Critiqué après avoir publié une circulaire destinée à aider les praticiens à la rédaction de certificats médicaux dans le cadre de plaintes liées au Levothyrox, le Conseil national de l’Ordre des médecins a tenu à faire une mise au point et expliquer sa démarche. Son président, le Dr Patrick Bouet, en a profité pour décrypter l’affaire du Levothyrox et revenir sur les couacs qui ont abouti à cette situation.

 

Egora.fr : Certains médias ont dévoilé la publication d’une circulaire du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) destinée aux praticiens dans l’affaire du Levothyrox. De quoi s’agissait-il ?

Dr Patrick Bouet : Il s’agissait d’une circulaire de l’Ordre qui n’était pas destinée aux médecins mais aux présidents des conseils départementaux de l’Ordre des médecins (CDOM). Nous avons écrit cette circulaire parce qu’un certain nombre de médecins ont interrogé des conseils départementaux pour savoir comment ils devaient répondre aux demandes de certificats faites dans le cadre de l’affaire du Levothyrox. Ils devaient notamment remplir des certificats qui étaient demandés par les structures de justice ou de police.

Nous avons donc préparé une circulaire en termes juridiques qui avait pour objectif de dire aux présidents de CDOM trois choses. La première, c’est que les médecins devaient répondre à ces demandes de certificats ; cela fait partie de ce que les médecins doivent faire. La deuxième, c’est de rappeler l’environnement juridique dans lequel s’établit un certificat ; il s’agit d’un document qui correspond à un examen clinique et à la relation de ce que dit le patient, et non pas à une expertise. Enfin, la troisième chose, c’est de dire que si ce certificat devait être produit, il conduirait à une demande d’expertise de la part des autorités de justice puisque ça n’est pas le rôle du médecin traitant de la faire. C’est d’ailleurs formellement contre indiqué par le code de déontologie, puisqu’un médecin traitant ne doit pas être l’expert de son propre patient.

Nous voulions rappeler ces éléments dans la circulaire de manière à être sûrs que sur l’ensemble du territoire, l’Ordre des médecins, s’il était interrogé par les praticiens, répondrait qu’il faut établir ces certificats. C’est la responsabilité des médecins de concilier dans un certificat ce qu’ils constatent et ce qu’ils entendent.

Une polémique est justement née de ce dernier point. Il a été reproché à l’Ordre par certains patients de demander aux médecins de “décrire uniquement les faits médicaux personnellement constatés” et de “rapporter les dires du patient au conditionnel ou entre guillemets”…

Il s’agit effectivement de constater des éléments cliniques et d’entendre ce que dit le patient. Ce dernier peut décrire et expliquer au médecin des symptômes ou des choses ressenties. Il s’agit alors de mettre les propos du patient entre guillemets. Le Conseil d’Etat a rappelé de façon constante qu’il fallait bien faire la différence entre ce qui est constaté cliniquement et ce qui est relaté par le patient. C’est une constante juridique. Le Conseil d’Etat, à chaque fois qu’il a été amené à juger en appel des certificats, a toujours condamné un médecin dès lors qu’il ne faisait pas la différence entre les éléments constatés cliniquement et ceux qui étaient relatés.

De manière globale, comprenez-vous cette polémique autour du Levothyrox ?

L’affaire du Levothyrox a effectivement été une situation dans laquelle on a mis en évidence un certain nombre de difficultés. Le simple fait que ce que notre circulaire ait été mal interprétée montre bien que la situation reste très compliquée.

Pourquoi ?

Nous pensons qu’il y a eu des problématiques dans la gestion en amont de cette situation. C’est d’ailleurs pour cela qu’avec la présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens nous avons provoqué une réunion la semaine dernière au ministère. Nous sommes tombés d’accord avec la Direction générale de la Santé (DGS) et l’ANSM pour remettre à plat la façon dont nous protocolisons ces situations.

Cette réunion a eu l’avantage de mettre les acteurs autour d’une table. Il a été décidé de mettre en place un ensemble de travaux pour protocoliser les situations face aux médicaments. Nous avons mis en place un calendrier très précis de réunions de travail qui nous permettrons avant la fin de l’année de mettre en route des protocoles. Ils nous permettront, dès lors qu’il y aura des modifications dans les traitements ou des informations nouvelles, que les professionnels de santé, usagers de santé et acteurs institutionnels du médicament puissent être réunis dans des analyses communes qui permettront d’anticiper un certain nombre de problèmes.

