“On frise la rupture conventionnelle !” Face aux nouvelles modalités de facturation des examens obligatoires de l’enfant et de l’adolescent, appliquées par la Cnam “sans aucune concertation” depuis le 1er septembre, médecins généralistes et pédiatres ne décolèrent pas. Le nouveau système est non seulement complexe, mais il pourrait mettre en péril la pédiatrie libérale, à qui il impose de façon “administrative et détournée” un tiers payant quasi généralisé.

 

C’est un petit changement qui pourrait avoir de grosses répercussions. Médecins généralistes et pédiatres libéraux ont appris vendredi 20 septembre que de nouvelles modalités de facturation s’appliquaient aux examens de suivi médical de l’enfant et l’adolescent… Et ce depuis le 1er septembre. Ce changement, entériné par la loi de financement de la Sécurité sociale 2019, n’aurait fait l’objet d’aucune communication de la Cnam, assurent les syndicats. Hormis la newsletter “3 minutes” de vendredi dernier, donc, “que la plupart d’entre nous parcourent d’un œil distrait, voire mettent directement à la corbeille“, ironise le Dr Richard Talbot, de la FMF. “Ca n’a pas été présenté en commission mixte paritaire nationale, ni à la Chap [commission de hiérarchisation des actes et prestations, NDLR]. On frise la rupture conventionnelle”, fulmine le Dr Brigitte Virey, présidente du Syndicat national des pédiatres français (SNPF). “Depuis quelque temps, on a l’impression d’avoir un donneur d’ordre“, renchérit Richard Talbot.

Les changements sont de taille. Ils traduisent dans la nomenclature le nouveau calendrier de suivi des enfants et ados, mis en place le 1er mars dernier : ces 20 examens “obligatoires”, tous réalisés auparavant avant l’âge de 6 ans, s’échelonnent désormais jusqu’à l’âge de 16 ans, avec trois consultations proposées à 8-9 ans, à 11-13 ans et à 15-16 ans. Les dernières (selon l’âge) étant “mises à profit pour la prévention des addictions et la santé sexuelle des jeunes”, souligne l’Assurance maladie sur Ameli.

 

 

 

 

Première modification : au-delà du 12e jour de l’enfant, les examens sont pris en charge par le risque maladie, et non plus par le risque maternité. “Comme si être un enfant était une maladie!”, relève Richard Talbot. Pris en charge à 100%, ils nécessitent une cotation différente selon l’âge du patient et le médecin (MG, pédiatre, pédiatre traitant) : COD, COE ou COB pour les MG ; COH, COE ou COG pour les pédiatres. Cinq nouvelles lettres clés (dont une spécifique à Mayotte) qui s’ajoutent à une nomenclature déjà illisible. “Nous les pédiatres, on est les champions, s’exclame Brigitte Virey. La convention de 2016 a instauré une vingtaine de codifications, rien que pour les actes cliniques.”

 

 

Non seulement les médecins vont devoir mettre à jour leurs logiciels métiers, mais ils vont devoir jongler entre les différentes cotations. “Si c’est un examen obligatoire après le 13e jour, ce sera le nouveau code, mais si l’enfant est malade, on revient à l’ancien“, illustre la pédiatre, installée en secteur 1 à Dijon. “Pour l’instant, il y a une tolérance, mais il va finir par y avoir des refus“, s’alarme Richard Talbot, de la FMF. Ce généraliste installé à Saint-Hilaire-du-Harcouët (Manche) redoute par ailleurs la volonté de la caisse d’assurer une “traçabilité des examens réalisés” dans ses bases informationnelles.

Autre changement majeur pour les libéraux : l’annonce d’une prise en charge en tiers payant intégral, “dans la limite des tarifs opposables”. D’après la CSMF, qui se joint au concert de protestations, l’Assurance maladie aurait envoyé un courrier à tous les parents pour mettre en avant ces consultations en les présentant comme “gratuites”. “Ces actes ne sont pas gratuits, ils ont un coût et une valeur”, insiste le SNPF, qui dénonce “une prise en otage des pédiatres”. “Quand les parents vont venir en disant ‘j’y ai le droit’, vous serez obligé de le faire en tiers payant“, se désole Brigitte Virey.

L’impossibilité de facturer des dépassements d’honoraires sur ces examens, qui représentent 50 à 60% de l’activité en pédiatrie, mettra en difficulté les quelques 1000 pédiatres en secteur 2 ou Optam sur les 2600 que comptent la spécialité. Ces derniers n’auront d’autres choix que d’accepter le tiers payant au tarif opposable, ou de refuser et prendre le risque de perdre les patients. “Il y aura un gros impact économique“, présage la présidente du syndicat, augurant un report sur les autres consultations qui pourraient faire l’objet d’une majoration. “La pédiatrie va être la première spécialité à avoir l’obligation de tiers payant, à devenir salariée de la caisse“, dénonce la praticienne.

Sans compter que les nouveaux examens pratiqués sur les enfants et adolescents seront particulièrement chronophages, étant donné le “cahier des charges” : croissance staturo-pondérale, vaccins mais aussi promotion des comportements et environnements favorables à la santé, dépistage des anomalies neurodéveloppementales… “ça veut dire test de lecture, dictée, dépistage des troubles sensorielles… ça peut être extrêmement long si on fait ça bien, relève Brigitte Virey. Au minimum 30 à 40 minutes, si tout va bien.” Le tout facturé 28 euros pour le pédiatre traitant, 30 euros pour les autres et 25 euros pour les généralistes. Ces derniers vont devoir s’équiper pour assurer ces examens, qui représentent une part variable de l’activité selon les secteurs d’exercice. Pour Richard Talbot (FMF), qui comptabilise pour sa part entre 5 et 10 consultations rentrant dans ce cadre chaque semaine, “ça devrait être facturé comme une consultation à haute valeur de santé publique, soit 46 euros”, estime Richard Talbot, de la FMF. Deux de ces consultations étaient normalement du ressort de la PMI ou de la médecine scolaire, relève ce dernier. “C’est un peu perturbant… à moins qu’on anticipe une baisse de leurs effectifs.”

Même revendication tarifaire du côté de la CSMF. “Le contenu précis de ces consultations renvoie à des consultations complexes voire très complexes qui devraient faire l’objet d’une tarification différente des tarifications actuellement proposées par l’Assurance Maladie”, abonde la confédération dans un communiqué diffusé mercredi 25 septembre, réclamant pour l’heure une suspension de “l’ensemble de ces décisions arbitraires” et “unilatérales”, “inacceptables dans le cadre d’un contrat conventionnel”. Du côté des pédiatres, on n’exclut pas de lancer le mot d’ordre “d’abreuver” les CPAM de feuilles de soin papier.

 

La circulaire d’application

 

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

Sur le même thème :
Cancers pédiatriques : la loi pour une meilleure prise en charge a été votée
Six pédiatres avalent des têtes de Lego pour prouver que ce n’est pas dangereux
BPCO : des racines pédiatriques identifiées