Face à la crise des urgences, Agnès Buzyn mise (notamment) sur la médecine de ville. Lundi 9 septembre, la Ministre de la Santé a annoncé plusieurs mesures pour améliorer la réponse à ces soins non programmés qui ne relèvent pas d’une prise en charge aux urgences. Si le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, se dit prêt à travailler à une meilleure organisation, il exige une juste indemnisation des efforts supplémentaires fournis par les médecins libéraux.

 

Comment réagissez-vous aux annonces de la Ministre concernant la prise en charge des soins non programmés ?

Déjà, c’est un peu une surprise… Cette mission était consacrée à la problématique des urgences, avec deux médecins urgentistes, le Pr Carli et le Dr Mesnier, aujourd’hui parlementaires. Et finalement, avec ce « service d’accès aux soins » (SAS), ça se transforme en mission sur les soins non programmés, qui concernent les médecins libéraux et tout particulièrement les médecins généralistes. Il aurait été donc judicieux de ne pas avoir que des hospitaliers aux commandes de cette mission, mais aussi des libéraux.

La problématique des urgences est multifactorielle, la réponse aux soins non programmés en n’est qu’un des éléments. Les urgentistes, et même les directeurs d’ARS, nous disent que la problématique principale n’est pas tellement l’amont -les gens qui viennent pour des soins aigus repartent rapidement- mais l’aval, avec des patients qui embolisent les services car il n’y a pas de place en hospitalisation. Or, on ne met en avant que la problématique des soins non programmés et des médecins généralistes qui n’y répondraient pas. Alors que tous les médecins généralistes s’organisent tous les jours pour prendre en charge des soins non programmés ! Certains avec des plages horaires réservées, d’autres avec un rendez-vous par heure pour les urgences.

Il est vrai que les patients qui n’ont pas de médecin traitant, ou dont le médecin est absent, ont parfois des difficultés à obtenir une réponse à leur demande de soins. On ne peut pas nier ce phénomène. On doit se réorganiser car la situation actuelle n’est plus acceptable pour cette frange de la population.

Mais les organisations nécessitent des ressources humaines : pour la régulation, le secrétariat, l’accueil, éventuellement un temps infirmier… A un moment, cela nécessite aussi des ressources financières. Or, aujourd’hui, l’Assurance Maladie freine des quatre fers pour rémunérer à sa juste valeur cet investissement : le soin non programmé perturbe l’organisation de la journée et demande des efforts supplémentaires à des médecins qui depuis 10 ans en font déjà beaucoup car leur nombre diminue et la demande de soins augmente. M. Revel nous dit d’appliquer la majoration MTU de 15 euros, quand la régulation nous envoie un patient dont on est le médecin traitant, ce qui n’arrive jamais, … mais que l’on ne peut pas la prendre dans les autres cas. Ensuite, il nous dit qu’il ne peut pas nous accorder 15 euros de majoration alors que l’on fait des consultations complexes à 25 euros. Mais les consultations complexes devraient être à 50 euros ! Ce discours de la caisse montre un grand mépris à l’égard des médecins généralistes et devient inacceptable. On est prêt à proposer des organisations pour répondre à ces problématiques mais si en face la Caisse refuse de les financer, alors que l’on sait combien coûte un passage aux urgences, la réponse ce sera « niet » ! On dira aux médecins généralistes libéraux : « N’allez pas perturber vos organisations quotidiennes alors qu’en face on ne prend pas en compte votre engagement en le finançant à sa hauteur”.

 

Vous demandez l’ouverture de négociations conventionnelles sur ce sujet…

Tout à fait. Mais c’est aussi à nous de travailler sur les organisations à proposer. Il n’y aura pas d’organisation uniforme. Par exemple, sur un territoire de 40 000 habitants, c’est quoi le soin non programmé ? Un par jour ? Dix par jour ? On doit partir des besoins et après, on voit quelles organisations mettre en place, la faisabilité en fonction du nombre de médecins, avec l’aide de quels autres professionnels de santé. A la fin, il y aura un besoin de financement.

 

L’admission directe des personnes âgées est-elle une bonne mesure ?

