Chacun y va de son remède. Trois mois que les urgences bouillonnent, et la sphère médicale se réveille pour témoigner de sa solidarité et proposer des solutions à la crise des urgences. Deux tribunes de médecins et un entretien de Martin Hirsch viennent, récemment, d’apporter leur pierre au débat. Car tout le monde s’accorde sur un point : il y a le feu.

 

La première tribune, publiée dans Libération, est signée par le Pr André Grimaldi (Pitié-Salpêtrière) et 60 autres médecins hospitaliers de premier plan, la plupart en poste à l’AP-HP. “On ne peut pas dire que la situation devient « insupportable » et en appeler à l’éthique professionnelle du sacrifice sans fin”, dénoncent-ils, appelant à débloquer des “moyens financiers conséquents” et mettre en œuvre cinq mesures.

AP-HP toujours, avec Martin Hirsch : le directeur général des hôpitaux de Paris vient d’accorder un entretien aux Échos où il expose “des solutions concrètes pour soulager les urgences”, en libérant des lits d’aval et en créant des centres de soins non programmés.

Dernier invité au débat : le Pr Guy Vallancien (Académie de médecine), ancien chef du service d’urologie de l’institut mutualiste Montsouris, qui profite de sa tribune hebdomadaire dans Les Échos pour proposer de “mettre fin au scandale des urgences” en formant 3000 infirmières praticiennes d’urgence.

 

PANORAMA DES MESURES ÉVOQUÉES POUR SAUVER LES URGENCES

Recruter du personnel

C’est évidemment une des premières revendications des grévistes, qui ne cessent de réclamer à cors et à cri des embauches de personnel stables. Ils n’ont pour l’heure pas été entendus par Agnès Buzyn, qui s’est bornée à assurer un soutien financier en cas de tension, afin de recruter du personnel intérimaire. Mais la nécessité de mieux doter les urgences en personnel émerge.

Martin Hirsch plaide pour l’adossement des effectifs à l’activité, afin d’éviter les effets de saturation. “Cela passe par la définition d’un seuil d’encadrement minimum, soit 15,5 équivalents temps plein de personnels soignants pour 10.000 passages annuels pour les services d’urgence adultes, sauf situation locale spécifique”, indique le DG de l’AP-HP. Une “centaine de postes” de médecins et de paramédicaux doivent être créés à l’AP-HP sur la base de cette recommandation, à horizon très court.

Déléguer les tâches médicales

Pour Guy Vallancien, le manque de médecins urgentistes doit appeler à la formation d’infirmières praticiennes d’urgence (IPU), sur le modèle des IPA. Il propose de former en un an une “première cohorte de 3000 IPU mobiles qui puissent, outre poser des diagnostics, prescrire des traitements, seules, sans l’aval du médecin référent, tout en l’informant des décisions prises”. Les IPU se rendraient sur place pour un premier tri préhospitalier, accompagnées d’aides-soignants : des Smur paramédicaux, en somme.

La délégation de tâches est aussi un modèle défendu par les 61 médecins hospitaliers. André Grimaldi et ses cosignataires préconisent de “développer aux urgences, mais aussi dans les autres services hospitaliers spécialisés, les délégations de tâches médicales aux infirmières cliniciennes reconnues sur la base de l’expérience professionnelle”, dénonçant les “multiples obstacles administratifs” qui demandent “deux à trois ans” pour être surmontés.

Libérer des lits d’aval

C’est un point sur lequel ne cessent d’alerter la Société française de médecine d’urgence (SFMU) et beaucoup de soignants : la pénurie de lits d’aval. Alors que les fermetures de lits se poursuivent à l’hôpital, les services d’urgence ont le plus grand mal à orienter leurs patients une fois la prise en charge aigüe effectuée. D’où un sentiment persistant, et délétère, de travail bâclé.

Le collectif des 61 médecins hospitaliers réclame à ce titre plus de lits dans les “unités de médecine polyvalente” en aval des urgences. “Contrairement au dogme actuel, ces unités doivent en permanence avoir des lits disponibles pour accueillir les patients admis aux urgences”, préconisent-ils. “On ne paie pas seulement les pompiers quand il y a le feu !”

