Comment la fistule anale de Louis XIV a révolutionné la chirurgie ? Comment une jeune fermière a permis de comprendre la variole ? Comment la gaffe de l’assistant de Pasteur lui a permis d’inventer la vaccination ? Dans son Incroyable histoire de la médecine, le Pr Jean-Noël Fabiani* raconte en bande-dessinée de nombreuses anecdotes plus étonnantes les unes que les autres sans manquer de rigueur scientifique.

 

Egpra.fr : Comment est né ce livre ?

Pr Jean-Noël Fabiani : Je suis enseignant de l’histoire de la médecine à la faculté Paris Descartes. J’ai déjà publié des livres sur l’histoire de la médecine. Et, avec le projet d’écrire une histoire de la médecine, mon éditeur Laurent Muller s’est demandé si ce serait lu, et si ce ne serait pas mieux de le faire sous forme de bande-dessinée. Evidemment, je ne suis pas du tout spécialiste de bande-dessinée. C’est un genre que je ne connais pas. J’ai demandé un peu de temps de réflexion, et finalement je me suis dit que c’était un bon moyen. Puisque mon but est de vulgariser et de faire connaître l’histoire de la médecine au plus grand nombre, je me suis dit que peut-être que la bande-dessinée était le meilleur moyen pour arriver à ces fins.

 

 

Quelle est l’anecdote qui vous plaît le plus ?

Il y en a beaucoup bien sûr. L’histoire est pleine de situation très cocasses. Ce qui m’a toujours beaucoup intéressé, en tant que chirurgien, c’est comment les barbiers sont devenus chirurgiens. Au départ, l’Eglise avait interdit à tous les clercs d’effectuer des actes de chirurgie. L’Eglise abhorre le sang. Aucun homme instruit ne pouvait plus faire de chirurgie. Ceux qui prennent alors la main sont les barbiers, et pendant des siècles. C’étaient les seuls qui avaient des lames qui coupaient. Mais, ce faisant, il se crée un fossé entre les médecins qui sont des hommes savants, qui parlent le latin, qui connaissent Aristote et puis les barbiers qui connaissent la barbe et qui ne savent pas parler latin. Pendant des siècles et des siècles, les barbiers étaient considérés comme de la valetaille, des petits laquais. La situation va se dénouer grâce au derrière de Louis XIV. Car le Roi Louis XIV avait une fistule anale. Et les médecins avaient essayé de la soigner avec de l’eau de source, des pommades, des soins qui ne marchaient pas. Louvois, l’homme de confiance du Roi, était très inquiet de la situation. L’Europe savait que le Roi était malade, et pensait qu’il allait mourir. Il fallait trancher. Louvois dit à Louis XIV : “Demandez à votre premier chirurgien barbier de venir vous examiner”.

La scène se passe à Versailles. La pudeur n’étant pas la même à cette époque, Louis XIV remonte son manteau et baisse ses chausses devant toute la cour. Il montre son derrière à ce garçon qui s’appelait Félix. Félix comprend la situation, il sait que c’est une opération difficile et dit “Sire, je vais être obligé de vous faire l’opération cruciale”. Le Roi Louis XIV lui dit : “Félix, entrainez-vous sur mes galériens avant de m’opérer, mais opérez-moi”. Félix invente un nouvel instrument pour le derrière du Roi, et l’opération a lieu dans des circonstances incroyables. Ça se passe à Fontainebleau, en novembre. Félix fait l’opération. Il faut fendre en deux la fesse du Roi. Ça saigne. C’est difficile. Heureusement, Félix a quelques ruses dans sa besace et il fait des pansements avec du vin de Bourgogne, ce qui est connu pour être excellent pour la cicatrisation. Il réussit à faire cette opération.

Je vous signale au passage que le Roi avait Conseil des ministres l’après-midi. Et que par malheur pour lui, au Conseil des ministres de Louis XIV, tout le monde est debout sauf un, le Roi, qui doit être assis. Il aurait peut-être préféré le contraire ce jour-là.

En tout cas, il supporte ça avec beaucoup de cran. Il faut dire aussi que Madame de Maintenon, qui était son épouse à l’époque, avait fait faire un hymne à Lully pour que Dieu s’occupe de son mari. Elle avait fait chanter, pendant toute la durée de l’opération, cet air par les demoiselles de Saint-Cyr qui disait “Dieu sauve le Roi, Dieu sauve le Roi”. Or cet air est magnifique. Jack de Stuart, en exil à ce moment-là, entend cet air et se dit qu’à son retour en Angleterre comme roi, il le prendra pour hymne national. Et cet hymne national, composé pour les fesses de Louis XIV, s’appelle aujourd’hui “God save the King”.

 

 

Finalement, le derrière du Roi finit par guérir. Et, après lui avoir donné de l’argent, il demande à Félix ce qu’il voudrait. On ne connait pas bien Félix dans l’Histoire, mais il devait être à la fois modeste et intelligent. Il dit au Roi : “Je voudrais que, pour les hommes de ma condition, qui auraient le courage d’apprendre le latin et de passer les examens de la faculté, de pouvoir être chirurgien et médecin”. Autrement dit, il demandait au Roi de séparer définitivement la chirurgie de la barberie. C’est ce que le Roi allait faire. Pas tout de suite, parce qu’il était fin politique et ne voulait pas se mettre les médecins à dos. Ils étaient fous furieux, ils ne voulaient pas que les barbiers deviennent médecins. Mais ça s’est fait quand même, sous Louis XV. Les barbiers ne se sont plus occupés que de la barbe et des perruques. Les chirurgiens n’ont plus fait que de la chirurgie. Et on a créé l’Académie de chirurgie de Paris, au XVIIIème siècle, qui a été le grand centre de formation des chirurgiens du monde entier. Voilà pourquoi je peux vous parler aujourd’hui, en tant que chirurgien et professeur de faculté. C’est grâce aux fesses de Louis XIV.

