Ils ont consacré leur vie et leur carrière à un seul patient. Conseillers, confidents, prescripteurs, voire dealers, les médecins des hommes les plus puissants du XXème siècle ont parfois été qualifiés de “Raspoutine” par leurs détracteurs. Dans Le Pouvoir sur ordonnance (Ed. Grasset), Tania Crasnianski se penche notamment sur le duo emblématique formé par le Dr Theo Morell et son “patient A”, alias Adolf Hitler, deux hommes dépendant l’un de l’autre. Extraits.

 

“ Durant ses années de traitement par Morell, le Führer eut droit à des injections régulières, voire quotidiennes, de multiples produits chimiques. Il prit entre quatre vingts et quatre-vingt-dix substances différentes par ingestion ou injection, dont des analgésiques, antibactériens, antitussifs, fortifiants, hormones, sédatifs, spasmodiques, stéroïdes, stimulants, ainsi que des médicaments pour lutter contre les maladies cardio-vasculaires, les troubles de la digestion ou la maladie de Parkinson.

Il absorbe notamment du Cardiazol (stimulant utilisé en cas d’insuffisance cardio-vasculaire), de la cocaïne (en solution nasale de 10 % pour traiter les sinus ou en solution ophtalmique contre les in.ammations des yeux), de la Coramine (stimulant prescrit pour les oedèmes et les problèmes circulatoires et respiratoires), mais également de l’Eukodal (substitut morphinique utilisé comme antidouleur et dont les effets sont deux fois plus forts que ceux de la morphine, aujourd’hui dénommé Oxycodone), ou encore de l’Eupaverine (un opiacé alcaloïde antispasmodique).

 

 

À l’instar de John Fitzgerald Kennedy quelques années plus tard, Hitler prend sur les conseils de Morell, pour renforcer sa libido et lutter contre la fatigue et la dépression, des hormones mâles et des stéroïdes, tels l’Orchikrin (extrait de testostérone d’origine bovine), la Testoviron (stéroïde anabolisant), le Gyconorm (stéroïde à base de glande de bovin et de pancréas de porc), ou le Prostakrinium (hormones à base d’extraits de prostate et de vésicule). Contre les bactéries et microbes, Morell lui recommande de l’Omnadine, un mélange de protéines, ou, contre les infections liées au froid, des sulfamides : l’Ultraseptyl.

 

Libido et flatulences

Enfin, pour lutter contre ses insomnies et accès de colère, il lui prescrit des barbituriques à effet sédatif, tels que le Brom-Nervacit (aujourd’hui à usage vétérinaire), le Luminal (contre les insomnies sévères) ou le Tempidorm (utilisé comme traitement contre la dépression et les troubles bipolaires). La flatulence du Führer est traitée par les pilules antigaz du Dr Köster composées de belladone et de strychnine (mort aux rats), un alcaloïde toxique alors utilisé pour ses propriétés stimulantes. D’après son valet, Hitler en prenait jusqu’à 16 comprimés par jour, dont certains estiment qu’ils contenaient une dose proche de la dose maximum. Le Führer aurait-il été empoisonné progressivement par cette molécule ? Là encore les avis divergent.

Il y a surtout les fameuses “Vitamultin – Calcium ou Fortes”, en comprimés ou en injections concoctées par Morell, dont on ne connaît pas avec certitude les ingrédients et dont on estime que les “Fortes” contiennent de la Pervitine, méthamphétamine psychostimulante hautement addictive. La mention de ce médicament apparaît pour la première fois dans le journal de Morell, à la date du 14 mars 1944 : “Patient A. Première prise de Vitamultin Forte. Réaction modérée… Il est éreinté… Le Führer est très satisfait.”

Le Dr Ernst-Günther Schenck, un SS Standartenführer présent lors des derniers instants d’Hitler dans son bunker, fait examiner ces pilules “Fortes” et assure qu’elles contiennent des méthamphétamines. Les commandes de cette drogue sont effectuées discrètement et sans prescription auprès de la pharmacie Engel-Apotheke de Berlin, qui doit en permanence conserver un stock adapté aux besoins. Les pilules destinées au Führer sont emballées dans un papier doré portant la mention “SF” Sonderanfertigung, ou “SRK” Sonderanfertigung Reichskanzlei, lorsqu’elles sont destinées à la chancellerie. Pour plus de discrétion, elles sont délivrées par coursier au quartier général du Führer, en Prusse-Orientale, ou à la chancellerie du Reich, à Berlin. À partir de 1944, les Vitamultin Fortes partent directement du laboratoire d’Hamma Gmbh. Le Dr Kurt Mülli, chef chimiste de ce laboratoire, proche de Morell, effectue lui-même ces préparations avec la permission des autorités locales. Le Führer prend également, à compter de 1944, de l’Eukodal (opioïde synthétique) mixé à de la cocaïne, un mélange connu aujourd’hui sous l’appellation de Speedball et particulièrement détonnant. L’opioïde ralentit le rythme cardiaque et la cocaïne l’augmente, au risque de rendre ce cocktail fatal.

