relève EPI-Phare. Reste à savoir si la tendance s’est depuis inversée.

Quant à l’azithromycine, sa délivrance a augmenté de 70% fin mars et concernaient environ 100.000 personnes supplémentaires. L’association azithromycine-hydroxychloroquine, jusque là “exceptionnelle”, a quant à elle explosé de 7.000% à la même période, soit un surplus de 10.000 patients.

 

* Système national des données de santé

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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