Les deux négociations engagées avec la CNAM entrent dans leur dernière ligne droite. Que ce soit dans le cadre du futur Accord Cadre Interprofessionnel (ACI) sur l’exercice coordonné et les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) ou dans celui de l’avenant 7 sur les assistants médicaux, la prise en charge des soins non programmés s’est imposée comme un sujet-clé. Mais le forfait annuel de 490 euros proposé aux médecins par la CNAM est “inacceptable” pour le Dr Luc Duquesnel, Président de Les Généralistes-CSMF, qui réclame une majoration de la consultation à hauteur de 15 euros. La question pourrait bien faire achopper les négociations.

 

Dans l’avenant 7, la CNAM propose d’attribuer au total 120 points pour la participation à l’exercice coordonné dans le volet 1 du forfait structure. Dont 70 points pour la prise en charge des soins non programmés, par ailleurs définie comme l’une des missions socles des CPTS. Sur le principe, est-ce acceptable ?

Aujourd’hui, en termes d’accès aux soins, il y a deux problématiques qui concernent le médecin généraliste : premièrement, les patients qui ont des difficultés à trouver un médecin traitant du fait des cessations d’activités ; deuxièmement, la difficulté à avoir accès à des consultations non programmées. Ce n’est pas rien dans l’activité d’un Médecin Généraliste : les statistiques de la CNAM nous montrent que parfois 40 à 50% des consultations correspondent à des patients dont ils ne sont pas médecin traitant. Donc c’est un vrai sujet. Le Président de la République et donc le Directeur de la CNAM ont mis cela au cœur des négociations CPTS et l’ont également introduit dans l’avenant 7, qui, au départ, était annoncé comme une négociation sur l’assistant médical…

Déjà, le fait que ce soit dans les missions socles des CPTS est discutable : on est sur un ACI pluriprofessionnel et cela correspond à des missions avant tout médicales. Ça répond à un besoin mais cela aurait dû trouver sa place dans une négociation purement mono-professionnelle médecin…

En tout cas, je n’imagine pas que nous, CSMF, soyons en accord avec la signature d’un ACI CPTS dans lequel il y aurait l’obligation dans les 6 ou 12 mois – l’une de ces deux missions socles doit être remplie dans les 6 mois, l’autre dans les 12 mois – de répondre aux soins non programmés sans qu’il y ait quelque chose de prévu, un intérêt à agir pour le médecin.

Dans le cadre de l’avenant 7, la CSMF a demandé que cette consultation soit majorée de 15 euros : refus catégorique du Directeur de la CNAM, sous prétexte que cette consultation sera plus rapide, etc. Donc il propose un forfait dans le cadre du forfait structure qui correspond à 32 consultations majorées de 15€ par an !

Très clairement, si on ne trouve pas un accord sur la rémunération de cette consultation, on n’ira pas signer l’avenant 7 ni l’ACI CPTS.

 

Pourquoi une telle opposition du Directeur de la CNAM ?

Il craint un effet d’aubaine sur ces consultations de soins non programmés, de voir SOS Médecins ou des médecins consultant déjà sans rendez-vous les majorer en soins non programmés. Notre objectif n’est pas que toutes ces consultations soient majorées, car elles seraient traçables. Mais ce n’est pas parce que certains pourraient en abuser qu’on va pénaliser l’ensemble des généralistes français ! On doit poser un cadre et en la matière, on ne part pas de rien : dans la région Grand Est, les médecins généralistes et l’ARS ont mis en place une organisation qui permet de majorer de 15€ chaque acte de soin non programmé. De plus, il y a des départements où on a étendu l’organisation de la permanence des soins au samedi matin, avec des évaluations qui montrent que, non seulement ça s’autofinance mais que ça permet même de faire des économies par un moindre recours aux services d’urgences, et ce alors qu’on rémunère des régulateurs, on peut largement accorder une majoration MRT de 15 euros aux effecteurs.

Par ailleurs, il faut savoir que dans la négociation de 2016, on a identifié une consultation de soins non programmés, avec majoration de 15 euros. Mais elle est inapplicable car limitée au médecin traitant du patient. La question ne se pose jamais ! Le Centre 15 ne m’appelle jamais pour prendre en charge un patient dont je suis médecin traitant, puisque le patient a d’abord appelé mon cabinet et, si je suis absent, je le suis aussi pour le Centre 15…

Ce que propose M. Revel, Directeur de la CNAM, un forfait pour tout le monde, c’est inacceptable ! Que la population ait besoin d’une consultation de soins non programmés par jour ou de 10, ce sera la même rémunération pour le médecin. Je le dis bien : c’est inacceptable. On est dans la dernière ligne droite des négociations. Là, on est arrivé à un point de blocage : le soin non programmé, pour ce qui est des médecins, qui risque de tout faire capoter.

