Deux ans de recherche et développement, des tests en cours au CHU de Bordeaux impliquant des dizaines de médecins, un partenariat avec la prestigieuse université de Stanford… La jeune start-up française Synapse, dirigée par un médecin, débarque dans le secteur très concurrencé de la e-santé avec un projet en béton : une plateforme qui aide les généralistes à prescrire le bon médicament, en déjouant les pièges des interactions. Une sorte de “Siri de la prescription”, basé sur les recommandations officielles. Explications de son PDG, le Dr Clément Goehrs, médecin de santé publique au CHU de Bordeaux et chercheur à l’Inserm.

 

Egora.fr : Comment est né ce projet ?

Dr Clément Goehrs : On est trois co-fondateurs, deux médecins et un ingénieur informatique. Le projet est né à la fois de notre activité professionnelle et de notre rencontre, il y a trois ans. Moi, je suis médecin de santé publique ; je fais quasi-exclusivement de la recherche. Louis Letinier, l’un des deux autres co-fondateurs, est médecin pharmacologue. Il est confronté tous les jours à des médecins qui l’appellent au sujet d’interactions médicamenteuses, ou pour savoir s’ils peuvent prescrire tel ou tel médicament. L’un de nos premiers cas d’usage a été de nous rendre compte que l’information sur l’interaction médicamenteuse est très compliquée à obtenir, puisque la source c’est un PDF de 200 pages de l’ANSM qui prend pas mal de temps à consulter… Même s’il y a déjà des logiciels, ils ne répondent pas vraiment aux besoins des professionnels de santé.

Quels sont les besoins concrets des généralistes ? Leurs principales difficultés ?

Les médecins généralistes, comme tous les médecins, ont un manque chronique de temps. Et prescrire, de manière générale, est de plus en plus compliqué. On a une source continue d’informations sur les recommandations de bonnes pratiques. La plupart des MG s’informent, mais c’est compliqué de le faire en permanence et d’avoir accès à l’information. Surtout dans une consultation de 15 minutes où le patient arrive déjà avec une ordonnance de 10 médicaments… Il y a un vrai besoin d’information accessible et contextualisée. Pour qu’on n’ait pas besoin de dérouler les 10 RCP des médicaments et de consulter le Vidal, parce qu’encore une fois il n’y a pas le temps. Tout ça avec des sources de confiance, validées par l’ANSM, la HAS.

L’idée n’est pas du tout de tout prescrire à la place du médecin, mais de lui donner un outil qui lui fasse gagner du temps, pour qu’il puisse se consacrer à d’autres choses lors de la consultation.

Vous évoquez la complexification de la prescription… Vous pensez aux personnes âgées poly-médiquées ?

C’est un sujet important et pas qu’en France. Aux Etats-Unis, 40% des personnes de plus de 65 ans prennent plus de 5 médicaments par jour (et 20% des plus de 45 ans). La population vieillit, les maladies se chronicisent. Il y a donc une tendance naturelle à ce que la population consomme de plus en plus de médicaments.

Je ne dis pas que c’est mal : il peut y avoir des ordonnances de dix médicaments qui sont tout à fait justifiées. Mais le constat qu’on en tire, c’est que ça amène un niveau de complexité inédit, je pense, dans l’histoire de la prescription. Qui dit complexité qui augmente, dit nouveaux outils à inventer.

Mon père est généraliste, ma sœur est gériatre. Je sais à quel point c’est quasi mission impossible de revoir entièrement une ordonnance de 10 ou 15 médicaments quand on a que 15 ou 20 minutes de consultation.

Vous ciblez uniquement les interactions médicamenteuses ?

Non. Historiquement on a travaillé sur les interactions médicamenteuses, qui génèrerait entre 8 000 et 10 000 décès par an. Mais ce n’est qu’une petite partie d’un problème plus global, qui est celui de l’explosion de la complexité de la prescription et des effets délétères qui en découlent. On est vraiment sur le point de l’aide globale à la prescription : indications, adaptation de la posologie à l’âge, à la fonction rénale du patient par exemple…

Il y aussi des choses à faire pour donner une meilleure information aux patients, mais c’est complexe, et on avance très lentement sur le sujet ; ce n’est pas notre priorité. En tant que jeune start-up on a également été amené à travailler de plus ou moins loin avec les assureurs et les mutuelles, tout en conservant notre indépendance. On ne travaille absolument pas avec l’industrie pharmaceutique, notamment pour garder notre indépendance scientifique.

Pour élaborer votre plateforme, vous avez analysé plus de 55 millions d’ordonnances. Quels problèmes avez-vous soulevés ?

On en dira plus plus tard. On communiquera de manière scientifique là-dessus, en collaboration avec l’Université de Stanford (Etats-Unis) et le CHU de Bordeaux. Manipuler les données en lien avec le médicament, ça n’a rien à voir avec le e-commerce, il faut comprendre les données et être méthodiquement très carré. C’est d’ailleurs pourquoi je milite pour que les professionnels de santé soient impliqués dès le début, dans le développement des nouveaux outils en e-santé.

Les outils que vous développez pourront-ils être intégrés aux différents logiciels métier des médecins ?

Pour l’instant, on n’ y n’est pas car c’est difficile ; il y a des problématiques tant techniques que légales. On souhaite mettre à disposition un outil via le smartphone ou l’ordinateur. Notre approche est itérative : on travaille avec des internes en médecine, et avec un nombre restreint de béta-testeurs qui nous font leurs retours, pour produire à la fin quelque chose qui soit calé sur leurs besoins. Mais notre idée, au final, c’est d’être intégré partout.

Concrètement, comment se présentera votre outil ?

Le médecin aura sur son téléphone et son PC un outil sur lequel il pourra poser en langage naturel n’importe quelle question sur la prescription et la réponse reviendra avec les sources fiables annotées. C’est un Siri de la prescription. L’élément de valeur, c’est que s’il vous faut plus de 2 secondes pour trouver l’information personnalisée et fiable, c’est qu’elle n’est pas utile, pas accessible.

On aimerait ne pas faire payer… mais il y aura peut-être une base de freemium.

Ne craignez-vous pas que les médecins soient culturellement réfractaires à l’innovation ?

C’est une idée qui colle aux basques des médecins, mais ce n’est pas le retour que nous avons ! La grande majorité des médecins avec qui on parle sont intéressés par l’innovation quand elle est utile et concrète. Les généralistes ne sont pas réfractaires à l’innovation quand elle est pensée pour eux et avec eux.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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