La pratique infirmière avancée vient de connaître un tournant au Québec : déjà libres de poser des diagnostics et d’initier des traitements sous le contrôle a posteriori d’un médecin, les quelque 500 infirmières praticiennes spécialisées (IPS) du pays vont pouvoir s’affranchir totalement de la tutelle du médecin. Nous en avons discuté avec Luc Mathieu, président de l’ordre infirmier local.

 

Exit le médecin ? La pratique infirmière avancée vient de connaître un tournant au Québec. Les infirmiers praticiens spécialisés (IPS)  équivalent de nos infirmiers de pratique avancée (IPA) étaient déjà en mesure de poser des “conclusions cliniques” et d’adapter des traitements, sous réserve d’une validation par le médecin. En quelques mois, ils ont conquis le droit de faire des diagnostics et d’initier des traitements en leur nom propre. Une autonomie qui sera effective d’ici quelques mois, et sur laquelle nous avons interrogé Luc Mathieu, président de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ).

 

Egora.fr : Pouvez-vous nous résumer les dernières avancées sur l’autonomie des IPS ?

Luc Mathieu : En mars dernier, le Collège des médecins du Québec [CMQ, ordre professionnel, NDLR] a soumis à son conseil d’administration une proposition de modification au réglement sur les IPS afin de leur permettre de diagnostiquer six maladies chroniques [diabète, hypertension, hypercholestérolémie, asthme, BPCO, hypothyroïdie, NDLR]. C’est un gros changement : jusqu’à présent ce n’était pas permis et les médecins, surtout les omnipraticiens, s’accrochaient au mot diagnostic de façon très importante.

 

 

Et puis nous avons sensibilié le CMQ en disant qu’il ne faudrait pas se limiter à six diagnostics, mais que chaque spécialité d’IPS puisse diagnostiquer et initier des traitements en fonction de son domaine de compétences. Tous les règlements qui encadrent la pratique des IPS sont sous l’égide de la Loi médicale. Le 26 avril dernier, le CMQ a recommandé au gouvernement du Québec de basculer ces règlements dans la Loi sur les infirmières et infirmiers, sous l’égide de l’OIIQ. C’est une avancée majeure pour la population et la profession.

Pourquoi est-ce important ?

D’abord pour la population du Québec, parce que ça va favoriser l’accès aux soins. Actuellement, une IPS qui fait un diagnostic – on utilise le terme “conclusion clinique” –, doit référer systématiquement le patient à un médecin, dans un délai variable [30 jours maximum, NDLR]. Ce qui va changer, c’est qu’il n’y aura plus cette obligation de référer systématiquement. Si l’IPS rencontre un patient qui dépasse ses compétences, elle va référer [adresser le patient, NDLR] au médecin. Mais si ce n’est pas le cas, elle ne va pas référer au médecin. Ça veut dire que la personne n’a pas à retourner voir le médecin et que ça libère une plage horaire pour celui-ci. Donc ça profite à la population sur deux niveaux.

En somme, les IPS viennent de conquérir leur autonomie totale.

Pas tout à fait : c’est une autonomie à l’intérieur des lignes directrices de chacune des spécialités. Les IPS vont continuer à travailler en collaboration avec les médecins : on insiste là-dessus. Aujourd’hui la pratique solo n’est pas une bonne pratique compte tenu de la complexité des soins. Ça vaut pour les médecins, les infirmières, les autres professions de santé : on est de plus en plus dans une dynamique de collaboration interprofessionnelle.

Toutes les maladies sont concernées ?

Pas n’importe lesquelles. Une IPS en première ligne pourra diagnostiquer et traiter les maladies courantes – otite, amygdalite, ostéoporose, etc. – et des maladies chroniques, dont le diagnostic est assez normé. Une IPS qui travaille en soins adultes, par exemple en cardiologie, pourra diagnostiquer des conditions différentes. Ça dépendra des lignes directrices. Toutefois, les IPS ne pourront pas diagnostiquer un cancer. Mais elles pourront diagnostiquer un diabète et initier le traitement : tant que c’est sous contrôle et sans complication, l’IPS pourra suivre le patient sans référer au médecin.