Par exemple, le pictogramme femme enceinte sur les boîtes de médicaments. Nous nous rendons compte que cela a été mis en place sans que l’on demande aux associations de patients comment ils voyaient les choses.

L’ANSM a-t-elle était défaillante en matière de communication ?

On ne peut pas reprocher à l’ANSM de ne pas avoir communiqué, et nous étions nous-même vecteurs de communication. Nous avons envoyé des messages à la demande de l’ANSM vers les médecins. L’Ordre des pharmaciens a fait la même chose vers les pharmaciens. Le problème est né du contenu transmis et de la façon dont nous portons cette information. Nous avons dit à l’ANSM et à la DGS qu’il faut revoir la nature des messages que nous envoyons de façon à ce qu’ils soient très clairs et très compréhensibles pour l’ensemble des acteurs professionnels.

 

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On peut tout de même imaginer qu’un médecin est capable de comprendre un message donné par l’agence du médicament…

C’est évident que le médecin comprend le message, mais le médecin ne reçoit pas qu’un message par jour. Il en reçoit de la part de l’ANSM, de la DGS, des médias… Dans ce flot d’informations, il n’est pas certain qu’il puisse prendre connaissance de la totalité de chaque message.

Un médecin généraliste a porté plainte dans cette affaire, notamment pour avoir connaissance du dossier. Cautionnez-vous ce genre de démarche et envisagez-vous de porter plainte également ?

Pour l’instant, l’Ordre est dans la situation où il travaille avec ses partenaires institutionnels pour tenter d’améliorer l’ensemble du dispositif. Je ne suis pas dans une situation où je vais être un acteur de doléances. Je laisse la responsabilité à ceux qui veulent le faire. De notre côté, nous souhaitons surtout éviter que des situations de cette nature puissent se reproduire. Il faut tirer des enseignements d’une situation qui aurait pu être mieux gérée.

En ce qui concerne le changement de formule du Levothyrox, comment les choses auraient dû se dérouler ?

Dès lors que nous savions qu’il y allait avoir un changement de formule, nous savions qu’il pouvait y avoir des effets secondaires et des situations dans lesquelles il faudrait contrôler très rapidement les taux de TSH. Il aurait donc fallu prendre très précocement les dispositions pour que tous les médecins soient informés de ces situations. Tous les patients auraient également dû être informés qu’ils pourraient avoir des effets secondaires et qu’il faudrait qu’ils les signalent immédiatement à leur médecin. Il n’aurait pas fallu attendre que ces effets deviennent suffisamment nombreux pour que le laboratoire, l’ANSM, l’Etat et les médecins soient informés dans une espèce de maelström dans lequel c’est le patient qui s’est retrouvé au cœur de tout cela.

Comment avez-vous jugé les réactions de la ministre ?

Pour nous c’est l’illustration qu’au niveau de la gouvernance générale, le système reste encore balloté par des événements. Il faut que l’on puisse construire des mécanismes protocolisés de prise en charge. La ministre a été un peu prise en otage de cette situation. Elle a géré au mieux de ce qu’elle a estimé être l’intérêt des patients en permettant l’accès à l’ancienne formule, d’une part, et en permettant l’accès à des médicaments équivalent parce que la réponse n’avait pas été anticipée au niveau du changement d’excipient du Levothyrox.

Vous exercez encore la médecine générale. Comment les choses se sont déroulées dans votre propre cabinet, avec vos patients ?

Elles se sont probablement passées comme pour tous les médecins généralistes sur ce territoire. Nous nous sommes retrouvés confrontés à des patients, qui dans la majorité des cas ne présentaient pas de symptômes secondaires mais une inquiétude et une angoisse très importante vis-à-vis d’éventuels symptômes, et surtout avaient l’impression que c’était face au médecin généraliste qu’ils pouvaient obtenir le maximum d’informations.

Là où je ne suis peut-être pas dans la même situation que les autres généralistes, c’est que moi, à titre personnel, je possédais une connaissance de ce qu’il se passait peut-être plus éclairée que les autres.

Savez-vous si des patients se sont retournés contre leurs médecins dans cette affaire ?

Pour l’instant, non. Sur le plan de la déontologie et des plaintes en disciplinaires, je n’ai pas connaissance aujourd’hui de plaintes qui soient formées contre des médecins dans ce cas de figure.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin

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