La ministre de la Santé fait de la lutte contre les actes inutiles et la recherche de la pertinence des soins, l’alpha et l’oméga de sa politique de santé. Selon deux économistes de la santé, Jean de Kervasdoué* et Roland Cash**, également biologiste et médecin, cette recherche de l’efficience dans notre système de santé permettrait une économie annuelle de 7 à 8 milliards d’euros. Ils le démontrent dans “La coûteuse inégalité des soins” (Ed. Economica), exemples à l’appui.

 

La véritable inégalité, c’est celle des soins, qui diffère selon l’endroit où l’on rentre dans le système”, affirme Jean de Kervasdoué.  “Alors que les règles qui s’imposent aux acteurs de soins sont les mêmes pour tous, on note une très grande hétérogénéité sur notre territoire. Pourquoi une telle variation ? C’est la preuve que notre système n’est pas contrôlé”, estime-t-il.

Roland Cash, considère lui aussi, que le temps de la “politique du rabot menée depuis des années a atteint ses limites” et qu’il faut passer à autre chose, un recherche de la “pertinence des actes permettant d’améliorer la balance entre les bénéfices et les ressources”. Précisément, la politique que le gouvernement veut mener pour réformer le système de santé, dans une stratégie de parcours harmonisant les relations entre l’hôpital et la ville.

 

Comment y parvenir ?

Des exemples valant mieux qu’un long discours, les deux auteurs ont classé les gisements d’économies possibles en quatre catégories. Ils les ont développées lors d’une conférence de presse, à la MGEN (Mutuelle générale de l’Education nationale).

 

Les événements indésirables graves (EIG)

Ils représenteraient 11 % des causes de décès. En 2009, la Drees a recensé entre 300 000 et 400 000 EIG durant une hospitalisation ou ayant induit une hospitalisation. En 2012, la Drees a entrepris de calculer les conséquences de 9 EIG (sans interactions médicamenteuses), représentant 0,5 % des séjour, soit encore 682 millions d’euros. Le plus coûteux sont les désordres physiologiques et métaboliques postopératoires (260 millions), les septicémies (155 millions), les escarres (137 millions) et les embolies pulmonaires post opératoires (71 millions). Les auteurs précisent que les coûts directs et indirects induits par le patient après son hospitalisation n’entrent pas dans le calcul.

Jean de Kervasdoué et Roland Cash estiment également que le maintien de l’activité chirurgicale de petits hôpitaux (en dessous de 2 000 actes par an) ne permet pas à une équipe médicale de maintenir des effectifs suffisants avec les compétences requises. En 2015, 70 établissements étaient concernés par cet effet de seuil.

 

Eviter les actes inutiles et améliorer la pertinence des soins

En 2013, un rapport de l’Académie nationale de médecine observait : “La pertinence des stratégies médicales est la base de la médecine sobre qui dans une approche humaniste, soigne mieux et à moindre coût”. L’Académie concluait, fataliste, “Au total, on a le sentiment que les appels incantatoires en faveur de la pertinence n’ont que des échos modestes sur le terrain”. C’est précisément ce à quoi la ministre de la Santé veut s’attaquer.

Là encore, les deux auteurs font du name dropping :

•   Actes inutiles en imagerie médicale

Radios du crâne.  “C’est un acte médico-légal qui ne sert à rien, sauf pour les présomptions d’enfants battus ou de myélome. Pourtant, on en fait à la pelle aux urgences et en ville”, ironisait le Dr Roland Cash. Un rapport de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sureté nucléaire) estimait avec la CNAM, qu’à raison de près d’1 millions de radiographies du crâne annuelles, 24 millions d’euro ont été dépensés entre 1999 et 2012, pour un acte inutile dans la grande majorité des cas.

Imagerie en cas de lombalgie chronique.Plus de 2,6 millions de personnes ont eu un acte d’imagerie lombaire qui ne sert à rien. Pire, qui est néfaste car cela médicalise un problème qui ne devrait pas l’être”, ajoute Roland Cash.