 

“Pilule magique”

L’armée, l’entourage du Führer, et même parfois la population civile sont friands des drogues de synthèse, dont à l’époque on ne connaît pas les effets secondaires. La Pervitine, très prisée, est considérée comme la drogue du peuple. Qualifiée aujourd’hui de Cristal-Meth, cette méthamphétamine a été découverte par un chimiste du laboratoire allemand Temmler de Berlin et mise sur le marché à la fin des années 1930. Elle accroît la vigilance, la résistance à la fatigue et donne un sentiment d’invincibilité. En matière de drogues, les laboratoires allemands ont toujours été prolifiques : la morphine a été développée par le laboratoire Merck et l’héroïne par Bayer à Darmstadt, à la fin du XIXe siècle. Son nom vient de “heroisch” en allemand, car le laboratoire pensait alors qu’elle soignait l’addiction à la morphine, sans accoutumance. Bayer est fier d’annoncer : “Heroin ist ein schönes Geschäft”, l’héroïne est un beau business.

L’heure n’est plus à ces drogues désormais considérées comme nocives mais aux substances de synthèse, telles la Pervitine, l’Eukodal, ou aux barbituriques. Dans l’armée, la première, dite “pilule magique”, est largement distribuée dans l’infanterie, dans la marine et aux pilotes d’avion ou conducteurs de chars. Dans la Wehrmacht, outre l’alcool à outrance, cette drogue permet aux soldats de rester éveillés durant les marches et de réduire leur anxiété sur le front. Une fois son efficacité démontrée après l’invasion éclair de la Pologne, la Wehrmacht décide de commander plus de 35 millions de pilules pour envahir la France en 1940. Elles sont parfois distribuées sous forme de chocolat noir, connue sous des appellations aussi différentes que Panzerschokolade pour les équipes de chars d’assaut, ou Fliegerschokolade pour l’armée de l’air.

 

 

Le prix Nobel de littérature 1972, Heinrich Böll, stationné en 1939 en Pologne, puis envoyé sur le front russe, offre un témoignage fiable de cette addiction dans ses lettres où il supplie sa famille de lui en faire parvenir : “C’est dur ici et j’espère que vous comprendrez si je ne peux vous écrire qu’une fois tous les deux ou quatre jours dans un premier temps. Aujourd’hui je vous écris surtout pour vous demander de la Pervitine […]. Je vous embrasse, Hein.” Cette drogue est si populaire que beaucoup de soldats s’en procurent à titre personnel. Un chocolatier berlinois fabrique même des pralines à la Pervitine, les Hildebrandt-Pralinen, qu’il recommande aux femmes au foyer déprimées. Posologie : 3 à 9 par jour avec pour slogan, comme dans la chanson des Rolling Stones, Mother’s little helper : “Un petit coup de pouce pour maman ». La distribution est sans contrôle jusqu’à 1940, lorsque le ministre de la Santé du Reich, Leonardo Conti, prend conscience des effets secondaires du produit et tente de soumettre la population civile à une obligation de prescription, sans succès. Cette drogue est aujourd’hui illégale et réglementée depuis 1971 par la convention sur les psychotropes. À la suite de blessures par balle, Hermann Göring est lui-même dépendant de la morphine depuis les années 1920. Son sevrage n’interviendra que lors de son incarcération, en 1945. Dans sa valise auraient été trouvées 24 000 pilules d’opioïdes, principalement de l’Eukodal. Les somnifères sont également un vrai fléau social au point que le même Conti, en avril 1940, estime que “la consommation est devenue aujourd’hui tellement importante qu’il va nous falloir réagir ».