Pour Martin Hirsch, la tarification à l’activité, en favorisant le maintien des patients en hospitalisation dans les services médicaux, favorise cette pénurie de lits d’aval. “À 17 heures, dans un hôpital donné, il peut y avoir jusqu’à 25 % de patients qui pourraient dormir ailleurs ce soir-là, si le mode de tarification favorisait davantage la prise en charge de jour.” Pas question, en revanche, de “surdimensionner les capacités toute l’année” : il faudrait donc s’atteler à prévoir le nombre de passages par jour aux urgences.

S’adapter aux patients âgés

Si le problème de l’aval met tout le monde d’accord, il en est pour remarquer que les patients évacués doivent bien trouver une place : c’est la question de l’aval de l’aval. D’où la proposition des 61 hospitaliers de multiplier “les centres de soins de suite pour accueillir après la fin des soins aigus, les personnes qui nécessitent encore des soins mais ne peuvent pas rentrer directement au domicile”. Soit “plusieurs centaines de patients” à l’échelle de l’AP-HP.

Guy Vallancien, pour sa part, s’intéresse plutôt au circuit des patients séniors. Il faut “créer des circuits spécifiques pour les personnes les plus âgées, les plus fragiles, qui attendent honteusement toute une nuit sur des brancards sans ridelles”, réclame-t-il. Le chirurgien propose de diviser les services d’accueils “en trois zones distinctes” : traumatologie, gériatrie, et les autres urgences.

Augmenter les salaires

Voici un axe qui ne fait pas consensus, si ce n’est chez les grévistes du collectif paramédical Inter-Urgences et leurs soutiens (FO, Sud, CGT et l’Amuf pour les médecins). Pour les 61 hospitaliers, il faut impérativement revaloriser les salaires des “paramédicaux, infirmières, aides-soignantes, secrétaires”. “Le salaire des infirmières débutantes est de 1600 euros, ce qui nous place en 26e position des pays de l’OCDE”, y insistent-ils.

 

 

Rien de tel chez Martin Hirsch, englué dans le déficit du navire AP-HP (156 millions d’euros en 2018). “Notre limite actuelle n’est pas nos plafonds budgétaires mais notre capacité à recruter”, estime le haut fonctionnaire. “Il nous manque environ 400 infirmières, une centaine de manipulateurs radio, des dizaines de masseurs-kinésithérapeutes et cela a des répercussions sur les équipes. C’est pour cela que la question des rémunérations est de plus en plus présente.”

Modifier l’offre de soins en amont

On le sait, une part substantielle des passages aux urgences devrait relever du secteur ambulatoire. Pour Martin Hirsch, des centres de soins non programmés pourraient s’acquitter avec profit de ces patients. “Beaucoup de pays ont résolu le problème en développant des centres de soins non programmés, reliés à un hôpital, où l’on trouve tous les ingrédients nécessaires : la présence de médecins, de paramédicaux, d’équipements de radiologie et d’imagerie médicale, de laboratoires d’analyse, etc.” Une expérimentation sera lancée en Seine-Saint-Denis.

Attendre les conclusions de la mission Carli-Mesnier

La proposition n’est défendue par personne, si ce n’est Agnès Buzyn. La ministre a confié au Pr Pierre Carli, patron des urgences de Paris et président du Conseil national des urgences hospitalières (CNUH) et au Dr Thomas Mesnier, député LREM, le soin de conduire une mission nationale. Trois objectifs :

– “objectiver la situation actuelle” en créant une typologie des services d’urgence et des difficultés associées (activité, place dans l’offre de soins, difficultés de recrutement…) ;
– apprécier la mise en œuvre des réformes, “à la fois sur la qualité du service rendu et sur les conditions de travail des professionnels” ;
– identifier d’éventuelles nouvelles mesures, “notamment en termes d’information et de responsabilisation de la population (…), d’articulation des services d’urgences avec l’offre de ville, ou encore de prise en compte (…) des solutions d’aval nécessaires aux patients (…), en particulier pour les parcours les plus courants”.

Le rapport est prévu à l’automne.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Yvan Pandelé

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