Souvent confrontés aux suicides de leurs patients, les psychiatres peuvent eux aussi avoir besoin de soutien, notamment en début de carrière. Une enquête nationale montre cependant que ce sujet est très mal appréhendé en psychiatrie. Ce sujet a été abordé lors du congrès de l’Encéphale qui a eu lieu à Paris du 22 au 24 janvier 2020.

 

Une enquête nationale en ligne menée de septembre à décembre 2019 auprès de 800 psychiatres, vient de confirmer l’impact très important du suicide des patient sur ces médecins. Cet événement malheureusement fréquent, avec 87,3 % de psychiatres confrontés dont 66,8 % à plusieurs suicides, détermine en effet au vu de l’échelle Impact of Event Scale (IES) des réactions traumatiques (score IES > 24) chez environ un quart des psychiatres (23,4 %), et chez 13,6 %, un état (IES > 34), compatible avec la présence d’un trouble de stress post-traumatique (PTSD) pouvant nécessiter prise de traitements et arrêts de travail, a expliqué le Dr Édouard Leaune (Centre hospitalier Le Vinatier, Lyon). L’impact émotionnel est aussi notable, notamment chez les psychiatres femmes et en l’absence de préparation préalable à l’éventualité d’un suicide de patient, avec des sentiments de culpabilité, tristesse, choc.

 

Changer de métier

Par ailleurs, 19,8 % des psychiatres admettent avoir envisagé de changer de métier et 3,7 % reconnaissent avoir eu des idées suicidaires. Et, si cet événement a débouché chez 52,4 % d’entre eux sur un intérêt accru pour prévenir le suicide, il a conduit 25,5 % d’entre eux à hospitaliser davantage les malades et, pour 21,9 %, à craindre davantage les permissions de sortie. Ce qui n’est pas totalement incongru car l’enquête a aussi révélé que le suicide avait eu lieu dans 50,8 % des cas au domicile du patient pendant la phase d’hospitalisation (permission) et dans seulement 18,7 % des cas, dans le service hospitalier.

Les facteurs protecteurs de PTSD étaient associés à la préparation et à l’expérience du psychiatre, tandis que les facteurs de risque étaient liés au fait d’avoir vu le patient le jour même, d’avoir été convoqué pour une enquête de police, ou d’avoir contacté la famille après le suicide (67,3 % des psychiatres), « ce qui montre qu’il faut mieux accompagner les psychiatres pour réaliser ce geste essentiel », a considéré le Dr Leaune. Le fait d’avoir vu le cadavre (13,6 %) ou le mode de suicide (pendaison dans 39,0 % des cas, précipitation dans 21,3 %) ne semblaient en revanche pas avoir d’influence. « Les caractéristiques des patients correspondaient aux données épidémiologiques habituelles », a indiqué le Dr Leaune, les suicidants étant le plus souvent des hommes (55,5 %) de 35 à 65 ans, avec des antécédents de tentative de suicide (48,8 %) et de trouble de l’humeur (52,8 %), hospitalisés en psychiatrie de secteur (50,4 %).

 

Améliorer la formation

Des études américaines ont suggéré que des séances de préparation puis d’intervention avec des professionnels ayant connu cette situation pourraient être bénéfiques, a ajouté le Dr Raphaël Allali (Hôpital Avicenne, Bobigny). Pourtant, dans l’enquête française, 37,1 % des psychiatres ont déclaré n’avoir reçu aucun soutien. « L’effort de formation, de soutien devra être particulièrement renforcé auprès des jeunes médecins, 90,5 % des psychiatres ayant été confrontés durant leurs 10 premières années de carrière à un suicide dont 47,1 % pendant leur internat », a signalé le Dr Leaune. « C’est aussi en début de carrière qu’un suicide de patient est le plus impactant ».

Le Dr Jean-Yves Rotgé (Hôpital de la Pitié-Salpétrière, Paris) a conseillé « de soutenir le psychiatre confronté à cet événement, éventuellement en l’aidant pour les démarches administratives, et en prenant en charge transitoirement ses patients les plus à risque suicidaire, de favoriser l’accès à un soutien institutionnel (médecine du travail, psychothérapie), et d’organiser secondairement un temps de débriefing dans le service ». Par ailleurs, « il faudra gérer l’annonce auprès des autres patients pour éviter une contagion suicidaire ».

 

L’impact d’un suicide de patient est encore plus important chez les paramédicaux

Le Dr Leaune a développé au centre hospitalier du Vinatier, avec d’autres psychiatres, un programme de support personnalisé, qui associe soutien par les pairs, debriefing par une équipe extérieure, assistance par téléphone, mail ou rendez-vous individuel, éventuellement formations de prévention au suicide…. Quoi qu’il en soit, les autres soignants ne devront pas être oubliés. Si cette étude s’intéressait aux seuls psychiatres, les données de la littérature montrent en effet que « l’impact d’un suicide de patient est encore plus important chez les paramédicaux, infirmiers, et autres professionnels intervenant en psychiatre », a signalé le Dr Leaune.

 

[Congrès de l’Encéphale qui a eu lieu à Paris du 22 au 24 janvier 2020. D’après les communications de R. Allali (Bobigny), E. Leaune (Lyon), J.-Y. Rotgé (Paris).]

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Corinne Tutin

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