 

Un patient difficile

À partir du mois d’août 1941, Adolf Hitler sollicite quotidiennement le docteur Morell, qui se doit d’être à l’entière disposition de son “Patient A”. Le docteur tient, selon les années, un agenda qu’il noircit quatre jours par page, d’une écriture brouillonne et illisible. Il y décrit sommairement ses visites, précisant le pouls et la condition physique et psychologique du Führer, ainsi que le traitement administré. Mais les données sont lacunaires. Parfois, il mentionne “injection habituelle” ou “x”, ce qui rend complexe l’analyse au quotidien des substances prescrites. Certains jours, il note simplement : “pas de traitement”.

Hitler est un patient difficile qui refuse quelquefois de se soumettre à certains examens médicaux, tels des scanners, ou aux recommandations d’hygiène de vie élémentaires. Morell lui enjoint de faire des marches quotidiennes et de se reposer davantage mais ses conseils ne sont pas suivis. Nombreuses sont les nuits où il ne dort qu’entre deux et cinq heures, parfois moins, et il ne fait plus que quelques pas pour promener sa chienne “Blondie”.

La dégradation physique du Führer coïncide avec le déclin du IIIe Reich. L’année 1941 marque un tournant décisif dans la guerre. Le conflit devient mondial et le génocide des juifs s’amplifie. L’Angleterre de Churchill a décidé de poursuivre le combat, les États-Unis sont entrés en guerre et l’invasion de l’Union soviétique, initiée par l’opération Barbarossa, déclenchée le 22 juin 1941, va rapidement tourner au fiasco pour le Reich.

L’Allemagne est désormais engagée sur deux fronts et les nerfs d’Hitler sont à rude épreuve. Depuis le 24 juin, pour être au plus près des opérations, il a rejoint la “Tanière du Loup”, un lieu insalubre, humide, froid, dont l’air est vicié et l’eau polluée. Il y restera plus de quatre mois. Morell s’y rend également et relate dans son journal que pour la première fois son patient est alité. Il est atteint d’une forte dysenterie avec des crampes d’estomac, de la fièvre, ainsi que des tremblements et des bourdonnements d’oreilles. Sa tension passe à 170 mm alors que, normalement, elle est en moyenne à 143 mm, et son pouls de 72 pulsations par minute à 92. Il dort de moins en moins. Il est parfois si sensible qu’il repousse son injection habituelle. “Je ne l’ai jamais vu si hostile à mon égard”, précise son médecin le 8 août 1941. Morell peut désormais étudier son patient au quotidien et il estime que les maladies d’Hitler sont psychiques, mais il se contente de lui parler “d’inflammation des nerfs”, ou de névrite. À la fin du mois, sa santé s’améliore mais son médecin le conjure de quitter cet endroit malsain. À l’hiver, alors que la Wehrmacht se trouve dans les faubourgs de Moscou, l’armée Rouge lance une première contre-offensive victorieuse. Après s’être fourvoyé sur les intentions de l’Allemagne, Staline reprend la main. À la fin de l’année, de nombreux hauts gradés du Reich décèdent ou sont relevés de leurs fonctions pour problèmes de santé.

 

“Tous perdent leurs nerfs”

Au cours de l’année 1942, la dégradation se poursuit : “Combien ces trois mois ont miné mes forces nerveuses… parce que tout a échoué, je suis devenu un menteur sans avoir à mentir”, indique Hitler en février. Il ajoute : “Tous perdent le contrôle de leurs nerfs et pour terminer je reste le seul qui tienne encore debout.” À l’automne, il se rend à son quartier général de l’est près de Vinnystsia, en Ukraine, un lieu appelé Werewolf, “Loup-garou”. La chaleur est telle (plus de 40 °C) qu’il attrape une forte grippe. Certains dans son entourage notent un changement notable de sa personnalité que l’on attribue parfois au traitement du docteur Morell.

À la fin de cette année, le 17 décembre, le médecin note dans son carnet : “Le Führer ne vit que pour l’Allemagne… Il sait qu’il n’existe aucune herbe contre la mort. Il souhaite que, si son état de santé devient dangereux, je l’en informe immédiatement… Le Führer a dit avoir totalement confiance en moi et que je devrais toujours le soigner seul, ce qui me convient.” ”

 

Le Pouvoir sur ordonnance – Ces drogués qui ont fait le XXème siècle, Tania Crasnianski, Ed. Grasset, octobre 2017, 20 euros.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Tania Crasnianski

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