Vieilles habitudes des médecins, exigences des patients, tarifs des transporteurs… Ces dernières années, les remboursements de transports sanitaires ont explosé. Pour ralentir la cadence et parvenir à économiser 75 millions d’euros cette année, la Cnam redouble d’efforts de sensibilisation. Un seul mot d’ordre : remédicaliser cette prescription, devenue trop banale.

 

C’est le cancer de l’assurance maladie. Année après année, alors que partout ailleurs les mesures d’économies portent leurs fruits, la facture du transport sanitaire ne cesse de s’alourdir. En 2017, elle s’élevait à 4.8 milliards d’euros, soit une augmentation de 4.2% en un an. Un rythme deux fois supérieur à la croissance de l’Ondam (+2.1%). Les rapports et les missions se sont succédé pour sonner l’alarme, sans effet : entre 2003 et 2014, l’enveloppe consacrée au transport sanitaire a bondi de 71%.

 

 

Certes, cette hausse s’explique en partie par l’évolution des besoins : augmentation et vieillissement de la population, poids accru des pathologies chroniques et part croissante des patients en ALD (16.4% en 2014). Ces derniers ne représentent pas moins de 60% des 5.67 millions de patients transportés et 80% des dépenses, le taux moyen de prise en charge transport pour ces patients s’élevant à 93%. En tête : cancer, insuffisance rénale chronique terminale, pathologies cardiovasculaires et psychiatriques.

 

Haro sur les taxis

La démographie n’est pas seule en cause*. Le virage ambulatoire et les regroupements de plateaux techniques à l’échelle des territoires ont multiplié et allongé les déplacements. Mais ce sont surtout les tarifs des transporteurs, régulièrement revalorisés, qui sont montrés du doigt. Si les dépenses correspondant au remboursement de transports effectués en véhicules sanitaires légers (VSL) sont restées stables entre 2003 et 2014 (800 millions d’euros), celles des ambulances ont augmenté de 88%, pour atteindre 1.7 milliard. Quant aux dépenses de taxi, elles ont triplé, passant de 500 millions d’euros à 1.4 milliard, soit 40% de l’enveloppe globale.

Pour Thierry Schifano, président de la Fédération nationale des transporteurs sanitaires (VSL et ambulances), ce sont eux qui “s’en mettent plein les poches”, “Quand on fait le ratio entre le chiffres d’affaires et le nombre de transports effectués, on voit bien qu’ils ont une forte rentabilité”, pointe-t-il. Alors que les entreprises de VSL et d’ambulances culminent à 3% de rentabilité et “dégringolent”, “, assure-t-il. “Le taux moyen de remplissage des véhicules sanitaires est de 40-42%. Sur une journée de 12 heures, on ne facture à l’assurance maladie que 5 heures, seulement quand le patient est à bord. Si on augmentait notre activité, on pourrait baisser nos tarifs”, plaide Thierry Schifano. Quant aux taxis, qui ont d’autres sources de revenus, ils devraient être moins chers que les VSL “dont c’est le métier”, juge-t-il.

 

 

Or, ce n’est pas le cas. Bien qu’ils relèvent de la même catégorie de prescription (le transport assis professionnalisé) et que leurs obligations professionnelles soient moins exigeantes, les tarifs des taxis sont supérieurs de 25 à 30% à ceux des VSL (à l’exception des trajets de moins de 15km), pointaient en 2016 une “Revue de dépenses” réalisée par trois corps d’inspection générale**. La convergence tarifaire entre VSL et taxi permettrait pourtant de réaliser 30 millions d’économies par an, estiment-ils.

Problème : si les tarifs des transporteurs sanitaires sont négociés avec la Cnam dans le cadre conventionnel, ceux des taxis sont fixés par le ministère de l’Intérieur selon des critères purement économiques. Alors que c’est la Cnam qui “solvabilise une très large partie de leur activité, notamment dans certains territoires”, relève Annelore Coury, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins. Le transport de patient pris en charge par l’assurance maladie représentait en effet plus de 50% (en montant) de l’activité des taxis en 2015, contre 26% en 2003. Sur la même période, le nombre de taxis conventionnés a bondi, passant de 20% des véhicules en 2003 aux deux tiers en 2015. Et la tendance n’est pas près de s’inverser, reconnaît Didier Hogrel, président de la Fédération nationale du taxi (FNDT), l’un des principaux syndicats de la profession : “A Paris, ces deux dernières années, il y a eu une hausse du nombre de taxis conventionnés du fait de la baisse de l’activité avec la concurrence des VTC. En province, ils sont quasiment tous conventionnés et à certains endroits le transport de patients représente 100% du chiffre.” Ce que déplore le syndicaliste : “Il n’est pas bon de mettre tous ses œufs dans le même panier.”