•   Actes inutiles en biologie médicale :

Bilans non ciblés, redondance des analyses effectuées à l’hôpital et en ville… On a effectué par exemple 4,5 millions de détermination de groupe sanguin en France en 2015 (soit 31 millions de dépenses, sans compter les tests effectués à l’occasion d’une hospitalisation ou de dons du sang.  “Or, on nait avec un groupe sanguin dont on ne change pas durant la vie. Pourquoi répéter à l’infini cette détermination ?”, s’interroge l’auteur.

Epidémie de carencés en vitamine D : jusqu’à 9 millions d’actes en 2013 pour une dépense de 139 millions. La presse s’était fait l’écho de cette préoccupation alors que, hormis pour quelques cas bien ciblés (rachitisme, ostéomalacie, personnes âgées faisant des chutes à répétition, transplanté rénal notamment), ce dosage “ne sert à rien”. La CNAM a dit stop en 2012, à l’occasion d’une campagne d’information relayée par les biologistes, ce qui a fait chuter spectaculairement la demande. ‘Ce sont près de 100 millions d’euros qui ont été dépensés pour rien”, peste le Dr Cash.

Dosages thyroïdiens. Les deux auteurs estiment également qu’une économie de près de 100 millions liée à de mauvaises pratiques, peut être réalisée sur les dosages thyroïdiens (TSH). “On a noté 18 millions de dosage de THS en 2015, contre 4 millions en 2000, pour une pathologie qui ne connaît pas d’évolution majeure”. Le rappel aux prescripteurs n’a pas modifié la tendance. La CNAM promet de s’y pencher sérieusement.

•   Actes de chirurgie non pertinents

Chirurgie de l’obésité. Cette technique a connu un boom entre 2006 et 2015, malgré les campagnes d’information de l’assurance maladie pour freiner certains excès. Aujourd’hui, la pose d’anneaux gastriques ajustables, technique réversible, recule au profit des interventions de by-pass et surtout de sleeve gastrectomie, très peu pratiquée en 2006 et qui représentent la grande majorité des interventions en 2015, les anneaux réversibles ne formant plus que 6 % des interventions.

En moyenne, la croissance de ces interventions est de 16 % par an et l’on compte en France un demi- million de personnes ayant subi une intervention de chirurgie bariatrique. A mettre en regard avec la prévalence de l’obésité, qui est de 6 % par an dans notre pays.

Mais ce qui interroge surtout, ce sont les énormes disparités notées entre diverses régions de France : de 1 (Guyane) à 21 (Haute Corse), “sans rapport avec la fréquence de l’obésité”, brocardent les auteurs qui relèvent également que 66 % des actes sont effectués en secteur privé “dont le suivi post-opératoire est moins bien organisé que dans le secteur public”. La CNAM note par ailleurs, que la supplémentation nutritionnelle et vitaminique des patients opérés est insuffisante. Ce qui pose le problème du suivi au long terme. La CNAM relève également qu’alors que cette chirurgie n’est pas recommandée pour les mineurs, 114 intervention, en 2013, ont été réalisées sur les 13 à 17 ans, auxquelles se sont ajoutées 640 interventions pour de jeunes patients de 18 et 19 ans.

Thyroïdectomies. 46 477 ablations de la thyroïde ont été réalisées en 2014. Une analyse des parcours de soins de plus de 35 000 personnes ayant subi cette intervention a été réalisé par la CNAM en 2010. Elle tend à démontrer “un taux important de non pertinence des décisions médicales”.  Avec pour conséquences, la nécessité d’un traitement par hormones thyroïdiennes obligeant à un suivi régulier. Ce facteur aurait contribué à “l’augmentation anormale” du nombre de patients sous Levothyrox en France  (4 millions de boites en 1990, 34 millions en 2012). 2,9 millions de personnes sont traitées par cette molécule avec une augmentation de 35% entre 2006 et 2012. “Plusieurs facteurs entrent en jeu dans cette augmentation, mais le fait de retirer la thyroïde à des personnes qui auraient pu la garder y contribue”, écrit le Dr Cash.

