Le Pr Bruno Lina, virologue au CHU de Lyon et membre du Conseil scientifique Covid-19, fait le point sur l’évolution des connaissances concernant l’infection à Sars-CoV-2. Si les connaissances progressent, il reste en effet beaucoup d’incertitudes. La route est encore longue, que ce soit pour disposer de marqueurs d’évolution clinique défavorable ou encore pour la mise à disposition d’un vaccin. Si, selon ce spécialiste, le premier pic épidémique semble franchi, il existe une vraie crainte de devoir faire face à une deuxième vague.

 

Egora : A-t-on actuellement identifié plusieurs sérotypes de ce coronavirus ?

Pr Bruno Lina : Nous ne connaissons à l’heure actuelle qu’un seul sérotype. En revanche, nous avons identifié un certain nombre de génogroupes, utilisés dans un but de classification phylogénétique. Cela grâce à des marqueurs permettant de repérer de petites modifications génétiques. Mais tous ces virus sont identiques en termes de pouvoir pathogène.

 

Que sait-on de la protection conférée par l’infection ?

La réponse est compliquée. De fait, à ce stade, nous avons des hypothèses mais pas vraiment de certitudes. Ce que l’on voit c’est que les personnes exposées au virus développent des anticorps. Celles qui présentent des formes peu symptomatiques, ou parfois asymptomatiques, développent plus tardivement des anticorps, détectés parfois seulement vers le 30ème jour. Tandis que chez les personnes hospitalisées, ils apparaissent dès le 6ème – 7ème jour. En revanche, on ignore si ces anticorps sont tous protecteurs, ainsi que la durée de l’immunité. Il est important de souligner l’absence de vraies réinfections.

 

Et de l’excrétion virale ?

Là encore, nous ne savons pas tout et beaucoup d’investigations restent à mener. En revanche, on a mis en évidence que l’excrétion virale peut être parfois assez prolongée ; tout particulièrement dans le cas des infections ayant été symptomatiques et les formes graves.

 

 

Le virus est bien sûr présent dans les voies aériennes, puisque c’est la voie de contamination principale, directe ou indirecte, avec souvent une positivité à ce niveau  trois semaines après le début des symptômes, voire un peu plus, mais alors avec des quantités de virus souvent très faibles. On estime que le virus est alors toujours présent, mais sans être responsable de symptômes – les patients sont donc guéris – et qu’il n’est pas transmissible car en quantité trop faible.

D’autre part, contrairement à ce qui a pu être dit, il n’y a pas de virus dans les urines des patients infectés. En revanche, il y en a dans les selles, la quantité n’étant pas corrélée à la sévérité de la maladie. S‘il demeure une incertitude quant à la durée d’excrétion, aucune transmission n’a été encore documenté à ce sujet. Le Covid-19 ne ressemble donc pas à une maladie à transmission oro-fécale. Enfin, il peut y avoir aussi du virus dans le sang, mais c’est alors corrélé à la sévérité de la maladie, et les personnes peu symptomatiques n’en ont généralement pas.

 

En dehors de l’âge et des comorbidités, dispose-t-on de marqueurs cliniques ou biologiques qui permettraient de prédire – et donc d’anticiper – cette évolution défavorable chez un patient ?

Pas encore. Cela fait partie des travaux de recherche en cours. Effectivement, la maladie évolue le plus souvent en deux phases, mais néanmoins pas toujours. Il existe très souvent au début de la maladie une atteinte des voies aériennes supérieures, avec fièvre, toux, maux de tête, fatigue et douleurs musculaires. Des symptômes résolutifs en 6 à 7 jours.

