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“J’étais mieux payé quand je travaillais chez McDo” : en mal de reconnaissance, les internes se rebellent

Petite paye, grosses responsabilités. Tout à la fois étudiants et salariés, les internes cumulent les inconvénients. Subissant les dysfonctionnements de l’hôpital public ainsi que les conséquences d’une réforme du 3e cycle “bâclée”, ils sont entrés en grève illimitée ce mardi 10 décembre. A Marseille, plus de la moitié des carabins sont mobilisés.

 

De mémoire d’interne, on n’avait pas assisté à pareille mobilisation depuis la grève illimitée de novembre 2001 pour le respect du repos de garde. Ironie de l’histoire, 18 ans plus tard, la situation ne s’est guère améliorée : d’après la dernière enquête de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni), 30% des internes déclarent ne pas pouvoir bénéficier systématiquement du repos de sécurité un lendemain de garde. Résultat : le temps de travail hebdomadaire explose le plafond légal de 48 heures, s’établissant en moyenne à 55 heures, et approchant (voire dépassant) les 70 heures dans certaines spécialités comme la chirurgie orthopédique et la gynécologie-obstétrique.

C’est l’une des raisons pour lesquelles les quelques 27 000 internes de France sont appelés à la grève illimitée à compter de ce mardi 10 décembre. L’Isni estime à 60% la proportion de grévistes. A Marseille, ce mouvement semble d’ores et déjà très suivi : près de 700 internes ont défilé ce matin, de la Timone à l’ARS, où une délégation a été entendue. “On a reçu 850 déclarations de grève d’internes en médecine, comptabilise le président du syndicat local (SAIHM), Antoine Tichadou. Ça représente plus de la moitié des internes de la subdivision de Marseille. L’ensemble des internes de cardiologie sont en grève le 10 et le 17, jour de la manifestation à Paris, tout comme les internes d’ORL et les internes des urgences pédiatriques et adultes.” Le mouvement pourrait prendre de l’ampleur dans les jours suivants, les internes pouvant se déclarer gréviste à tout moment.

 

 

Le syndicat, très actif, a sorti les grands moyens : des bus ont été affrétés pour permettre aux internes des villes périphériques de venir manifester à Marseille, les trajets pour la manifestation parisienne seront défrayés et, surtout, les pertes salariales des journées du 10 et du 17 seront indemnisées. “Une journée de travail, ça représente 60 euros brut. Une garde de nuit 120, compte Antoine Tichadou. Chaque année, on a mis de l’argent de côté pour ça.” De son côté, l’Isni a lancé une cagnotte. De quoi permettre aux internes, notamment ceux qui ont une famille à charge, de se joindre au mouvement sans y laisser trop de plumes.

 

“Ils m’ont convoqué et m’ont dit texto : ‘on va te faire chier'”

Reste que la démarche n’est pas facile pour les jeunes médecins. “Difficile de quitter le service, de laisser les patients et les chefs”, souligne le président du SAIHM. Sans compter les pressions -plus ou moins subtiles et bienveillantes- subies sur le terrain par les carabins, malgré le soutien officiel des syndicats de praticiens et du Collectif Inter-Hôpitaux. En témoigne Sylvain*, interne de médecine générale à Toulon, qui a décidé de faire grève pour la “première fois” de sa vie, du 10 au 17, tous les jours. “Une grève dure, tient-il à préciser : ni service la journée, ni garde la nuit. On est la seule profession qui habituellement va travailler avec un brassard en grève, et personne nous prend au sérieux“, justifie-t-il. L’avantage d’être mal payé, ironise-t-il, c’est qu’il ne perdra au total que 300 euros sur les 1400 euros de sa rémunération nette mensuelle. “Sans compter la garde.”

Seul interne de son service à faire aussi la grève des gardes, Sylvain s’est aussitôt vu reprocher son “manque de solidarité” : “une co-interne s’est portée volontaire pour reprendre ma garde de la semaine, se désole-t-il. Ce n’est pas le but, je ne fais pas grève pour être remplacé par une interne.” La “pression affective” n’ayant eu aucun effet sur le jeune homme, ses chefs sont vite passés aux “menaces”. “J’ai été convoqué ce matin, sous prétexte de revoir un dossier patient. Ils m’ont dit texto : ‘on va te faire chier, on va te faire venir le samedi matin, te faire travailler 10 heures par jour avec un quart d’heure de pause déjeuner, on refusera tes vacances’, etc.”, raconte-t-il.

Malgré tout, le carabin tient bon. “C’est la loi, on a des devoirs mais aussi des droits. Je ne suis pas un tire au flan. Quand je travaille, je suis à fonds. Mais quand je suis en repos, hors de question de revenir travailler“, insiste-t-il. Une position plus facile à assumer pour ce futur généraliste, qui se destine à l’exercice libéral, que pour un interne briguant un poste hospitalier, a-t-il conscience.