 

Réclamation des patients

D’autant que la Cnam compte renégocier les remises octroyées par les taxis dès cette année. “Une grosse partie des conventions locales passées entre les CPAM et les taxis vont arriver à échéance, relève Annelore Coury. Nous allons travailler à fixer le nouveau cadre dans lequel elles seront négociées : taux de remise, facture des frais d’approche, du temps d’attente, retour à vide, etc.” Mais pour la Fédération des taxis, il n’est pas question d’aller au-delà de la précédente convention-type, qui prévoyait entre 5 et 15% de remise. “La marge bénéficiaire d’un taxi est de 28%. La viabilité de nos entreprises nous interdit d’aller au-delà de 15% de remise”, lance-t-il, lassé de voir les taxis servir de boucs-émissaires. “Dire que les taxis sont responsables de l’envolée de la facture des transports, c’est faux. Nous ne sommes que des exécutants !”. Sur ce point, le représentant des taxis et celui des transporteurs sanitaires s’accordent : “Nous sommes une profession prescrite”, rappelle Thierry Schifano, qui regrette que les transporteurs fassent les frais d’un système désorganisé par l’éparpillement des responsabilités.

 

 

C’est en effet vers les prescripteurs que la Cnam concentre l’essentiel de ses efforts, notamment vers les établissements hospitaliers et centres de dialyse, qui génèrent 63% de la dépense. Objectif : dégager 75 millions d’euros d’économies en 2018 sur ce poste, dans le cadre de l’amélioration globale de la pertinence des actes. Le mot d’ordre : remédicaliser le transport. “Le caractère médicalisé de cette prescription s’est estompé au profit de la réclamation par les patients d’un droit à un bon de transport”, soulignait en 2014 le député Pierre Morange dans son rapport d’information. “Le médecin doit s’interroger à chaque fois qu’il fait une prescription sur le bon moyen de transport, rappelle Annelore Coury. L’ambulance coûte plus cher***. Si le patient a besoin de recourir à ce type de transports, il doit pouvoir le faire, dès lors que cela répond aux exigences médicales” : besoin d’un brancardage ou d’un portage, position allongée ou semi-assise, surveillance par une personne qualifiée ou administration d’oxygène, ou bien transport dans des conditions d’asepsie. De même, “le VSL ou le taxi, c’est quand le patient a besoin d’une aide pour se déplacer”, insiste la directrice déléguée de la Cnam. Dans le cas contraire, la caisse peut rembourser une partie des frais engagés par le patient qui prend son véhicule personnel ou les transports en commun.

Pour redresser la barre, la Cnam active plusieurs leviers. La sensibilisation, d’abord : en 2017, les délégués de l’assurance maladie ont rendu visite à 5670 médecins libéraux qui se distinguaient par leur fort taux de prescription de transports, comme les néphrologues, pour leur rappeler les règles de bonne pratique. L’organisation ensuite : au sein des établissements, l’assurance maladie plaide pour le déploiement de plateformes de centralisation et de régulation des commandes de transport afin de “fluidifier les demandes et éviter les temps d’attente trop longs” -et coûteux, ajoute Annelore Coury. Ces plateformes, déjà utilisées par une cinquantaine d’établissements, devraient faciliter l’organisation de transports simultanés pour les patients dialysés et en hospitalisation de jour. Plébiscité par les transporteurs comme par les patients, le transport partagé ne représentait en 2015 que 15% des déplacements en VSL.

 

“Les médecins sont mis devant le fait accompli”

Le contrôle, enfin : “En 2016, 14 millions d’euros d’abus ont été détectés, impliquant 753 transporteurs”, rapporte la directrice déléguée de la Cnam. Il s’agit aussi de vérifier que les prescriptions ont bien été réalisées préalablement aux transports, de ne plus les rembourser dans le cas contraire, et de récupérer les sommes indues auprès des transporteurs. Plus simples, plus rapides, les prescriptions dématérialisées que veut développer l’assurance maladie devraient prévenir ces dérives, que les médecins subissent au quotidien. “Les médecins sont mis devant le fait accompli, note Claudine Quéric, directrice de la CPAM d’Ille-et-Vilaine, qui a récemment fait campagne “pour redonner à la prescription de transport sa juste place” (voir ci-contre). On leur demande de ne plus régulariser ces situations, car ils engagent leur responsabilité.”

Mais l’enjeu est surtout de responsabiliser les hôpitaux, les plus gros prescripteurs, en jouant sur leur porte-monnaie. Créés par la LFSS 2016 et signés entre les CPAM, l’ARS et l’hôpital, les contrats d’amélioration de la qualité et de l’efficience des soins (Caqes) peuvent inciter les établissements à davantage de pertinence, moyennant un intéressement financier. L’article 80 de la LFSS 2017 va plus loin : il met à la charge des hôpitaux les dépenses de transports interhospitaliers, évaluées à 125 millions d’euros, à compter du 1er octobre prochain. A terme, toute l’enveloppe pourrait leur être transférée.

 

*Sur une hausse de 19.2% entre 2011 et 2015, la Drees estime que les facteurs démographiques ne contribuent qu’à hauteur de 7.1 points.
**IGF, Igas, IGA.
***98 euros en moyenne pour un trajet en ambulance de 16km, contre 39.80 euros pour un transport assis de même distance (VSL ou taxi).

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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