 

 

Très fréquemment,  on observe au 7ème jour une sensation d’atteinte des voies aériennes inférieures, avec parfois un sentiment de constriction, dans un tableau ressemblant à celui de l’angine de poitrine, mais en dehors de tout signe à l’électrocardiogramme. Cela dure parfois un seul jour et le patient guéri. C’est ce que l’on voit dans 90% des cas. Mais, au moment de cette bascule, un petit nombre, environ 10%, persistent dans ces manifestations avec, en outre, la survenue d’un essoufflement et d’une désaturation ; notamment en cas de facteurs de risque, comme le diabète, l’obésité morbide, une hypertension artérielle mal contrôlée… ce sont ces patients qui ont besoin d’oxygène ou sont admis en soins intensifs. Cela peut être très grave, conduisant à la réanimation. Certains guérissent très vite, en deux à trois jours, alors que d’autres demeurent avec une atteinte pulmonaire sévère durant 2 à 3 semaines voire plus. Cela correspond à « l’orage cytokinique » responsable de ces lésions pulmonaires. Quand cela survient chez une personne qui en plus ne contrôle pas la réplication virale, par exemple en cas de dépression immunitaire ou d’un grand âge, il existe un risque majeur de décès.

Des anti-IL1 et anti-IL6, sont en cours d’évaluation dans de tels cas, mais nous ne disposons pas encore de résultats consolidés.

 

Certains médecins généralistes rapportent le constat de patients « guéris » après un premier épisode « bénin » et qui rechutent de façon plus (voire très) sévère, au-delà de la 2ème semaine. Ces situations sont-elles documentées ? Peut-il s’agir d’une résurgence du virus de la primo-infection, ou d’une recontamination par une deuxième souche à plus haut pouvoir pathogène, ou encore par la même souche, la primo-infection étant alors un catalyseur vers une réaction immunologique délétère ?

Comme je l’ai déjà indiqué, l’évolution est typiquement biphasique, avec parfois un sentiment de guérison temporaire. Il faut être très vigilant à ce qui se passe à J7 – J 8 du début de la maladie. Dans tous les cas, il ne s’agit pas d’une réinfection, mais d’une aggravation du même épisode infectieux,  de la même séquence de maladie.

 

Selon vous où en est-on de l’évolution de l’épidémie ? Se rapproche-t-on du pic ?

Le premier pic est très probablement franchi. Il est clair que le nombre de cas diminue. En revanche, il existe une inertie au regard du nombre de patients en réanimation. L’occupation des services de réanimation va baisser progressivement au cours des semaines à venir. Mais nous n’avons pas encore gagné la partie. Cela étant, il existe une vraie crainte de devoir faire face à une deuxième vague en cas de relâchement trop précoce des efforts.

 

Où en est-on des tests sérologiques ? 

Les tests sont en cours de validation. Cela ne devrait plus tarder. L’objectif est de pouvoir tester la sérologie d’un grand nombre de personnes, afin de pouvoir suivre au plus près le degré d’immunisation de la population contre le coronavirus. Certains de ces tests sont fabriqués en France et d’autres à l’étranger.

 

 

Quelle est la situation en ce qui concerne le développement de vaccins ? Quel est le délai prévisible avant une production en masse ?

Beaucoup de recherches sont en cours et beaucoup sont potentiellement intéressantes avec des stratégies très différentes. Vont être testés des vaccins inactivés, produits par génie génétique, recombinants, à ADN ou à ARN. Le choix des possibles est donc très large. Pour autant, les vaccins devront satisfaire à un cahier des charges fourni. Il va d’abord falloir déterminer quelle est la réponse immunitaire protectrice ; or aujourd’hui on ne la connait pas.

Ensuite, il faut que les vaccins induisent cette réponse immunitaire protectrice et donc entraînent l’apparition des anticorps protecteurs et non pas celle d’anticorps pouvant éventuellement faciliter l’infection. Enfin, il faut que ces vaccins bénéficient d’une bonne tolérance. On peut ajouter qu’il faudra aussi les fabriquer en masse, pour environ 7 milliards de personnes, et les administrer.

Imaginer que l’on puisse résoudre toutes ces questions en seulement quelques mois semble irréaliste. Selon moi, il faudra au moins un an à 18 mois pour disposer de quelque chose de suffisamment robuste, puis ensuite organiser la montée en puissance de la vaccination à l’échelle mondiale. Au total, il me semble très difficile que l’ensemble de ce processus prenne moins de 3 ans.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Didier Rodde
Déclaration Publique d’Intérêts de l’auteur

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