 

 

Cet autre interne marseillais**, en cardiologie, s’est résolu à ne faire grève que le 10 et le 17. “Dans ma spécialité, il y a des gardes d’internes tous les jours. On ne pouvait pas mobiliser que des PH, ça aurait nui au fonctionnement du service“, témoigne-t-il. Une situation qu’il déplore : “Ce ne devrait pas à être à nous d’assurer la permanence des soins. On subit les dysfonctionnements de l’hôpital.”

D’autres internes, grévistes, ont eu la malchance d’être assignés, parfois illégalement. “Aux urgences, pour assigner un interne, il faut avoir d’abord avoir sollicité tous les praticiens de l’établissement“, insiste Antoine Tichadou, le président du syndicat marseillais, qui se fait fort de rappeler la loi, par courrier d’avocat, à tous les hôpitaux qui adressent aux carabins des assignations abusives.

En effet, les internes, “médecins en formation”, ne peuvent être considérés comme indispensables au fonctionnement du service. C’est tout le paradoxe de leur statut : à la fois étudiant et salarié, les internes cumulent les inconvénients, sans bénéficier des avantages. “Les services devraient tourner sans nous, mais pourtant on se retrouve de garde, la nuit, seuls à accueillir des patients en urgence, à piquer des bios parce qu’il n’y a pas d’infirmière, pendant que les chefs (pas tous, mais certains) dorment, déplore Sylvain, l’interne de médecine générale. Et à côté, on fait le travail d’une secrétaire, à taper des comptes-rendus opératoires de patients qu’on n’a même pas vu.” Le tout payé “moins que le smic horaire”, si l’on ramène la rémunération mensuelle au temps de travail. “J’étais mieux payé quand je travaillais à MacDo”, lâche-t-il.

 

Trois internes poursuivis au pénal pour des erreurs de prescription

A Marseille, un ancien interne de 29 ans comparaissait il y a quelques jours devant le tribunal correctionnel pour une erreur de prescription commise en 2017 sur un enfant de 20 mois : le garçon, souffrant d’une tumeur au cerveau, a reçu une dose de Dépakine 20 fois trop forte, suite à une mauvaise conversion. Six mois de prison avec sursis ont été requis contre lui. D’après le SAIHM, deux autres internes seraient poursuivis au pénal pour des faits similaires. Une situation qui révèle l’ampleur des responsabilités confiées à ces étudiants. “On nous rabâche qu’on prescrit sous la responsabilité des chefs… c’est vrai au civil, mais pas au pénal“, constate Antoine Tichadou.

 

 

Alignement du salaire sur la grille des fonctionnaires hospitaliers de catégorie A, paiement des heures supplémentaires, revalorisation de l’indemnité de garde (gelée depuis 10 ans), des aides au logement… Outre des revendications communes à l’ensemble des personnels hospitaliers (reprise de la dette, revalorisation de l’Ondam), les internes réclament une amélioration de leurs conditions d’exercice et de formation.

Ils protestent notamment contre plusieurs dispositions issues de la réforme du 3e cycle, qui précarisent davantage leur statut, l’instauration, à partir de novembre 2020, d’une procédure de “big matching”, qui limitera grandement les choix de stage en fin d’internat, la mise en place d’un statut de “docteur junior” avec autonomie renforcée mais dont la rémunération reste incertaine, ainsi que le durcissement des conditions d’obtention de la licence de remplacement, octroyée actuellement dès la deuxième année pour les internes de MG et en milieu d’internat pour les autres spécialités. Bientôt, seuls les internes de phase III pourront remplacer ; les internes généralistes, eux, ne pourraient plus remplacer avant d’avoir effectué leur stage ambulatoire en autonomie, soit en toute fin d’internat. “On a besoin de remplacer pour s’aguerrir, pour arrondir les fins de mois”, plaide Sylvain.

 

“Le Gouvernement n’a pas envie qu’on remplace parce que ça fait moins de main d’œuvre dans les hôpitaux”

Alors que les déserts médicaux s’étendent, la mesure interpelle. “On pense que le Gouvernement n’a pas envie qu’on remplace parce que ça fait moins de main d’œuvre dans les hôpitaux“, commente son camarade de cardio. L’interne marseillais déplore par ailleurs le vote, sans compensation, d’un amendement à la loi de santé interdisant aux labos d’offrir des avantages aux étudiants en santé. “ça nous permettait par exemple d’aller en congrès pour se former à des techniques médico-chirugicales, souligne-t-il. Une formation que l’hôpital ne peut pas assurer.”

Et de conclure : “C’est rare que les internes se mobilisent. Quand on se mobilise, c’est qu’il y a un vrai problème. On espère qu’on sera entendus.”

 

* Le prénom a été modifié.
** Il souhaite rester anonyme.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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