Un mois jour pour jour après avoir braqué l’ensemble des syndicats en affichant sa volonté d’augmenter la productivité horaire des médecins bénéficiaires d’un poste d’assistant médical, la CNAM a présenté une copie revue et corrigée aux représentants de la profession lors de la séance de négociation conventionnelle du jeudi 7 mars. Pour le Dr Luc Duquesnel, président Les Généralistes-CSMF, “on avance dans le bon sens”. Mais des points de blocage subsistent.

 

Le 7 février dernier, les syndicats quittaient la table des négociations conventionnelles sur les assistants médicaux en dénonçant la volonté de la CNAM d’augmenter le nombre horaire de consultations. Les nouvelles contreparties au financement du poste proposées le 7 mars sont-elles acceptables ?

Certains obstacles ont été levés et l’affichage par la CNAM a changé. Au-delà d’un certain niveau d’activité (1693 patients médecin traitant de plus de 16 ans), le financement serait pérenne, sans obligation de prendre de nouveaux patients. Même si ce seuil devra descendre car il est beaucoup trop élevé, il faut faire confiance aux médecins généralistes qui font tout depuis 10-15 ans pour prendre en charge les patients qui n’ont plus de médecin traitant (MT). C’est pourquoi aujourd’hui on voit des médecins avec 1700, 2000, voire 2700 patients MT. Le risque identifié aujourd’hui, c’est de se retrouver dans la non-qualité. On ne va pas imposer à ces médecins de prendre en charge plus de patients MT.

 

Les médecins qui ont entre 740 et 1165 patients MT, en revanche, doivent s’engager à augmenter de 15%… Est-ce faisable ?

Lors de la séance du 27 mars, la CNAM doit nous présenter les résultats d’expérimentations avec de telles modifications organisationnelles. Déjà, il faudrait savoir si ces médecins dans la tranche basse exercent à temps partiel ou à temps plein. Si c’est un médecin qui a 1165 patients MT et qui travaille 3 jours par semaine, par choix ou parce qu’il a une autre activité, c’est déjà une patientèle très importante. On ne peut pas lui imposer d’en prendre davantage. Il va falloir jauger cela dans les Commissions Paritaires Locales (CPL), pour qu’on soit au plus près de la réalité sur le terrain.

Les différences entre les trois catégories définies (740-1165, 1165-1693, 1693 et plus) sont trop importantes. Il faudrait davantage de catégories… sans trop complexifier le dispositif.

 

Autre problème pour nous qui est majeur, c’est qu’on raisonne en équivalent temps plein d’assistant médical pour trois médecins. Or, les besoins sont définis par la patientèle à prendre en charge, pas par le nombre de médecins. L’assistant médical ne prend pas en charge des médecins, mais des patients ! Trois médecins dans un cabinet qui cumulent 2400 patients MT vont avoir le droit à un assistant à temps plein, tandis que trois autres qui ont 5000 patients n’auront pas le droit à plus de temps d’assistant … On ne peut pas ne pas tenir compte des patientèles prises en charge et il faut donc permettre à ces médecins généralistes d’avoir un assistant pour deux médecins. Dans le dispositif Action de santé libérale en équipe (Asalée), un temps plein d’infirmière correspond à 4000 patients à prendre en charge.

 

L’objectif reste de regrouper les médecins… Être en exercice coordonné, voire en exercice regroupé pour les médecins qui exercent en dehors des zones sous-denses, ce sont des critères d’éligibilité du dispositif…

Dire qu’on doit être aujourd’hui en exercice coordonné, cela me semble normal si l’on veut éviter des ruptures de parcours et donc des hospitalisations. Mais exercice coordonné ne doit pas vouloir dire automatiquement exercice regroupé. D’autre part, il faut tenir compte de ces médecins qui exercent seul sur leur territoire rural et qui ont un besoin criant d’assistant médical. Ils doivent faire exception, étant donné les services rendus à la population. Et il faut savoir que si on oblige les médecins à se regrouper, derrière on va devoir fermer des pharmacies.