 

Les résistances viennent plutôt des généralistes

 

Qu’est-ce qui a décidé le Collège des médecins du Québec à prendre cette décision radicale ?

Il y a plusieurs facteurs. Cela faisait longtemps que nous étions en discussion : ils ont évolué dans leur pensée. Il y eu aussi la pression de la population : on a des problèmes d’accès aux soins, avec des délais importants, et l’autonomie renforcée des IPS va améliorer ça. Et puis le cabinet de la ministre de la Santé a fait pression auprès du CMQ.

Comment ont réagi les syndicats médicaux ?

Les médecins spécialistes au Québec n’ont aucune réserve quant à la pratique des IPS : les résistances viennent plutôt des généralistes. Le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec a dit publiquement qu’ils attendaient de voir les modifications réglementaires pour se prononcer de façon définitive, mais qu’ils ne voient pas de problème fondamental à la contribution des IPS dans l’organisation des soins au Québec.

Sur le terrain, la collaboration entre IPS et généralistes fonctionne bien ?

De façon générale, oui ça se déroule très bien. Avant d’être à l’OIIQ, je contribuais à développer des programmes de formation à l’université de Sherbrooke. J’ai récemment rencontré des premières diplômées des années 2007-2009. Une IPS me disait qu’elle avait 850 patients à sa charge, et qu’elle devait très rarement référer à un médecin. En revanche, elle consultait très régulièrement son médecin partenaire pour avoir son avis. Ça arrive à l’inverse que des médecins consultent leur IPS. C’est vraiment une collaboration gagnant-gagnant. Les médecins ont la même rémunération et ils voient plus de patients complexes.

Et du point de vue de la qualité des soins, qu’en est-il ?

Au Canada, aux États-Unis, en Angleterre, les études montrent que du point de vue de la qualité et de la sécurité, les soins des IPS sont équivalents à ceux des médecins. Il y aurait même un avantage des IPS au niveau relationnel. Les médecins sont encore beaucoup rémunérés à l’acte, donc ils ne prennent pas nécessairement tout le temps requis, à la différence des IPS qui sont rémunérées sur la base d’un salaire horaire. Et à l’Ordre des infirmières, on a des mécanismes d’inspection professionnelle qui nous permettent d’être vigilants. Deux ans après l’obtention du diplôme d’IPS, on est en train d’installer une inspection systématique pour s’assurer de leur compétence. Par ailleurs, les IPS québécoises sont les mieux formées du Canada.

La France vient d’instaurer les infirmiers de pratique avancée (IPA) tout en finançant des assistants médicaux pour les généralistes. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Je connais un peu la situation française. À l’OIIQ, nous ne sommes pas en faveur de l’intégration de ce type d’emplois. Il y a déjà assez de professions de santé pour avoir besoin d’en rajouter.

 

Les IPS en deux mots et quelques chiffres

Avec 8 millions d’habitants, le Québec compte actuellement 547 infirmiers praticiens spécialisés pour 20 000 médecins actifs. Les IPS ont cinq spécialités possibles : les soins de première ligne, la néonatalogie, la pédiatrie, les soins aux adultes (deuxième et troisième ligne), et la santé mentale. Ils bénéficient d’une formation complète, qui combine un diplôme universitaire d’infirmier (trois ans) et une formation d’IPS (deux ans environ). L’IPS en exercice est rattaché à un établissement de référence, qui peut être un centre public ou un groupe de médecins de famille (GMF), soit l’équivalent d’une maison de santé. Dans ce cadre, chaque GMF perçoit une enveloppe globale de 30 000 dollars à l’année, afin d’indemniser le temps passé par les médecins (6 à 30 selon les cas) pour collaborer avec les IPS.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Yvan Pandelé

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