 

A qui s’adresse ce livre ? Aux étudiants en médecine, aux médecins ou à un public plus large ?

Je pense que les étudiants en médecine et les médecins seront intéressés, je dirai presque professionnellement. Ni les uns ni les autres ne connaissent bien l’histoire de la médecine. C’est une observation de tous les jours. En revanche, je pense qu’il y a beaucoup de gens qui s’intéressent à l’Histoire, à la culture, et qui voudraient savoir ce qu’il s’est passé dans l’évolution de la médecine au cours des âges. Comme très souvent ces histoires naissent dans des situations incroyables ou cocasses, on a essayé d’en faire un livre amusant. Il y des tas de choses très drôles dans l’histoire de la médecine.

L’exercice supposait que je donne, dans les narratifs, des choses exactes, qui ne se discutent pas. Et grâce au talent du dessinateur, Philippe Bercovici, et grâce aux bulles que j’ai pu écrire, j’ai essayé de donner un ton un peu léger à ce que je racontais. Bien que certains moments soient un peu durs. Finalement, j’ai travaillé comme travaille un professeur de fac, comme si je faisais un cours. J’ai fait des diapositives sur PowerPoint, et j’ai fait des montages avec les personnages, la description de la situation et le texte. Philippe Bercovici a réussi à en faire des scènes. Ça s’est passé très simplement.

 

 

D’où vient votre goût pour l’histoire et l’histoire de la médecine ?

J’ai toujours eu un goût pour l’Histoire. Pour l’histoire de la médecine, c’est un peu le hasard. Je suis chirurgien cardio-vasculaire. Donc au départ, quand j’ai été nommé professeur, c’était de chirurgie cardio-vasculaire. Mais il y avait une chaire d’histoire de la médecine qui m’a demandé de faire quelques cours d’histoire sur des grands noms de la partie cardiologique de l’histoire : Harvey, les anatomistes comme Vésale, les chirurgiens comme Larrey… Je faisais un certain nombre de cours. Et un jour, le professeur en charge de la chaire est mort. Mon doyen m’a demandé de prendre sa succession, parce que les étudiants allaient passer leurs examens et il leur fallait quelqu’un pour qu’il n’y ait pas d’arrêt de l’enseignement. De fil en aiguille, je me suis intéressé à l’Histoire. Au début, je ne faisais que quelques cours et je faisais venir des spécialistes, et peu à peu je me suis intéressé à plus de sujets. C’est comme ça que j’en suis venu à écrire une histoire complète de la médecine.

 

Avez-vous rencontré des difficultés particulières dans la rédaction de ce livre ? Dans le choix de ce que vous alliez raconter ?

Vous vous doutez bien qu’on ne peut pas tout écrire. Surtout en bande-dessinée. Donc oui, le choix est terrible. D’autre part, très souvent, les situations sont très complexes. Il faut donc être caricatural. Qui dit caricatural, dit choix. Choix de personnages, choix d’hypothèses… ça c’est dur. On se fait un peu hara-kiri de toute une discussion qui pourrait être un peu plus subtile. Ca été le plus difficile, c’était un peu frustrant.

 

 

Dans le contexte actuel de défiance envers la science, les vaccins, les médicaments… que permet ce regard sur l’histoire de la médecine ?

C’est absolument fondamental. Ça permet de comprendre que depuis le début de l’homme préhistorique, la médecine est un long chemin. Elle passe de la médecine à un art, grâce à Hippocrate, puis de l’art à une science. Elle ne devient une science que depuis 50 ans. Avant c’était un art, avec la qualité des hommes, des recettes… Aujourd’hui, elle essaye de devenir une science. Ca ne se fait pas facilement. Ça se fait avec beaucoup de cul-de-sac, de difficultés. Les Prix Nobel de médecine ne sont pas des docteurs avec des stéthoscopes, ce sont des docteurs qui travaillent sur des paillasses. Ce sont des scientifiques beaucoup plus que des médecins à proprement parler. Mais c’est ce qui va permettre que la médecine devienne la médecine par les preuves, que nous connaissons actuellement. C’est important de comprendre par où nous sommes passés, et que nous persistions dans cette voie. Il y a toujours eu la tentation du charlatanisme. Il y a toujours eu des gars qui disaient avoir trouvé la solution à telle maladie. Et comme on s’adresse à des gens malades qui vivent d’espoirs, on fait naître de faux espoirs. Et ça existe encore aujourd’hui. Ce que j’ai aussi essayé de dire dans le livre, c’est que le but de la médecine actuelle, c’est d’être scientifique et il faudra toujours lutter contre les charlatans.

 

* Le Pr Jean-Noël Fabiani, chirurgien cardiovasculaire à l’hôpital Pompidou (AP-HP) en retraite depuis septembre, est depuis plus de 10 ans professeur d’histoire de la médecine à l’université Paris Descartes et membre de l’Académie de chirurgie.

 

[L’incroyable histoire de la médecine, Jean-Noël Fabiani et Philippe Bercovici, Éd. Les Arènes, 240 pages, 22€90]

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier

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