Par ailleurs, s’il y a une CPTS sur le territoire, l’obligation d’y adhérer est inacceptable. Les territoires qui n’auraient pas de CPTS pourraient même être dissuadés d’en créer une pour ne pas charger la barque… Il faut faire confiance aux médecins ! Ils essaient de faire au mieux pour répondre aux besoins de la population de leur territoire et il suffit de voir le nombre de patients qu’ils prennent en charge pour s’en persuader.

Cet avenant doit rassurer les médecins généralistes. La plupart d’entre eux ne sont pas, ou peu, des chefs d’entreprise. Le simple fait de s’engager dans l’embauche de personnel, et d’imaginer comment se réorganiser avec d’autres médecins dans la prise en charge quotidienne des patients, ce peut être déjà dissuasif. Une possibilité serait que ce soit l’Union Régionale de Médecins Libéraux (URPS) qui soit l’employeur, ou bien une Société Interprofessionnelle de Soins Ambulatoires (SISA) dans une MSP, ou même une CPTS. Il ne faut pas fermer la porte à d’autres modèles que le médecin employeur car les freins sont multiples là aussi.

 

La CNAM propose une aide au financement pérenne mais dégressive : 36 000 euros par ETP la 1ère année, 27 000 euros la 2ème et 21 000 euros à compter de la 3ème année… Est-ce suffisant ?

Non c’est insuffisant. Les seuls médecins pour lesquels l’aide ne serait pas diminuée, ce sont ceux qui sont au-delà de 1693 patients MT. Il faut tout d’abord baisser ce seuil qui correspond au double de la patientèle moyenne d’un médecin généraliste.

Pour les autres, 21 000 euros ne couvrent pas l’intégralité des frais et de très loin. En termes d’investissements immobiliers déjà, s’il faut construire des murs, refaire des pièces, qui va prendre en charge ces travaux ? Les médecins généralistes aujourd’hui ne veulent plus être propriétaires de leur cabinet, et Nicolas Revel, Directeur Général de la CNAM, a dit clairement que ce n’était pas le rôle de l’Assurance Maladie d’investir dans des travaux immobiliers. Les médecins vont donc se retourner vers les collectivités locales. Il y a les frais de location et de charges des mètres carrés supplémentaires, le logiciel métier, le matériel informatique… C’est un cabinet ! Ce sont d’importants coûts supplémentaires.

Si l’idée c’est de travailler plus pour pouvoir financer l’assistant médical, ce sera un refus massif ! On peut imaginer qu’avec les assistants médicaux, certaines consultations vont être raccourcies et qu’on va pouvoir voir quelques patients en plus. Mais il faut repenser, entre les médecins, l’organisation dans la prise en charge de leurs patients. Sachant qu’un assistant médical, si c’est 35 heures pour trois médecins, cela ne fera même pas 12 heures par médecin dans la semaine…

 

Que se passe-t-il si le médecin ne remplit pas les objectifs fixés en contrepartie de l’aide au financement ? S’il n’arrive pas à atteindre l’objectif de 15% en plus ?

Il faudra d’abord voir ce qui se passe sur le territoire : est-ce qu’il y a vraiment beaucoup de patients sans MT qui en recherchaient un ? Car on sait qu’il y a des patients qui n’en veulent pas. Si, sur un territoire de 6 médecins, 5 d’entre eux remplissent les objectifs et l’autre est très loin de les avoir atteints, est-ce qu’il n’a pas vécu cette aide comme un effet d’aubaine ? Il y a une règle du jeu. On a une responsabilité collective au niveau du territoire. Le comble serait qu’un médecin bénéficie d’aides et qu’il laisse toute la responsabilité de l’accès aux soins aux autres. On est toujours obligés de mettre un cadre, mais il ne faut pas l’appliquer bêtement. Ces situations individuelles devront être traitées au sein des commissions paritaires locales.

 

Au vu de toutes ces conditions, pensez-vous que les médecins vont vouloir se lancer ?

Dans l’état actuel du texte, certainement pas. Mais nous avons encore plus d’un mois de négociations devant nous, avec trois séances jusqu’à fin avril. On avance dans le bon sens. Il y a une évolution très nette, mais il y a encore beaucoup de freins à lever. Nous sommes prêts à continuer à travailler.