Oui. En effet, on doit travailler ensemble pour fluidifier les hospitalisations programmées pour que les personnes âgées ne passent pas douze ou vingt-quatre heures sur un brancard aux urgences. Mais souvent dans les territoires, les hôpitaux sont très mal en point, avec moins de ressources humaines médicales. La crise ne touche pas que les urgences ! Il n’y a pas de lits ! Si moi j’appelle et qu’il n’y a pas de lit de libre, ils ne prendront pas le patient… On n’a pas deux heures à passer au téléphone pour trouver une place dans un hôpital ! Si la demande n’est plus supportée par les urgences, par qui le sera-t-elle ? On ne peut donc pas se contenter de dire que les personnes âgées ne passent plus par les urgences…

 

Que pensez-vous de la possibilité pour le Samu de rediriger les ambulances vers la médecine de ville quand le cas ne nécessite pas un passage aux urgences ?

Ça, c’est un plus, rien que dans le cadre de la permanence des soins. Moi qui suis aussi médecin régulateur, je vois le nombre de fois où je déclenche une ambulance pour qu’un patient accède à une consultation de médecine générale… Je ne peux l’envoyer qu’aux urgences et non vers une maison médicale de garde. C’est une stupidité.

 

Quelles sont vos autres propositions qui ne figurent pas parmi les annonces de la Ministre ?

Si les patients vont autant aux urgences, c’est parce que cela arrangeait tout le monde. Cela rapportait beaucoup d’argent à l’hôpital, le médecin généraliste ne désorganisait pas son planning et le patient avait gratuitement un check-up complet ! Aujourd’hui, on doit dire aux patients que ce n’est plus efficient. Il faut d’emblée faire la dichotomie entre ce qui relève de la prise en charge par le médecin généraliste et ce qui relève de l’hôpital. C’est pour cela que l’on tient au 116-117. Le 15 est très clairement identifié hôpital, c’est l’urgence vitale.

Il faudra aussi travailler avec la médecine spécialisée ambulatoire pour diminuer ce recours aux urgences. Parfois, faute d’avoir un rendez-vous dans un délai rapide, il arrive que la seule façon d’avoir un avis spécialisé c’est d’envoyer le patient aux urgences. On voit bien que c’est multifactoriel. La CPTS pourra être l’un des lieux où l’on travaille à fluidifier le parcours patient.

 

Dernier point : la possibilité de réaliser certaines analyses biologiques en maison de santé ou en maison médicale de garde…

Quand on prend en charge une urgence relative en MMG, il y a deux éléments importants pour poser le diagnostic et déterminer la prise en charge : la biologie et la radio. Si on ne peut pas avoir une biologie à minima et une échographie ou une radio, on va continuer à envoyer des patients aux urgences… Sauf si on à côté des radiologues et des biologistes, avec lesquels on s’organise et on contractualise. Mais la biologie de base en médecine de ville, ça existe en Allemagne. Le tout c’est de se former. C’est la même chose pour l’échographie qui devient le deuxième stéthoscope du médecin généraliste.

 

Qui va supporter l’investissement ?

Ce sera aux ARS de le financer. On ne peut pas faire des économies majeures aux urgences sans les reporter en partie vers la médecine ambulatoire. Ce ne sont pas les médecins généralistes qui vont les financer. Cela représentera aussi des besoins humains : la ressource humaine est rare, on ne va pas demander aux médecins généralistes de tout faire. Là encore, il faut partir des besoins : un patient ou 20 patients par jour, ce ne sont pas les mêmes moyens à mettre en œuvre. C’est le travail des ARS d’accompagner les médecins dans leurs projets.

 

Les soins non programmés font partie des missions socles des CPTS…

Au départ, c’était même leur seule mission ! La pression sur les CPTS est telle que de plus en plus de médecins se disent avec raison que s’ils rentrent dans une CPTS, cela va aggraver leurs conditions d’exercice. Surtout quand on a un directeur de la Cnam qui nous dit “25 euros et basta, circuler il n’y a rien à voir”. Un forfait ne prend pas en compte ce que l’on va devoir faire au quotidien. Cela doit se faire dans le cadre d’un paiement à l’acte et avec des actes majorés. Certaines ARS l’ont d’ailleurs bien compris puisque ce sont elles qui accordent une majoration de 15€ pour tous les actes de soins non programmés.