Troubles mnésiques, altération du jugement, apathie, propos incohérents, prosopagnosie… Le professeur de gériatrie Jean-Marie Serot a passé au crible les ouvrages consacrés au Maréchal. Il y décèle les signes d’une affection neuro-dégénérative dès 1940.

 

Interné à l’île d’Yeu, Philippe Pétain y décède le 23 juillet 1951 dans un “état de décrépitude sénile” très évoluée, rappelle le Pr Serot, dans un article de la Revue de Gériatrie daté de décembre : il déambule la nuit, “joue avec ses selles”, “tient des propos obscènes”… Mais les troubles seraient apparus bien des années auparavant, estime l’expert, qui a lu “avec un regard médical” de nombreux ouvrages consacrés à l’ancien chef de l’Etat français.

Ainsi, dès 1930, “de nombreuses anecdotes suspectes” sont attribuées à la “sénilité” ou au “gâtisme” de ce héros de guerre. Des troubles mnésiques sont mentionnés par ses collaborateurs. Dès 1938, son ancien officier d’ordonnance, le commandant Loustanau-Lacau, déplore également l’apathie du Maréchal : “il y a des jours… il reste devant son papier sans le lire et les mots qu’on lui envoie reviennent. Ils ne sont pas entrés. Inutile d’insister… Fermé pour cause de vieillesse.

En 1940, année de son ascension au pouvoir, Pétain présente un syndrome neurocognitif mineur “déjà bien évolué“, affirme le Pr Serot. “En mai et juin 1940, vice-président du Conseil des Ministres, il ne suit qu’à grand peine les débats : le va-et-vient de la discussion lui échappe, cela est caractéristique de troubles attentionnels”, relève-t-il. Lors de la séance du 20 mai 1940, Paul Reynaud rapporte “qu’il tient des propos d’un autre âge, regrettant l’absence de pigeons voyageurs pour compenser la mauvaise transmission des renseignements par la radio”. Devenu président du Conseil en juin, il se montre “indécis et très influençable” : le 17, “il offre à Laval le poste de ministre de la Justice, celui dit sa préférence pour le ministère des Affaires étrangères ; Pétain lui offre donc ce ministère qu’il vient d’attribuer à Paul Baudoin. Mais son entourage et Weygand lui font remarquer que cela risque de compliquer les relations avec les Anglais ; ce sera donc Baudoin et Pétain donne à nouveau le ministère de la Justice à Laval que ce dernier, furieux, refuse”, illustre le Pr Serot.

“Le Maréchal est bien 3-4 heures par jour surtout le matin quand il est très reposé, parce qu’il est très soigné, très entouré, décrit Albert Chichery, ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement jusqu’au 12 juillet 1940. Mais quand il est fatigué, surtout le soir, on peut lui faire signer ce que l’on veut sans qu’il s’en rende compte.”

Au cours des deux années qui suivent, son état se dégrade encore. En juillet 1942, alors qu’il visite la maternité de l’Hôtel Dieu de Lyon, Pétain se tourne vers George Villiers, maire de Lyon, et lui demande : “Où sommes-nous, qui suis-je, qu’est-ce que je fais ici?” De plus en plus souvent, le Maréchal tient des propos incohérents, à tel point que plusieurs de ses discours doivent être réécrits par la presse en 1944.

Troubles mnésiques, déficit attentionnel, prosopagnosie, atteinte de la flexibilité mentale, apathie, désorientation, épisodes de confusion… “les critères du syndrome neurocognitif majeur du DSM-5 sont largement réunis”, assure le Pr Serot, qui conclut : “Il n’y a pas de syndrome parkinsonien ou d’hallucination, le pas reste ample. L’hypothèse la plus plausible est celle de la maladie d’Alzheimer évoluée, mais nous n’en n’aurons jamais la certitude du fait de l’absence d’examens complémentaires. ” Une étude anatomopathologique de son cerveau aurait pu confirmer le diagnostic mais il n’y a pas eu d’autopsie.

A cette époque, les syndromes démentiels sont encore méconnus du grand public et même du corps médical qui parle de “sénilité” et la maladie d’Alzheimer, “considérée comme rare”, n’est même pas mentionnée dans les manuels de neurologie”, rappelle l’auteur. Les notes du médecin de Pétain, Bernard Ménetrel, ont disparu. Ce dernier, sincèrement “dévoué” à Pétain, “a probablement essayé de le protéger et de maintenir les apparences, suppose le spécialiste. Une partie de la haute administration et du Gouvernement ont vraisemblablement fait de même avec des intentions plus ou moins avouables.”

Une question demeure : en 1945, fallait-il juger Pétain ?

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : A. M.

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