•   Les prescriptions pharmaceutiques

Là encore, plusieurs catégories sont dessinées par les deux économistes de la santé.

Inutiles : Sont classés dans ce chapitre, les médicaments contre la maladie d’Alzheimer (que Marisol Touraine a décidé de maintenir au remboursement malgré l’avis négatif de la HAS) et l’homéopathie (60 millions de remboursements annuels par l’assurance maladie, 179 millions en tout avec la contribution des assurances privées et mutuelles). Au cœur d’une  polémique sur son efficacité, Agnès Buzyn a également déclaré très récemment que le déremboursement de l’homéopathie (dont elle a comparé l’efficacité à celle de l’effet placebo), n’était “pas à l’ordre du jour”.

Trop prescrits : les statines (1,2 milliard d’euros), efficaces mais prescrits hors AMM, en prévention primaire alors que le débat fait rage et n’est pas tranché.

A l’aveugle : les antibiotiques (780 millions d’euros déboursés en 2016) sont encore trop largement prescrits, et génèrent l’émergence de bactéries multirésistantes (12 400 décès en France en 2012). “On meurt plus d’antibiorésistance que d’accidents de la route ou de suicide dans notre pays. Diminuer d’un tiers notre consommation d’antibiotiques permettrait d’économiser 260 millions d’euros” affirme le Dr Roland Cash.

En excès : la polymédicalisation de personnes âgées est mise en cause par les auteurs car elle augmente l’iatrogénie, diminue probablement l’observance des traitements et a un coût élevé.  Entre 25 et 40 % des personnes de plus de 75 ans ont plus de 10 médicaments par ordonnance. Ce qui est “absurde” d’un point de vue pharmacologique. Confidence d’un gériatre à Jean de Kervasdoué : “Oui, ils en prennent trop, mais heureusement, ils les prennent pas…”.

Les psychotropes. Addictions, effets secondaires. Les mises en gardes semblent ne rien y faire, les Français consomment plus de psychotropes que les habitants des autre pays développés, notamment en EHPAD.

 

Comment améliorer la situation ?

Pour les auteurs, grâce à un meilleur recours à la chirurgie ambulatoire, une meilleure prise en charge des malades chroniques, un plus grand recours à la greffe de rein par exemple, et une réduction de la perte de chance liée aux disparités de recours aux soins d’une région à une autre, entre 7 et 8 milliard d’euros d’économies annuelles sont possibles.

Pourquoi tant de disparités entre les régions ? Jean de Kervasdoué incrimine l’absence de régulation réelle du système, l’effet pervers du paiement à l’acte qui peut induire une course à l’acte, et un recours à la FMC insuffisant pour contrer les mauvaises habitudes.

Et alors que la mutualité française estime qu’il faut reconsidérer la convention médicale pour passer à une régulation effectuée à l’échelle locale, Jean de Kervasdoué plébiscite pour la ville, le recours à la capitation “volontaire”. “Mais il n’y a pas d’étude sur le sujet en France. Pourquoi l’assurance maladie ne l’a-t-elle pas fait ?” s’étonne l’ancien directeur des Hôpitaux de François Mitterrand qui plaide aussi pour la nécessité d’un regroupement des structures publiques et privées.

 

*Jean de Kervasdoué est ancien directeur des hôpitaux sous le premier septennat de François Mitterrand,  professeur émérite au Cnam, membre de l’Académie des technologies et directeur de collection aux éditions Economica (économie de la santé).
** Roland Cash est médecin, biologiste et économiste, ancien élève de l’Ecole normale supérieure et consultant auprès des institutions de santé (PMSI, T2A).

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne

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