 

Est-ce que la CPTS elle-même, dont ce sera l’une des missions socles donc, ne pourrait pas rémunérer cette prise en charge, sous forme d’astreintes par exemple ?

La CPTS, c’est du pluri-professionnel. Je vois mal une CPTS décider de consacrer tout ou partie de son enveloppe aux médecins, au détriment des autres professionnels de santé. Ça va créer une ambiance détestable. On est sur un acte qui doit rentrer dans la nomenclature des médecins.

 

Concrètement, que va-t-on demander aux médecins ?

Tout dépend des besoins du territoire. Et s’il y a un service d’urgences sur le territoire, cela ne pourra se faire que dans le cadre d’un partenariat. Car il y a des endroits où même s’il y a des besoins, si le service d’urgence ne joue pas le jeu, toute une partie des soins non programmés relevant de la médecine générale continuera à être prise en charge aux urgences. L’hôpital a un intérêt à garder ces consultations-là : ça fait tourner le laboratoire, la radiologie et ça remplit les lits. L’hôpital n’a pas forcément intérêt à ce que ces patients ne passent plus par son service des urgences. On sait très bien qu’aujourd’hui, la seule régulation des services d’urgence de l’hôpital, c’est la longueur de la file d’attente. Je fais beaucoup de gardes de régulation : parfois, des patients qui sont aux urgences appellent la régulation libérale pour avoir accès à un généraliste. Quand il y a 4 heures d’attente, on leur conseille d’appeler la régulation libérale ; quand il n’y a qu’une demi-heure, on ne le leur conseille pas.

 

Et si la CNAM offrait d’augmenter considérablement ce forfait ?

Ça ne changerait rien : on doit être sur une rémunération à l’acte. Qu’il y ait du soin non programmé ou qu’il n’y en ait pas (dans les grandes villes, où il y a SOS médecins, les besoins sont moindres), on va attribuer le même forfait à tout le monde ? C’est inacceptable.

 

Autre point de blocage, l’obligation pour un médecin qui bénéficie d’une aide au financement d’un poste d’assistant médical de rejoindre la CPTS du territoire et de participer à ses missions…

Ça, on a déjà dit non. Tout comme le fait d’être nécessairement regroupé dans le même cabinet. Si les médecins partagent le même logiciel, ça suffit. L’important est d’être en exercice coordonné.

 

Mais c’est écrit en rouge dans la proposition de la CNAM…

Chacun met ses lignes rouges, nous aussi. On nous met une pression énorme. Le Directeur de la CNAM nous dit à chaque fois : si vous ne signez pas, vous allez voir ce qui va vous tomber dessus à la deuxième lecture du projet de Loi de Santé à l’Assemblée Nationale en juillet. Ça va bien, ce chantage ! On est tout à fait au courant des problèmes d’accès aux soins. Pour nous aussi, Les Généralistes-CSMF, il est inacceptable que des patients en ALD n’aient pas de médecin traitant. Mais ce n’est pas en nous menaçant qu’on va arriver à mettre en place les organisations nécessaires. Nous ne sommes pas responsables de la politique de santé menée depuis 30 ans qui a amené la médecine générale là où elle est aujourd’hui.

De toute façon, la démographie médicale fait que de toute façon, et pour un certain nombre d’années encore, les généralistes n’ont rien à craindre de mesures coercitives : il n’y a pas de zones sur-dotées en médecins généralistes en France.

Obliger les généralistes qui ont des assistants médicaux à rentrer dans les CPTS, en quoi ça améliore l’accès aux soins ? La semaine dernière, lors de l’assemblée générale de la permanence des soins de mon département, le 3ème à la plus faible démographie médicale, on a abordé cette question-là. On est déjà tous entre 1500 et 2500 patients MT. Ce qui est capital, c’est d’avoir un assistant par médecin et non pas un assistant pour trois médecins – c’est le modèle allemand, néerlandais. La priorité des priorités n’est pas la CPTS même si elle a vocation à avoir demain un rôle important pour éviter les ruptures de parcours qui sont préjudiciables à la santé des français et sont sources de dépenses évitables ! Il n’y a pas de parcours de santé sans médecin traitant car c’est lui le chef d’orchestre de ce parcours. Ça, c’est de l’affichage politique.